Début 2011, l’AVFT avait adressé un large appel à soutien afin d’aider Anne, notamment financièrement, dans sa procédure pour viols à l’encontre de M. X.
En mars 2011, la Cour d’Assises de X avait rendu une décision d’acquittement de M. X, au bénéfice du doute à l’issue d’une audience très difficile.
Le calvaire judiciaire d’Anne n’était pas encore terminé, car M. X avait, en 2007, déposé plainte contre sa mère et elle pour diffamation publique, dénonciation calomnieuse et injures publiques. Le parquet avait fait le choix politique de poursuivre Anne et sa mère du chef de diffamation publique, alors que tant de plaintes pour des violences sexuelles sont classées sans suite. L’audience avait fait l’objet de nombreux sursis à statuer jusqu’à la décision de la Cour d’Assises.
L’audience du tribunal correctionnel s’est donc tenue moins de deux mois après l’acquittement.
Pourquoi Anne était-elle poursuivie ?
Pour « avoir (…) allégué ou imputé un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de M. X., par parole, écrit, image, moyen de communication au public, par voie électronique, en l’espèce en disant qu’il était un pédophile et un violeur (…) en distribuant un écrit mentionnant « Avis aux parents, le directeur de cette association a eu de graves problèmes avec la justice, surveillez bien vos enfants car cet homme est vicieux et malsain ».
En 2007, lorsqu’Anne découvre le contenu de l’ordonnance de non lieu(1), elle est en effet révoltée.
Pour cause, elle fait état de dizaines de témoignages d’adolescentes et de jeunes femmes qui attestent (notamment) d’attitudes malsaines, voire d’attouchements sexuels sur des fillettes encadrées par M. X quelques années auparavant.
L’ordonnance de non lieu indique :
« Les enquêteurs procédaient à l’audition de 150 témoins ayant fréquenté M. X. De très nombreuses personnes évoquaient une proximité excessive avec les jeunes filles qui se manifestaient par des paroles et des gestes parfois vulgaires. Il profitait de ses fonctions d’animateurs pour observer les jeunes filles en petite tenue dans les vestiaires, les caresser lorsqu’il les soignait, les prendre sur ses genoux. Plusieurs d’entre elles évoquaient des attouchements sur la poitrine et sur les cuisses. (…)
M. X contestait les accusations portées à son encontre et demandait à être confrontées à ses accusatrices. (…) Il démentait également avoir pratiqué des examens gynécologiques sur certaines jeunes filles qui lui étaient confiées et en avoir profité pour leur caresser le sexe. (…)
Une confrontation était organisée entre M. X et les témoins qui l’avaient accusé d’avoir un comportement ambigu avec les jeunes filles lors des camps de jeunes.
CK déclarait qu’à la réflexion, les gestes qu’elle avait vu de la part de M. X n’avaient pas de connotation sexuelle et qu’elle les avait sans doute réinterprétés à la lumière des accusations d’Anne.
JJ maintenait qu’elle avait constaté qu’il avait trop de proximité avec les jeunes filles et qu’elle trouvait anormal la façon dont il les prenait par la taille et par le cou et sur les genoux. Elle affirmait qu’il l’avait touché juste sous la poitrine quand elle avait 13 ans. Elle retenait ses mains pour qu’elle n’aille pas plus loin. Ces faits avaient eu lieu 10 ans auparavant. (…)
D’une manière générale, les témoignages concordants de nombreuses jeunes filles ont fait état d’une attitude ambigüe voire malsaine de M. X. vis-à-vis des jeunes filles dont il avait la responsabilité. »
Par ailleurs, Anne découvre dans l’ordonnance de non lieu l’existence du témoignage d’une femme, qui dénonçait également des viols de la part de M.X., commis dans des circonstances et avec des modes opératoires similaires, quelques années auparavant.
Malgré ces nombreux témoignages, M. X continue d’encadrer des enfants, en tant que directeur de centre de loisirs.
Personne (ni le parquet, ni la préfecture, pas plus que l’administration de la Jeunesse et des Sports) n’intervient, ne serait-ce que pour prendre des mesures de précaution, dans l’attente d’une enquête sur ce point.
