L’AVFT a orienté Mme M, victime de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles dans le cadre de son travail, vers une avocate spécialisée, Me Agnès Cittadini, afin qu’elle fasse valoir ses droits devant le Conseil de prud’hommes.
L’audience et le délibéré
Un procès s’est tenu le 31 janvier 2017 devant la quatrième chambre de la section activités diverses du Conseil de prud’hommes de Paris.
Me Cittadini avait informé le Conseil que sa cliente n’était pas présente du fait d’une hospitalisation. Le président, Gérard Ladreit de Lacharrière, lui avait alors demandé si elle avait un rhume, alors même que son hospitalisation en psychiatrie était liée aux violences dont elle a été victime.
Me Cittadini avait ensuite été interrompue de manière intempestive, le président n’ayant eu de cesse de critiquer et commenter sa plaidoirie, et de dénigrer Mme M : « Elle a subi du harcèlement sexuel depuis 2009 ? ça l’a minée cette pauvre petite dame ! », rendant impossible tout exposé des moyens de fait et de droit.
Pendant la plaidoirie de la défense, le président avait cru bon préciser que dans sa carrière, il avait eu à juger dix ou douze dossiers de harcèlement sexuel, mais que seuls deux étaient « vrais ». Il illustrait son propos en citant le cas d’une salariée qui se serait plainte de harcèlement sexuel alors que son supérieur hiérarchique l’avait invitée à boire un café.
Tandis que l’avocate de l’employeur – qui n’a d’ailleurs pas brillé par sa consororité – rebondissait sur les propos du président en indiquant que Mme M. accusait son ex-employeur de harcèlement sexuel pour un regard dans son décolleté(1), le président faisait remarquer que les décolletés servaient à cela et que si les femmes ne souhaitaient pas que cela arrive elle n’avait qu’à pas en mettre.
Me Cittadini avait alors demandé que ces propos soient notés au plumitif(2), ce que la greffière avait fait malgré le refus du président.
Une avocate présente dans la salle d’audience s’était levée pour manifester sa vive réprobation face au comportement du président.
Le délibéré fût sans surprise : Mme M. a été déboutée de toutes ses prétentions, décision dont elle a interjeté appel.
Le jugement
Le jugement, dont nous venons de prendre connaissance, véhicule également la hargne et le mépris du président vis à vis des victimes de harcèlement sexuel et de celles qui les défendent :
« Me Agnès Cittadini, conseil de Mme M., plaide uniquement le harcèlement sexuel et développe à la barre des faits crus et indécents pendant au moins une heure(3)».
Tout est dit dans cette phrase : ce qui insupporte ce président n’est pas le harcèlement sexuel lui-même, mais qu’il soit combattu. Il utilise le meilleur moyen de désarmer les victimes et leurs défenseuses – il est peu probable qu’il aurait osé se comporter ainsi avec un avocat homme : il leur dénie le droit de prendre la parole, et quand elles le font, projette sur elles l’indécence du harceleur.
Nous reproduisons in extenso un autre extrait qui démontre l’hostilité du président :
« Le conseil note pièce n° 149 en demande datée du 4/08/16 de Mme Françoise Baissus 1er vice-procureur :
« J’ai classé la plainte de Mme M au motif : irrégularité de la procédure(4) en raison de la perte de l’original de la procédure ».
Le conseil constate :
L’OPJ chargé de l’enquête se voit dans l’obligation de clore le dossier sans prendre de décision pour ou contre le harcèlement.
Le procureur clos le dossier sans suite.
Le conseil dit : le droit – les faits – les preuves.
En droit :
– Vu l’article 40-1 paragraphe 3 du code de procédure pénal(5) : « le procureur lorsqu’il estime que les faits qui ont été porté(6)à sa connaissance en application des dispositions de l’article 40 alinéa 3, soit de classer sans suite la procédure, dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifie ».
– Il n’y a donc pas de harcèlement sexuel et moral pour le procureur de la république. »
Le jugement contient donc un mensonge éhonté : A aucun moment le parquet n’a affirmé que le harcèlement sexuel était inexistant, il s’est contenté de perdre le dossier de Mme M.
En tout état de cause, un classement sans suite ne signifie pas l’absence d’infraction et, de jurisprudence constante, n’a aucune incidence sur les jugements prud’homaux.
Par ailleurs, à force de persévérance de Me Cittadini et de l’AVFT, le parquet a remis la main sur le dossier et a décidé du renvoi de l’employeur de Mme M. devant le Tribunal correctionnel.
