De la « fake news » à la « prise d’acte » du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes
Le dimanche 16 juillet, le Journal du Dimanche relayait les très vives inquiétudes des associations féministes concernant les subventions qui leur sont octroyées par l’État, le budget des droits des femmes risquant de faire l’objet de coupes drastiques, aux alentours de 25 %.
Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, répliquait que son secrétariat d’État n’était pas exclu des mesures d’économie mais contestait vigoureusement le montant de la coupe, qualifiant cette information de « fake news » sur Twitter.
Pourtant, dans les jours qui ont suivi, les médias ont apporté de nouvelles précisions corroborant les informations des lanceurs d’alerte :
– Le 19 juillet, Mediapart révélait l’existence d’un courriel émanant du directeur général à la cohésion sociale et délégué interministériel aux droits des femmes, Jean-Philippe Vinquant, adressé aux délégations régionales et départementales aux droits des femmes et à l’égalité(1), leur demandant de « suspendre dans l’immédiat les opérations d’engagement et de paiement des crédits » et de remonter au niveau national les crédits dédiés au parcours d’aide à la sortie de la prostitution.
– Le même jour, Le Monde faisait état d’un projet de décret prévoyant une coupe de 7,5 millions d’euros sur le budget des droits des femmes (programme budgétaire 137 relatif à « l’égalité entre les femmes et les hommes »), publié sur le site acteurs-publics.com dès le 12 juillet.
Parallèlement, l’Obs publiait une tribune des associations féministes dénonçant les coupes budgétaires.
– Le 20 juillet, le cabinet de Marlène Schiappa assurait à Mediapart ne pas être « au courant de ce projet de décret ». Le journal formulait l’hypothèse d’un mensonge de la secrétaire d’État, qui, le jour même, assurait aux délégations aux droits des femmes de l’Assemblée Nationale et du Sénat qu’il s’agissait d’une « forme d’instrumentalisation médiatique » portant sur des « chiffres faux ou des notes internes qui n’ont pas été validées ».
– Le 20 juillet également, Libération informait sur l’existence d’une « enquête interne » en cours au secrétariat d’État pour déterminer l’origine des informations distillées dans la presse, ne relevant pourtant pas du secret-défense et nécessaires à l’instauration d’un débat transparent et démocratique.
Mme Schiappa s’est publiquement engagée à plusieurs reprises à ne pas toucher aux subventions des associations « luttant contre les violences sexistes et sexuelles » et l’a de nouveau fait savoir par voie de communiqué de presse aujourd’hui. Pour parvenir aux réductions budgétaires exigées par le gouvernement (dont à aucun moment elle n’a précisé les proportions, y compris devant l’Assemblée Nationale et le Sénat), elle annonçait la suppression des notes de frais du ministère et de dépenses d’événementiel. Or dans le projet de lois de finances 2017, les frais de fonctionnement liés à la mission « égalité femmes-hommes » ne représentent que 3,5 % de ce budget. Mme Schiappa a également dit vouloir lutter contre de prétendus « abus », en supprimant d’inexistantes « reconductions automatiques » de subventions et le soutien financier aux « associations qui ne rendent pas compte de l’utilisation de l’argent public»(2), au nombre de dix, selon la ministre, qui, interrogée par l’Assemblée Nationale, n’a pas pu les citer. Nous avons donc dû rappeler que le renouvellement des subventions aux associations n’a (évidemment) rien d’automatique et est conditionné depuis longtemps à la remise de bilans quantitatifs, qualitatifs et financiers détaillés et dont la réalisation est particulièrement chronophage. Pour exemple, outre des comptes certifiés par un commissaire aux comptes, l’AVFT remet chaque année un rapport d’activité de 100 à 140 pages. Le contrôle de ces bilans incombe aux services administratifs de l’État qui les passent au crible de règles de plus en plus exigeantes de gestion et d’engagement des crédits publics.
Faut-il également rappeler la parcimonie avec laquelle les fonds publics sont utilisés par les associations de défense des droits des femmes et notamment la modération des salaires de leurs employées ?
Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes pour des associations qui luttent pour l’autonomie financière des femmes et l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. La comparaison des salaires dans nos associations, qui emploient essentiellement des femmes, avec les salaires dans des secteurs comparables employant essentiellement des hommes, démontrerait assurément une discrimination au regard du principe « à travail de valeur égale, salaire égal ».
– Mme Schiappa a affirmé s’en remettre à « l’interministérialité », qui consiste pour l’ensemble des ministères à financer des actions en faveurs des droits des femmes dans leur champ de compétence. Cette « interministérialité » est déjà, du moins en théorie, une réalité. Elle prend la forme d’un document de politique transversale spécifique à l’égalité femmes/hommes annexé chaque année au projet de lois de finances, qui vise à améliorer la coordination et l’efficacité de l’action publique. Mais non seulement cette politique transversale n’est pas contraignante et ne fait l’objet d’aucun suivi qualitatif, mais elle est en plus soumise aux aléas des priorités budgétaires des autres ministères qui sont rarement relatives aux droits des femmes. Elle achoppera donc nécessairement sur la rigueur budgétaire auquel les autres ministères sont aussi astreints. Pour exemple, la conférence nationale des procureurs de la République n’y est pas allée par quatre chemins en dénonçant début juillet une « clochardisation de la justice » à laquelle les baisses de budget à venir pour le ministère de la justice ne risquent pas de remédier. Nous souhaiterions avoir tort mais prédisons qu’il sera, comme d’autres, dans l’incapacité de contribuer aux actions de lutte contre les violences faites aux femmes.
