Après plus de 20 ans de procédure et une condamnation de l’État français par la Cour européenne des Droits de l’Homme, Mme K. est enfin déclarée NON COUPABLE du délit de dénonciation calomnieuse. Délit dont la modification législative demeure inachevée.
De la Cour d’appel de Paris à la Cour d’appel de Paris en passant par la Cour européenne des Droits de l’homme : 2001-2016
Une condamnation pour dénonciation calomnieuse, un délit réécrit et l’État français condamné
Déboutée de sa plainte pour viols contre PP, son supérieur hiérarchique, Mme K. avait été condamnée pour dénonciation calomnieuse par la Cour d’appel de Paris le 5 décembre 2001. Financièrement aidée par l’AVFT, pour qui la réalité des violences sexuelles commises à l’encontre de Mme K. n’avait jamais fait le moindre doute, elle avait dû s’acquitter de près de 15 000 euros de dommages et intérêts qu’elle avait été condamnée à payer à celui qu’elle accusait.
Mme K. avait été condamnée sur le fondement de l’ancien article 226-10 du Code pénal, dont l’AVFT avait analysé la rédaction comme attentatoire au principe de présomption d’innocence et du droit à un procès équitable.
Son alinéa 2 disposait en effet : « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée ».
Cette condamnation d’une sidérante injustice déclenchait alors une intense action de plaidoyer pour faire réformer le délit de dénonciation calomnieuse de l’AVFT, soutenue par la totalité des associations féministes mais à laquelle les associations de défense des droits « de l’Homme » avaient tourné le dos.
Parallèlement, l’AVFT guidait Mme K. vers un pourvoi en cassation, une requête devant la CEDH et soutenait de nombreuses autres femmes poursuivies et condamnées pour dénonciation calomnieuse après que leurs plaintes pour les violences sexuelles qu’elles avaient subies se sont soldées par des échecs judiciaires.
En juillet 2010, après neuf années d’actions menées dans une indifférence voire une hostilité institutionnelle quasi-totales, mais anticipant la décision de la CEDH, le législateur restreignait considérablement le champ d’application du délit de dénonciation calomnieuse, éloignant ainsi le risque de condamnation quasi-automatique de femmes déboutées de leurs plaintes.
Le 30 juin 2011, la CEDH condamnait l’État français pour violation du principe de présomption d’innocence et du droit à un procès équitable dans la procédure de Mme K., en tirant notamment argument… de la modification législative intervenue un an plus tôt dans la loi française.
Le 20 décembre 2012, la Commission de réexamen d’une décision pénale de la Cour de cassation cassait la condamnation de Mme K et ordonnait le réexamen de l’arrêt par une nouvelle Cour d’appel.
Ce n’est que quatre ans plus tard que la Cour d’appel de Paris s’est de nouveau saisie de ce dossier, après de multiples démarches de Me Beckers, avocate de Mme K., pour le faire ré-enrôler et une lettre de l’AVFT à Mme Taubira, alors ministre de la justice.
Une autre difficulté s’est alors dressée sur ce parcours judiciaire : la mort de PP, qui avait porté plainte contre Mme K. pour dénonciation calomnieuse. D’éventuels ayant-droits ne s’étant pas signalés, le procès s’est finalement tenu le 1er juillet 2016, sans parties civiles, mais avec deux appelants contre l’arrêt de condamnation de Mme K : Mme K. elle-même bien entendu, et le ministère public, appelant incident, qui dans la procédure initiale avait par deux fois requis la condamnation.
L’audience de réexamen
L’audience du 1er juillet 2016 aura été l’occasion d’une spectaculaire volte-face.
Nathalie Savi, avocate générale, ne s’est en effet pas contentée de soutenir la relaxe de Mme K. en faisant une stricte interprétation du nouveau délit de dénonciation calomnieuse, sur le fondement duquel Mme K était jugée conformément au principe d’application in mitius de la loi pénale(1). Elle s’est vigoureusement employée à démontrer la crédibilité de Mme K. lors de sa plainte initiale, en taillant en pièces l’ordonnance de non-lieu et en énumérant tous les indices concourant à prouver que PP était bien susceptible d’avoir commis les viols reprochés, de sorte que « les accusations » de Mme K. étaient bien « pertinentes ».
Ces réquisitions auraient tout aussi bien pu être faites devant la Cour d’assises.
Que faut-il en déduire ? Qu’à quinze ans de distance, la justice française aborde différemment les procédures de violences sexuelles ? Qu’elle est d’une versatilité stupéfiante ? Qu’elle est irréductiblement une question de personnes ?
La plaidoirie de Me Beckers aura également permis une restauration juridique de Mme K, avec un engagement et une solennité qui seyaient au caractère exceptionnel de ce procès.
Rappelons en effet que seules deux à trois procédures par an donnent lieu à un réexamen après une condamnation par la CEDH. Et qu’il n’est pas rare qu’elles se soldent par une nouvelle condamnation.