Les suites
Agnès Cittadini a porté ces faits à la connaissance de la procureure générale de Paris, de la présidente du Conseil de prud’hommes de Paris, du bâtonnier du conseil de l’ordre des avocats de Paris et a saisi le Défenseur Des Droits. Ce dernier a transmis sa réclamation au Garde des Sceaux et à la première présidente de la Cour d’appel pour l’engagement d’une procédure disciplinaire.
Partie civile dans la procédure pénale, l’AVFT a découvert dans le dossier pénal une lettre de François Molins, procureur de la République de Paris, adressée à la première présidente de la Cour d’appel et à la Procureure Générale, dans laquelle on peut lire : « Les propos à caractère sexuel, et en outre désobligeants pour Madame M, sont inadmissibles. Ils constituent un manquement grave aux devoirs de son état de conseiller prud’homme, dans l’exercice de ses fonctions ». Cette lettre nous apprenait également que M. Ladreit de Lacharrière a fait l’objet de poursuites disciplinaires en 2014, « après un avis de censure émis par l’assemblée de la 2ème chambre des activités diverses du conseil de prud’hommes« , pour un motif qui n’est pas précisé.
Les agissements de ce conseiller sont en effet d’une exceptionnelle gravité et sont incompatibles avec la poursuite de ses fonctions au Conseil de prud’hommes de Paris.
Ils font écho à ceux que Mme M. était venue dénoncer en saisissant le Conseil de prud’hommes.
Il contreviennent à l’exigence de procès équitable et d’impartialité des juges garantis par l’article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) ». Impartialité dont les conseillers prud’hommes ne sont pas exemptés et qui est caractérisée « dès lors que le for intérieur se manifeste et prend la forme de « préjugements » ou de préjugés », lorsque « par sa démarche ou son jugement, le juge a manifesté sa personnalité d’une façon qui soit de nature à faire douter les parties de son impartialité (7)».
Une telle attitude est un repoussoir pour les victimes de violences sexuelles au travail, qui déjà ne saisissent la justice que dans de très faibles proportions.
Elle constitue une atteinte aux conditions de travail des personnes, et plus particulièrement des femmes, qui sont obligées de travailler avec lui au Conseil de prud’hommes. La greffière de l’audience s’en est d’ailleurs plainte dans une « fiche descriptive d’incident » : « Avant la reprise, j’ai demandé à Monsieur Ladreit de La Charrière de cesser pour le reste de l’audience d’avoir ce type de propos qui m’ont également choquée et mise mal à l’aise, lui indiquant que rien dans ma fonction de Greffière et dans ma condition de femme ne justifiait que j’ai à subir de tels propos qui sont pour ma part intolérables ».
Le MEDEF, syndicat auquel il appartient, doit se désolidariser de lui, ne plus le mettre au rôle du Conseil de prud’hommes.
Il doit être sanctionné sur le plan disciplinaire et dans l’hypothèse où son syndicat le présenterait à nouveau, les ministres du travail et de la justice ne doivent pas le reconduire pour la prochaine mandature, qui commence dans trois mois. A défaut, la certitude, partagée par nombre de femmes, qu’elles ne peuvent faire confiance dans l’institution judiciaire, et le sentiment d’impunité des harceleurs sexuels, seraient renforcés.
Les unions départementales parisiennes de la CFDT, de la CGT et de l’UNSA s’associent à la présente démarche.
Contact AVFT : Marilyn Baldeck, déléguée générale, 06 09 42 80 21
Mise à jour 24 octobre 2017 : Nous avions écrit le 4 octobre à Jean-Louis Schilansly, président du MEDEF de Paris, pour l’interroger sur l’avenir de M. Gérard Ladreit de Lacharrière au sein du MEDEF. Il nous a répondu que celui-ci « ne figure pas sur la liste MEDEF que nous avons transmise en septembre à la Direction Générale du Travail pour le mandat à venir » et que notre lettre a été transmise au président du Conseil des Prud’hommes, président de la Cour d’appel et au procureur de la République, à qui incombent les poursuites disciplinaires à son encontre en tant que conseiller prud’hommes. En revanche, M. Schilansky ne dit rien d’une éventuelle exclusion de M. Ladreit de Lacharrière du MEDEF.
Notes
↑1 | Il ne s’agit évidemment pas « que » de cela. |
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↑2 | Une feuille d’audience qui rend compte du procès. |
↑3 | Ce qui est au demeurant faux, Me Cittadini n’en ayant pas eu l’occasion. |
↑4 | Les parties en gras sont d’origine. |
↑5 | Les fautes sont aussi d’origine. |
↑6 | Idem. |
↑7 | Voir l’étude la Cour de cassation sur l’impartialité des conseillers prud’hommes. |