ORDONNANCES TRAVAIL : Plus qu’un an pour contester la rupture du contrat, même liée à du harcèlement sexuel ?

Les femmes qui saisissent le Conseil de prud’hommes contre leur employeur parce qu’elles ont été victimes de harcèlement sexuel le font, en règle générale sur plusieurs fondements. Elles demandent réparation de leur préjudice moral (et sexuel) du fait du harcèlement sexuel ; la condamnation de leur employeur car il a manqué à ses obligations après qu’elles ont dénoncé le ou les harceleurs ; la reconnaissance de l’illégalité de leur licenciement en lien avec le fait qu’elles ont subi et/ou dénoncé du harcèlement sexuel.

Elles ont deux ans pour saisir le conseil de prud’hommes pour les actions portant sur l’exécution du contrat de travail(1) ce qui est le cas par exemple si elles reprochent à leur employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat : il ne les a pas protégées, n’a pas fait d’enquête, n’a pas de politique de prévention etc.

Elles ont cinq ans pour demander réparation des préjudices liés aux faits de harcèlement sexuel en eux-mêmes car il s’agit de la réparation d’une discrimination(2).

Mais rares sont celles qui restent en poste et attaquent leur employeur sur les deux fondements précédents que leur contrat de travail n’ait été préalablement rompu.
En effet, les femmes qui saisissent l’AVFT (en nombre depuis plusieurs semaines) ont ou vont, pour une grande majorité d’entre elles, être licenciées ou devoir rompre leur contrat de travail du fait des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir dénoncés.

Elles sont la plupart du temps en arrêt-maladie, depuis des jours, semaines ou mois et font face à l’inertie de leur employeur suite à leur dénonciation, ou à l’impossibilité de revenir sur un lieu de travail où elles ont été harcelées et n’ont, pour certaines, pas été soutenues par leurs collègues, lesquels ont parfois témoigné contre elles. Sans compter celles qui doivent retourner travailler dans le service et/ou sous les ordres de celui qu’elles ont mis en cause car il n’est pas licencié. Elles font l’objet de mutations, sanctions discriminatoires sous couvert de protection, perdent confiance en la capacité de leur employeur à protéger leur santé et leur sécurité.

Elles seront bien souvent déclarées inaptes par la médecine du travail et licenciées pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elles peuvent aussi prendre acte de la rupture de leur contrat de travail aux torts de l’employeur quand il a gravement manqué à ses obligations.

Certaines sont carrément licenciées pour faute, soit que le harceleur est parvenu à les pousser à la faute professionnelle et à monter un dossier disciplinaire contre elles avant leur arrêt-maladie, soit que l’employeur considère qu’elles ont commis une dénonciation calomnieuse en dénonçant des faits qu’il prétend (sans aucune preuve en ce sens !) faux.

Quel que soit le mode de rupture du contrat de travail, elles pourront contester cette rupture devant le conseil de prud’hommes et demander qu’elle soit déclarée nulle puisqu’en lien avec du harcèlement sexuel.

Se pose alors la question du délai pour agir.

La contestation de la rupture : un an ou cinq ans ? 

Les ordonnances travail, tant critiquées par l’AVFT ces dernières semaines, continuent de nous donner quelques sueurs froides.

La volonté de réduire le délai de prescription pour contester un licenciement ne date pas des ordonnances travail. Ce délai a en effet été réduit de manière vertigineuse ces dix dernières années. Jusqu’en juin 2008, les salarié.es avaient 30 ans pour contester leur licenciement. La loi du 17 juin 2008 a divisé ce délai par six pour le ramener à 5 ans. Puis la loi du 14 juin 2013 a encore divisé ce délai, ramené à deux ans.

Depuis le 22 septembre 2017, date d’entrée en vigueur des ordonnances, ce délai est à nouveau divisé par deux. L’article 1471-1 (alinéa 2) du Code du travail dispose désormais : « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

L’article précité ne prévoit aucune dérogation, même en cas de harcèlement sexuel ou de discrimination.

Or l’article L.1134-5 du Code du travail dispose que le délai est de cinq ans en cas de contestation d’un acte discriminatoire. De notre point de vue, le licenciement intervenu à l’encontre d’une salarié.e ayant subi, refusé de subir, relaté ou témoigné de faits de harcèlement sexuel est un acte discriminatoire qui devrait pouvoir être contesté pendant cinq ans. C’est également la position du Défenseur Des Droits.

Un an pour contester la rupture du contrat de travail après du harcèlement sexuel, c’est en tout état de cause beaucoup trop court. A peine le temps de se remettre du traumatisme, de souffler, de se relever, de tenter de reconstruire un projet professionnel, de rassembler des éléments pour son dossier, d’envisager ce recours en consultant un ou des avocat.es, qu’il faut au plus vite partir au front.

Celles qui auront le réflexe, l’énergie, que la santé permettra de réagir vite en contactant l’AVFT ou en prenant rapidement rendez-vous avec un.e avocat.e pourraient faire valoir leurs droits.

Pas les autres.

Faute d’une dérogation explicite dans le Code du travail, le délai de prescription applicable fera l’objet de débats âpres et insécurisants pour les victimes devant les Conseils de prud’hommes.

La politique de l’État en faveur de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, malgré toutes les annonces, rejoint peu l’intérêt des femmes quand on y regarde de près.

Les délais de prescription au pénal ont été allongés pour toutes les infractions(3), mais c’est surtout en matière de violences sexuelles que cet allongement va permettre à l’effet bâillon de ces violences de s’estomper avec le temps. Or une femme qui n’aura pas encore été en mesure de porter plainte trois ans après une agression sexuelle au travail n’aura sûrement pas non plus été en mesure de contester aussi rapidement le licenciement qui en est résulté.

Heureusement, le président de la République a décrété que la grande cause « égalité femmes-hommes » du quinquennat commencerait, en 2018, par une lutte accrue contre les violences sexistes et sexuelles. Vivement l’année prochaine.

Laure Ignace

Notes

Notes
1Article L. 1471-1 alinéa 1 : « Toute action portant sur l’exécution (du contrat) se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Ce délai n’a pas été modifié avec les ordonnances travail.
2Article L.1134-5 Code du travail : « L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ».
3La loi du 27 février 2017 a allongé les délais de prescription des délits à 6 ans (au lieu de trois) et des crimes à 20 ans (au lieu de dix). Le Président de la République s’est prononcé le 25 novembre 2017 en faveur d’un allongement de la prescription des crimes sexuels sur mineur.es à 30 ans au-delà de la majorité (au lieu de 20 après la majorité actuellement).
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