Toute ressemblance avec des stratégies de défense réelles n’est pas purement fortuite

La presse s’est récemment fait l’écho d’une plainte pour « harcèlement sexuel » déposée par Emmanuel Macron le 16 février à l’encontre d’une étudiante « gabonaise » en droit à l’université de Montpellier, qui l’a inondé de déclarations enflammées et de photos d’elle, « dans le détail desquelles » une source judiciaire du Midi Libre ne souhaite pas entrer.
L’article du Midi Libre du 29 février nous apprend que l’enquête a été confiée à la police judiciaire, rien que ça, en raison de la personnalité de la victime(1). Un enquêteur a déclaré aux journalistes que l’étudiante « ne présente aucune dangerosité particulière » mais qu’ « on ne peut tolérer qu’une personnalité publique soit harcelée par des messages électroniques, fussent-ils d’amour ». Le/la citoyen.ne lambda n’aura qu’à aller se faire voir.

Glissons-nous temporairement dans la robe de l’avocat de la défense en adoptant les arguments que nous entendons tout au long de l’année, effets de manche compris.

***

Harcèlement sexuel(2)… Comme il y va le ministre ! Tout de suite les grands mots ! Tout de suite une réaction de puceau effarouché ! Tout ça pour quelques marques d’affectation et d’intérêt !
Si on ne peut plus séduire par des moyens de communication moderne… Qu’est-ce qui lui aurait fallu, qu’elle lui fasse la cour à l’ancienne ?

Je vous le dis, Madame la présidente, Messieurs du Tribunal, nous filons un mauvais coton, nous allons droit dans le mur avec la judiciarisation de la séduction, des rapports hommes/femmes, bientôt on n’aura même plus le droit de déposer un bouquet de fleurs sur le pas de la porte d’un homme sans risquer une plainte pour harcèlement sexuel(3) ! On se dirige dangereusement vers une pénalisation de la relation épistolaire ! Voulons-nous vraiment qu’en France, pays du « french kiss », nous aseptisions la séduction ? Voulons-nous vraiment une américanisation des rapports sociaux que nous entretenons dans les pays latins ?

Qu’a réellement fait ma cliente ?
Qu’y a-t-il de mal et de répréhensible à tenter ?
Elle était la proie d’un attrait irrésistible, elle n’était plus tout à fait elle, elle agissait comme sous l’effet d’un philtre d’amour.

Comment résister ? Avec son sourire ravageur et son costume trop moulant, il s’attendait à quoi le ministre ?! Les femmes aussi ont des pulsions ! Tout aussi légitimes et irrépressibles que celles des hommes ! Ma cliente n’a d’ailleurs pas été la première à s’aventurer sur le terrain de la vie privée. Le ministre a lui-même exposé une partie de son intimité, de sa vie conjugale, lui envoyant à la figure une histoire d’amour idéale. Elle a pensé, certes à tort, qu’une porte était ouverte, elle s’est projetée dans une relation fantasmée. Mais est-ce un crime ? En tout état de cause, elle paie déjà très cher son obstination, sa recherche d’idéal. Elle purge déjà une peine. Une peine de c?ur.

Mais comment aurait-elle pu concevoir le désintérêt du ministre ? Le ministre a de son plein gré donné son adresse mail à ma cliente (notamment), attendant en retour « des propositions de jeunes entrepreneurs ». Le voilà servi ! Elle était pleine d’idées et particulièrement entreprenante, tout ce que le ministre réclame des jeunes depuis des mois et des mois !

Dans le silence du ministre, qui ne l’a pas repoussée, elle lui a seulement déclaré sa flamme puis lui a envoyé des messages et des images… D’ailleurs, recadrons bien les choses, on ne parle pas d’agression. Elle ne l’a pas touché, ne l’a pas agressé. Ce ne sont que des mots, des images. Il aurait pu choisir de ne pas y prêter attention. De changer d’adresse mail. De la mettre dans sa spam-block list !

Il l’a laissée faire pendant des mois sans réagir, nourrissant son amour et son espoir. On lui a dit, à ma cliente, depuis sa plus tendre enfance : Qui ne dit mot consent. Elle le pensait consentant. Elle ne voulait pas lui nuire. L’élément intentionnel de l’infraction n’est donc pas caractérisé. Et puis…Cinq mois avant de porter plainte ! Il l’a laissée mariner pendant cinq mois… Et si les photos de charme de ma cliente l’avaient vraiment heurté, il aurait porté plainte immédiatement. Or nous savons qu’il n’en est rien ! Il en a même conservé !

Gardons bien en tête que ce n’est pas un dossier comme les autres. La partie civile est un homme politique de premier rang. On l’a suffisamment fait remarquer à ma cliente. Elle s’est d’ailleurs retrouvée en garde à vue pour ça, comme une vulgaire criminelle, pour quelques mails ! J’insiste, il est tout de même questionnant qu’un ministre, supposé être au-dessus de la mêlée, porte plainte pour une affaire aussi insignifiante. Encore plus questionnant, la médiatisation de cette affaire. Cela doit vous conduire à la plus grande circonspection par rapport aux intérêts de la partie civile(4)… que, moi, je ne qualifie pas de victime… terme attentatoire à la présomption d’innocence de ma cliente. Ne soyons pas complotistes mais restons perplexes. Faisons émerger des questionnements.

L’hypothèse d’un nouveau rebondissement de la (mini-)crise diplomatique Franco-Gabonaise de janvier 2016 n’est par exemple pas à exclure.

Rien ne dit que ma cliente n’a pas été instrumentalisée pour faire diversion dans un contexte politique tendu pour le gouvernement. Qui dit que ma cliente ne serait pas le 49-3 de la loi El Khomri ? Qui faut-il le rappeler, Madame la présidente, est la patate chaude de Monsieur Macron.

En résumé, il existe trop de flou, trop d’incertitudes dans ce dossier. Le doute doit profiter à ma cliente.

Mais à supposer que par extraordinaire vous entriez en voie de condamnation, vous prendrez en compte pour l’évaluation du préjudice les bénéfices secondaires tirés par la partie civile, non négligeables au vu des circonstances politiques actuelles. Comme le remarque l’excellent Vanity Fair du mois de février : Grâce à ma cliente, « le ministre de l’Économie peut se rassurer s’il en doutait, il est toujours le sex-symbol du gouvernement ».

Marilyn Baldeck et Mylène Hadji

Notes

1. Qui, faut-il le rappeler, est Emmanuel Macron.

2. Emmanuel Macron a en réalité porté plainte pour une autre infraction : « harcèlement par voie électronique » ou « appels téléphoniques malveillants » selon les articles.

3. Citons nos sources : C’est un des « arguments » avancés par Claire Waquet, avocate de Gérard Ducray, dans sa plaidoirie devant le Conseil constitutionnel, qui a abouti le 4 mai 2012 à l’abrogation du délit de harcèlement sexuel.

4. Emmanuel Macron, toujours

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