Le délibéré
Pour Mme K : relaxée, mais très mal indemnisée
La Cour a assorti la relaxe de Mme K d’une condamnation de l’État français à l’indemniser à hauteur de 30 000 euros au titre du préjudice moral et 23 349 euros, correspondant aux sommes exposées pour assurer sa défense et le remboursement des 15 000 euros de dommages et intérêts versés à PP, là où Mme K. avait estimé ses préjudices à hauteur de 270 000 euros.
Pour l’AVFT : Entendue, mais déboutée. Déboutée, mais entendue.
Fidèle à son histoire d’exploration de nouvelles voies judiciaires, l’AVFT était présente dans la procédure par le biais de l’article 621-1 du Code de procédure pénale, qui permet que toute personne qui estime avoir subi un préjudice du fait d’une condamnation jugée illégale par la CEDH puisse en demander réparation à l’État au cours de la même audience. Nous estimions en effet que la condamnation illégale de Mme K. avait nécessairement causé un préjudice moral à l’AVFT du fait de l’objet social de l’association et que le préjudice financier était à tout le moins constitué par les frais de procédure que nous avions directement assumés. A notre connaissance, cette disposition n’avait jamais été utilisée par une association.
Tout en prenant acte du soutien apporté à Mme K., du rôle de l’association dans la saisine de la CEDH, de nos efforts pour faire modifier le délit de dénonciation calomnieuse, de notre argumentation sur le fond du dossier, la Cour a considéré que les actions de l’association ne pouvaient être strictement rattachées au cas particulier à Mme K. mais à des actions plus générales de l’association, qu’elle a donc déboutée de ses demandes de réparation. Cette motivation nous apparaît contestable, mais nous avons pu faire entendre la voix de l’AVFT dans ce procès.
Le jour du délibéré, Mme K. nous a fait savoir que cette absence de reconnaissance du préjudice de l’AVFT lui « gâchait un peu le plaisir ».
Un délit qui mérite que la réflexion se poursuive et une nouvelle modification législative
Une rédaction à l’interprétation trop complexe sur le plan juridique
Dans son arrêt, la Cour rappelle le texte applicable :
« Le fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu,(2) déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie pertinence des accusations portées par celui-ci ».
Elle constate ensuite, à l’unisson de l’avocate générale et de la défense qu’« il résulte de l’ordonnance de non-lieu non pas que les faits d’agressions sexuelles et de viols dénoncés par Madame K. n’ont pas été commis mais qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre PP de les avoir commis » ;
Jusque là rien à signaler. La suite en revanche questionne :
« Considérant qu’il convient en conséquence de rechercher si les accusations portées par Madame K. sont pertinentes, soit, en d’autres termes, si elles correspondent à la réalité ou si elles sont fausses et, dans cette hypothèse, d’apprécier si elle a été de mauvaise foi c’est-à-dire si elle a menti ».
La Cour se donne la peine de définir ce qu’elle entend par la « pertinence » des accusations, dans une rédaction ambivalente. Elle ne peut évaluer la « pertinence » de l’accusation de viols de Mme K. à l’aune de « la réalité » ou de la « fausseté » de ces viols, sauf à remettre en cause l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance de non-lieu. L’ONL se contentait en effet de constater l’insuffisance de charges sans établir « la fausseté des faits » et encore moins leur « réalité ».
Évaluer la « pertinence des accusations » est donc un exercice délicat, auquel se livre la Cour, non pas en considérant comme réels les viols objets de la plainte initiale de Mme K., mais en évaluant le degré de crédibilité (de « pertinence ») de certains points de sa plainte, qui, pris dans leur ensemble, permettent de dégager une pertinence suffisante aux accusations de Mme K.
Une rédaction de la loi politiquement contestable
Même si, depuis la réforme du délit de dénonciation calomnieuse, les femmes ayant porté plainte pour des violences sexuelles échappent à une condamnation automatique, la détermination par les juges de la « pertinence » (ou non) des « accusations » n’est pas sans soulever de nouvelles difficultés.
Si la Cour n’avait pas retrouvé dans le dossier de Mme K. des indices de crédibilité, elle aurait en effet abouti à la conclusion que ses accusations n’étaient pas « pertinentes ». Elle aurait certes pu tout de même la relaxer, en constatant que la preuve de sa mauvaise foi ne pouvait être établie.
Mais au nom de quoi un tribunal pourrait-il dire « non pertinentes » des accusations de violences sexuelles dès lors que la victime ne dispose d’aucun commencement de preuve ?
Cette rédaction constitue par exemple un affront pour toutes celles et ceux qui ont le courage de porter plainte pour des violences sexuelles anciennes et notamment incestueuses.
