Conseil de prud’hommes de Paris, 4 mars 2011

Mme Ch. est embauchée en juin 1994 en qualité de coiffeuse mixte par M. P, gérant d’un salon de coiffure Jean Louis David, constate rapidement que M. P interroge le personnel féminin sur leurs « pratiques sexuelles » : « Qu’est ce que vous faites au lit? Est ce que vous sucez, est ce que vous pratiquez la sodomie ?».

  • De retour de congés maternité, Mme Ch. est harcelée et agressée sexuellement par M. P de 1996 à 2006. Les faits ont consisté en des remarques sur sa vie privée : « Vous ne profitez pas de la vie, vous avez connu votre mari très jeune, vous ne connaissez qu’une seule bite, votre mari est petit, je suis sûre qu’il a une petite bite, comment vous me trouvez physiquement, vous trouvez pas que j’ai de beaux yeux, ça vous ferait du bien d’aller voir ailleurs, pratiquez-vous la sodomie ? ».
  • Des violences verbales sexistes : les journées de travail de Mme Ch sont ponctuées d’injures sexistes proférées par M. P : « Gros cul, salope », notamment, lorsqu’elle le repousse ou se déporte pour éviter les attouchements sexuels. « De 9h à 18h je fais ce que je veux de vous, vous m’appartenez pendant neuf heures ». « Passez un coup de balai esclave, chienne ». « Salope, gros cul, grosses cuisses, vous allez casser mon carrelage avec votre gros cul, petits seins, cuisses avec de la cellulite ».

Des regards insistants et déshabilleurs, et invitations à visionner des sites pornographiques. Quant aux agressions sexuelles, M. P lui touche souvent par surprise les seins, les fesses, notamment lorsque Mme Ch. a ses deux mains occupées à faire le shampoing à une cliente ; en effet M. P arrive par derrière et frotte son sexe contre ses fesses. Il la convoque parfois dans son bureau où il tente de l’embrasser de force sur la bouche après avoir fermé la porte, en murmurant : «Laissez-vous faire».
En conséquence de ces agissements, Mme Ch. souffre à partir de 2003 d’une dépression nerveuse et fait une tentative de suicide en octobre 2005. Cela n’empêche pas pour autant M. P de l’agresser sexuellement lorsqu’elle reprend le travail à l’issue de son arrêt maladie. Il lui saisit violemment et par surprise les seins avec une telle force qu’elle hurle « Lâche moi ». De novembre 2005 à mars 2006, M. P exerce des brimades à son encontre; il s’abstient notamment de lui adresser la parole et interdit aussi à l’équipe de le faire. Lorsque Mme Ch. tente en avril 2006 d’avoir une explication avec M. P, celui-ci saisit cette occasion pour réitérer ses agissements :
« Bonjour salope, ça y est, vous êtes à nouveau forte, vous n’allez pas refaire une dépression et dire à votre mari dès ce soir que je vous ai traitée de salope ». « Vous vous cachez derrière un doigt, vous n’aimez plus votre mari comme au début, votre dépression vient de là », puis il la saisit soudainement par le visage et tente de l’embrasser de force sur la bouche en disant : « Franchissez le pas, embrassez moi », mais elle réussit à se dégager et à le repousser.

En septembre 2006, Mme Ch. craque et prend acte de la rupture de son contrat de travail. Sa plainte déposée pour harcèlement sexuel le 24 septembre 2006 est classée sans suite le 10 décembre 2009, soit plus de trois ans plus tard.

Le 24 mars 2010 elle saisit le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement nul.

Me Cittadini, avocate de Mme Ch. est vivement prise à partie par le président du Conseil visiblement très mal à l’aise lors de sa présentation des faits : «Arrêtez maître, les propos sont indécents ». Un des conseillers vole à son secours : «Pour ce genre d’affaire vous pouvez demander un huis clos ». Me Cittadini rétorque : «M. Le président, je choisis pour ma cliente la défense que j’estime adaptée et les propos, je vais les citer, parce que ma cliente les a entendus presque tous les jours et pendant plusieurs années».

Pendant la plaidoirie de Me Cittadini, le président avait la tête baissée et ne l’a relevée que pour poser des questions stéréotypées sur la salariée, pour interroger son comportement au lieu de celui de l’agresseur : « Pourquoi elle est restée 10 ans ? Pourquoi attendre quatre ans pour saisir le Conseil? ».

Gisèle Amoussou qui représentait l’intervention volontaire de l’AVFT s’est attachée à déconstruire les stéréotypes avancés par le Conseil et expliquer les différentes contraintes qui pèsent sur les victimes et qui déterminent leurs réactions ou absence de réaction.

L’avocate de l’employeur exclut l’existence du harcèlement sexuel, en raison du classement sans suite de la plainte de Mme Ch. Puis elle conclut au rejet de la demande de requalification formulée par Mme Ch. considérant que sa démission est non équivoque.

Le 4 avril 2012, le Conseil de prud’hommes déboute Mme Ch et l’AVFT de leurs demandes. Il met en doute les faits dénoncés par la salariée et il les balaie d’un revers de main. Il qualifie d’ « hallucinantes » les attestations produites en faveur de Mme Ch. par quatre collègues témoins directs des agissements de M. P pour retenir exclusivement les attestations produites par deux clients en faveur de M. P, et s’affranchissant de toute analyse, considération et motivation juridique, il rend une décision de débouté fondée sur des préjugés :

«Comment peut-on imaginer (sic) qu’un chef d’entreprise puisse dire aux clients du salon que C. était amoureuse de lui, qu’elle ne baisait pas avec son mari parce qu’il baisait mal, avait une petite quéquette comparé à lui?». «Il est douteux qu’une victime de harcèlement s’inquiète à ce point de la santé de son harceleur, prenne régulièrement le café avec lui comme l’atteste M.W. client du salon et l’invite à dîner avec sa compagne». « Enfin peut-on raisonnablement penser que Mme Ch aurait accepté d’être harcelée pendant 12 ans, alors qu’elle exerce une activité dont on sait bien qu’elle offre des débouchés pour les bons professionnels, ce qu’était la salariée aux dires des clients du salon». « Mme Ch apparaît comme une personne tourmentée ayant souffert d’un manque d’intérêt de son employeur pour sa personne. C’est probablement (sic) de ce constat que Mme Ch a échafaudé un scénario tendant à stigmatiser son employeur en l’embarquant dans une procédure pénale qui ne pouvait qu’aboutir à un classement sans suite, tant étaient invraisemblables et contradictoires les dires de tous ceux qui ont participé à cette affaire scabreuse ».

Mme Ch et l’AVFT ont relevé appel de ce « jugement ».

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