En juillet et en août, Anne se rend à deux reprises à l’entrée de manifestations organisées par l’association dans le seul et unique but de prévenir les parents, de les alerter d’un éventuel danger pour leurs enfants encadrés par M. X parce que personne d’autre ne le fait, parce que tout le monde ferme les yeux et se tait.
Elle se munit de l’ordonnance de non lieu et en cite quelques passages à quelques personnes qui entrent dans la salle.
Elle distribue quelques tracts comportant le message suivant : « Avis aux parents. Le directeur de cette association a eu de graves problèmes avec la justice. Surveillez bien vos enfants car cet homme est vicieux et malsain ! ».
Elle conteste cependant avoir traité M.X. de « pédophile » et de « violeur ».
Le délit de diffamation est rédigé de la manière suivante : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation » (2) .
Le fait qu’elle n’ait pas inventé ces faits, puisqu’ils sont tirés de l’ordonnance de non lieu, importe peu. La « réalité » de ces faits importe également peu, car ils peuvent en effet « porter atteinte à l’honneur ou à la considération », qui sont les notions protégées par ce délit.
Le délit est donc constitué.
Lors de l’audience du tribunal correctionnel, Anne et sa mère ont invoqué leur bonne foi ainsi que leur souhait de défendre l’intérêt général de protection des mineur-e-s.
Le tribunal correctionnel retient en effet : « Sur la peine, l’absence de mesure dans les propos ne doit pas occulter le fait que les prévenues recherchaient non pas un intérêt personnel dans leurs actions, mais un objectif légitime, celui de la protection des jeunes des abus sexuels, et ce, d’autant plus que la procédure pénale était toujours en cours suite à l’appel formulé contre l’ordonnance de non lieu du juge d’instruction. La peine doit donc être mesurée au vu de ces éléments. (…)
Sur l’action civile, il doit être mentionné que M. X a reconnu, malgré la forte différence d’âge, l’existence de relations sexuelles, consenties pour lui, avec Anne, au moment des faits, tels que cela ressort de l’information judiciaire. Dès lors, outre la nature des faits eux-mêmes, le préjudice subi doit être également apprécié au regard de l’existence de cette matérialité. »
En dépit de la légitimité de leurs explications, elles ont été condamnées à 300? € d’amende avec sursis et 100? € de dommages et intérêts pour M. X.
Pourtant, M. X ne s’est pas satisfait de cette condamnation : Anne devait payer pour avoir parlé. Il a donc interjeté appel sur les intérêts civils.
Lors de l’audience d’appel, ni Anne ni sa mère n’étaient présentes. Anne avait choisi de ne pas y aller. Huit ans de procédure avaient eu raison de sa combativité.
Faute de moyens financiers, elle a dû renoncer à faire appel à l’avocat spécialisé qui l’avait remarquablement défendue en première instance.
Ni Anne, ni sa mère ne savent donc comment l’audience s’est déroulée.
Le délibéré, rendu le 9 mars 2012, est catastrophique : Anne et sa mère sont condamnées solidairement à payer 5000 €? de dommages et intérêts à M. X, outre 1500? € d’article 475-1 CPP (3).
Aujourd’hui, elles commencent à payer, à raison de 10 €? chacune par mois. Elles paieront pendant douze ans et demi.
Que dire de cette décision, sauf à accumuler les truismes : injuste, inique, intolérable ?
Nous n’avons cessé d’admirer le courage et la ténacité d’Anne, qui seule peut sortir la tête haute de ces huit ans de procédure, et qui se sera battue, quoi qu’il lui en coûte, pour elle et pour les autres victimes.
Le parquet, tout au long de cette procédure s’est illustré par sa défense constante des intérêts de M. X, à l’encontre de la logique de ses fonctions et des pièces du dossier.
Anne est condamnée, mais c’est le procès de la justice et de ces institutions qui devrait être fait.
Contact : Gwendoline Fizaine 01 45 84 24 24
Notes
1. Ordonnance qui sera ensuite réformée par la chambre de l’instruction, pour aboutir au procès devant la Cour d’assises
2. Article 29 Al. 1er loi du 29 juillet 1881
3. Article 475-1 du code de procédure pénale : disposition visant à indemniser les frais de procédure (honoraires d’avocat surtout).