Par ailleurs, cette « pertinence » ne peut être évaluée qu’à partir des éléments du dossier pénal, par définition construit postérieurement à la plainte. C’est dire l’insécurité dans laquelle la rédaction du délit place les victimes au moment où elles portent plainte, puisque la « pertinence » de leurs accusations, en cas de plainte pour dénonciation calomnieuse, dépendra d’investigations et de témoignages à venir, dont elles ne peuvent prévoir le contenu, et dont la qualité sera fonction de la formation des services d’enquête, des diligences d’un.e juge d’instruction débordé.e, de la volonté ou non d’éventuels témoins de coopérer à l’enquête, d’autres victimes de se signaler ou non etc.
Cette rédaction continue donc de restreindre le droit de porter plainte.
Cette formule, en plus d’être ardue à saisir sur le plan juridique, pose donc un problème politique majeur ; dans un contexte dans lequel les viols, agressions sexuelles et harcèlement sexuel ne font l’objet de plaintes que dans une infime proportion, toutes les plaintes devraient être, par défaut, considérées comme pertinentes jusqu’à preuve du contraire.
Une rédaction trop perméable à la subjectivité des juges
Cette rédaction fait aussi dépendre la décision de relaxe ou de culpabilité d’une appréciation éminemment subjective – et relevant du « fond », donc non soumise au contrôle de la Cour de cassation – de ce qui permet de qualifier une accusation (pour des violences sexuelles notamment) de « pertinente ».
Pour seul exemple du risque d’aléatoire et d’iniquité d’une telle rédaction, cette motivation d’un arrêt de condamnation pour dénonciation calomnieuse rendu par la même chambre de la Cour d’appel de Paris(3), deux ans auparavant :
« Considérant qu’en ce qui concerne les faits de harcèlement sexuel, s’il est établi par l’enquête et confirmé par les déclarations mêmes de M. LN que celui-ci a tenté de séduire Mme B. par des cadeaux, fleurs et des mots laissant transparaître ses sentiments amoureux pendant quatre mois, les gestes et paroles à caractère obscène ainsi que l’incident qui serait survenus lors d’un stage (….) n’ont en revanche pas été prouvés ; que de plus, les parties s’accordent à reconnaître que si les manifestations amoureuses de M. LN. ont pu être assidues, elles ont cessé dès que l’époux de Mme B. lui a téléphoné en mars 2003; qu’ainsi, la dénonciation de harcèlement sexuel faite le 19 octobre 2004 n’était pas destiné à faire cesser ces faits.
(…)
Qu’il y a lieu de confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité ».
Mme B est donc condamnée pour dénonciation calomnieuse alors même que la Cour relève dans son arrêt des éléments qui convergent vers la pertinence de ses accusations et, en tout état de cause, alors qu’aucun mensonge n’est prouvé. Il est également reproché à Mme B. d’avoir porté plainte – donc d’avoir exercé un droit prévu par la loi – alors que les agissements dénoncés avaient cessé. Ici la condamnation pour dénonciation calomnieuse prend l’allure d’une condamnation pour procédure abusive : il était tout de même un peu exagéré de déranger la justice alors que le trouble avait cessé. Il est ainsi manifeste que cette condamnation relève davantage d’une appréciation personnelle, particulièrement subjective et contestable des juges, que de l’application stricte et raisonnable de la loi.
Une rédaction qui doit être de nouveau modifiée
La vigilance de l’AVFT sur le délit de dénonciation calomnieuse est donc loin d’être en sommeil.
Plutôt que disposer qu' »En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci« , l’alinéa 3 de l’article 226-10 du Code pénal devrait être rédigé comme suit : « En tout autre cas, la condamnation ne peut découler que de l’établissement du mensonge du dénonciateur ».
Cette alternative représente le double avantage de satisfaire à la fois les intérêts de la partie civile et ceux de la défense : le risque d’une remise en cause de l’autorité de la chose jugée s’éloigne avec la mise à l’écart de la notion de « pertinence » et le risque d’une appréciation trop subjective de la « pertinence » disparaît au profit de la nécessité d’objectiver le mensonge.
Le rapport de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, chargée d’évaluer l’application de la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, publié en novembre 2016, propose suite à l’audition de l’AVFT, au titre « des mesures complémentaires pour améliorer la lutte contre le harcèlement sexuel » que soit menée « une réflexion sur la définition de la dénonciation calomnieuse(4) ».
L’AVFT va par ailleurs dans les prochains mois s’attaquer à une autre possibilité de représailles judiciaires aux mains des hommes violents : celle de demander réparation au titre de la « dénonciation téméraire », sur le fondement du Code civil.
A suivre !
Marilyn Baldeck
Déléguée générale
Notes
1. Qui autorise l’application rétroactive de la loi pénale si la loi est moins sévère, dit aussi « application rétroactive de la loi la plus douce ».
2. La Cour oublie cette virgule, que l’AVFT a obtenue de haute lutte et qui ne permet aucun doute, comme c’était le cas dans l’ancienne rédaction, sur le fait qu’il existe un régime commun pour l’acquittement, la relaxe et le non-lieu.
3. Même présidente, une même conseillère et un conseiller différent.
4. Rapport d’information n° 4233, rapporteurs : Pascale Crozon et Guy Geoffroy, p. 60
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