Mme Schiappa a enfin vanté le rattachement de son secrétariat d’État au Premier Ministre, qui permettrait le financement par Matignon des actions réalisées au titre de la « grande cause en faveur de l’égalité femmes/hommes» annoncée par le président de la République, utile mais largement insuffisante car ne garantissant aucune durabilité des financements. En outre, si ce positionnement a l’avantage de sortir les droits des femmes de la sphère des « affaires sociales, familiales et de l’enfance », il ne réorganise pas et ne donne pas de nouveaux moyens à une administration qui a jusqu’alors eu toutes les peines du monde à faire fonctionner l’ « interministérialité ». Pour exemple, malgré de multiples tentatives, le Service des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes a toujours échoué à obtenir le cofinancement de l’AVFT par le ministère du travail ou de la justice, alors que le champ de compétence de l’association le commanderait.
– Le 21 juillet, le décret portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance, que la secrétaire d’État affirmait ne pas connaître, daté de la veille, soit le jour de son audition devant la représentation parlementaire, était publié au Journal officiel. Il concrétisait une amputation de 27% du budget des droits des femmes. Soit la coupe de très loin la plus grande pour le budget de très loin le plus petit.
Dans la journée, le cabinet de Mme Schiappa, contacté par Europe 1, « prenait acte » de cette baisse.
Cette semaine de mobilisation aura mis en évidence la fragilité des politiques publiques françaises en matière de politiques féministes, et soulevé des questions qui n’ont toujours pas trouvé de réponses.
Le fait que les chiffres que nous avancions aient constamment été démentis, laisse hélas peu de marges d’interprétation : soit on tentait de nous cacher la réalité de la coupe budgétaire, soit l’information faisait défaut à la ministre. Dans un cas comme dans l’autre, c’est une mauvaise nouvelle pour les femmes en France.
La remise en cause frontale de la parole des associations, qui permettent, par leurs actions, à l’État français de justifier d’une politique publique en faveur des droits des femmes, en leur reprochant d’être mal informées, n’est pas de bon augure pour les cinq ans à venir. Par le passé, pour l’essentiel, les ministres investies du portefeuille « droits des femmes » se sont posées en rempart contre les velléités de restrictions budgétaires susceptibles de les affecter, arguant à juste titre qu’il serait injustifiable de toucher à un budget déjà indigent par rapport à la tâche à accomplir. Quels que soient leur bord politique et leurs prédisposions de départ, les anciennes ministres ont été gagnées, au moins sur la question budgétaire, par la réalité du terrain et se sont peu ou prou fait les avocates des associations, y compris en tirant profit de nos mobilisations pour mieux faire entendre leur voix au sein du gouvernement.
Qu’un secrétariat d’Etat en charge des droits des femmes « prenne acte » sans protester d’une telle saignée dans son budget propre, coupe sans aucune comparaison avec l’économie attendue des autres programmes de l’Etat, est inédit.
Une lettre de Mme Schiappa du 21 juillet à Gérald Darmanin, ministre du budget et des comptes publics, réitérant sa décision de ne pas baisser les subventions des associations « luttant contre les violences sexistes et sexuelles » peut cependant être vue comme un acte de résistance, tardif mais bienvenu. Il ne faudrait pas qu’il soit le dernier.
Nous n’avons toujours pas obtenu de données claires sur les arbitrages que cette coupe budgétaire impliquera et, si Mme Schiappa s’est engagée à un soutien financier stable des associations « luttant contre les violences sexistes et sexuelles », têtes de réseau comme associations directement en contact avec les victimes, aucune garantie n’est apportée aux services de l’État chargés de décliner les orientations prises par l’exécutif. Nos inquiétudes portent donc autant sur le secteur associatif qui n’est pas directement investi dans la lutte contre les violences (sans pour autant que nous puissions précisément l’identifier puisque toute action en faveur de l’égalité contribue à lutter contre les violences faites aux femmes) que sur l’avenir du SDFE lui-même et son réseau déconcentré, indispensable à l’impulsion et la réalisation de projets sur l’ensemble du territoire.
Des engagements… mais toujours aucune nouvelle de la subvention de l’AVFT
A ce jour, la convention pluriannuelle d’objectifs (CPO) qui lie réciproquement l’AVFT à l’État depuis exactement vingt ans(3)n’a toujours pas été signée et a fortiori nous n’avons reçu aucun versement. C’est un comble, alors qu’entre septembre 2016 et mars 2017 un dialogue, indicateurs à l’appui, s’était instauré entre l’AVFT et le SDFE, dans la perspective d’une augmentation de subvention, pour laquelle tous les voyants étaient au vert.
Cette augmentation devait répondre à une saturation de l’association devenue chronique, que nous avions dénoncée en 2014, puis de nouveau dans une lettre du 17 janvier 2017 adressée à Mme Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Par mail du 11 juillet dernier, Joanna Kocimska, présidente de l’AVFT, s’enquerrait de nouveau de l’avancée de notre dossier de subvention. En dépit des engagements publics de Mme Schiappa la semaine dernière, aucune réponse n’y a été apportée.
Qu’on ne s’y trompe pas : la finalité d’une association comme l’AVFT n’est certainement pas de pouvoir exister ad vitam æternam, mais au contraire de permettre l’émergence d’un monde sans violences masculines à l’encontre des femmes dans lequel nous pourrions vaquer à d’autres occupations. Ce n’est, semble-t-il, pas demain la veille.
Joanna Kocimska, présidente et Marilyn Baldeck, déléguée générale
Mise à jour septembre 2017 : l’AVFT a touché sa subvention 2017 le 7 septembre
Notes
↑1 | Services déconcentrés dont dispose la secrétaire d’État pour l’application de sa politique. |
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↑2 | Le Monde, 19 juillet 2017 |
↑3 | Cette convention triennale avait été mise en place après une grève de l’AVFT, provoquée par le projet gouvernemental de supprimer son soutien financier à l’association, en 1996. |