Le 28 septembre, notre revue de web traquant les publications relatives à la question du harcèlement sexuel contenait un article sur les modifications introduites par la loi El Khomri dans le régime de preuve des harcèlements sexuel et moral.
Entre travailler et communiquer sur notre travail, il faut régulièrement choisir, et nous n’avions jusque là pas partagé cette évolution qui est à porter au crédit de l’AVFT (et donc sans lien, pour répondre au questionnement formulé dans l’article précité, avec « l’appel et les témoignages des dix-sept anciennes ministres qui dénoncent le harcèlement sexuel en politique »). Ce commentaire rédigé par un avocat est donc une bonne occasion d’y revenir.
L’amendement à la loi « travail » dont il s’agit permet de faciliter l’établissement de la preuve d’un harcèlement sexuel ou moral devant le Conseil de prud’hommes, preuve qui était déjà dite « aménagée » en ce qu’elle en répartit le fardeau entre la partie demanderesse (la victime de harcèlement sexuel, pour ce qui concerne l’AVFT) et l’employeur. La curiosité de cette modification est qu’elle constitue à la fois une évolution positive et un retour en arrière(1), puisqu’elle rétablit une rédaction sur laquelle le législateur s’était empressé de revenir, paniqué par le droit jugé exorbitant qu’il avait initialement accordé aux salarié.es concerné.es.
C’est pour ce « retour arrière » que l’AVFT avait plaidé lors d’une audition devant la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée Nationale le 23 mars 2016 puis devant la commission des lois de la même assemblée le 25 mai suivant. Pour éclairer toutes les lanternes qui le voudraient, nous publions l’extrait de l’analyse présentée aux parlementaires pour les convaincre de déposer ledit amendement, qui tient en deux principes juridiques : celui de « non-régression », qui fait obstacle à toute réforme supprimant un droit(2) et celui « d’équivalence », qui impose des règles aussi favorables dans des domaines du droit comparables. Or cette retouche du Code du travail a pour effet d’aligner (de ré-aligner) la règle de preuve des « harcèlements » sur celles des discriminations, plus favorable.
Comme vous le constaterez à la lecture de cette audition, ce « ré-aménagement », s’il est très positif pour les salarié.es harcelé.es, était la moindre des choses.
L’avocat qui commente la modification se dit pourtant « surpris » par cet amendement et prédit une Question Prioritaire de Constitutionnalité portant sur la rédaction du nouvel article L1154-1 du Code du travail sur l’aménagement de la charge de la preuve. Il se fonde pour cela sur une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel lors du contrôle de constitutionnalité effectué sur la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 créant le délit de harcèlement moral et son interdiction en droit du travail, qui contenait la règle de preuve « ré-adoptée » par la loi El Khomri.
Mais l’une des (trois) conditions pour déposer une QPC sur un texte est que celui-ci n’ait pas déjà été validé par le Conseil constitutionnel. Or une réserve d’interprétation accompagne nécessairement une déclaration de conformité à la Constitution.
Par ailleurs, rien ne permet de dramatiser la réserve d’interprétation du Conseil, qui précise que « les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées ne sauraient dispenser celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de allégation (…) ». Le Conseil exclut simplement que la présomption de harcèlement (sexuel ou moral) puisse être établie par les seules affirmations du demandeur ou de la demanderesse, celles-ci devant être étayées par un minimum de pièces, ce qui ne nous semble pas extravagant.
Le Parlement pouvait donc réaménager l’aménagement de ces règles de preuve sans difficulté.
Marilyn Baldeck
Déléguée générale
Notes
1. Mais aussi qu’elle soit passée entre les mailles du filet patronal de la loi El Khomri, ceci étant un autre sujet.
2. Principe qui, par exemple, rendrait illégale l’abrogation de la loi dite « mariage pour tous », n’en déplaise à celles et ceux qui en font une promesse électorale.
Télécharger l’audition du 23 mars 2016