De la liberté (d’expression) des associations féministes

Ce texte a été débattu et approuvé à l’unanimité par l’assemblée générale annuelle de l’association réunie le 25 avril 2018

Le 4 avril 2018, nous avons découvert qu’interrogé par le Canard Enchaîné sur le devenir des demandes de subventions à la hausse formulées par le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) et l’AVFT, le secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes annonçait une hausse de subvention pour le CFCV et s’agissant de l’AVFT, ne répondait pas à la question mais affirmait que Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, serait une « opposante politique(1)».

Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas obtenu de réponse à cette demande d’augmentation de subvention. Si elle ne prospérait pas, nous en suspecterions les véritables raisons.

Nous ignorons dans quelle opposition politique la personne qui répond à cette interview, membre du cabinet de la secrétaire d’État – et qui s’exprime off – classe la déléguée générale de l’AVFT.

L’AVFT a déjà été accusée de tout et son contraire, en fonction des intérêts de l’accusation : tantôt réac de droite (revendications de l’association en matière de loi pénale obligent), tantôt gaucho-bolchevique (mise en cause des dispositions des ordonnances réformant le Code du travail restreignant les droits des victimes de harcèlement sexuel).

Marilyn Baldeck a par le passé déjà été personnellement attaquée sur une prétendue appartenance politique personnelle pour tenter de fragiliser l’action de l’association dans une procédure contre un homme politique. Il était sénateur, maire, membre du Parti Socialiste et agresseur sexuel, condamné définitivement par la Cour d’appel de Paris à l’encontre d’une agente municipale.

C’est une technique de défense régulièrement utilisée par les agresseurs, visant à jeter le discrédit sur l’association et partant, sur les victimes.

A la même époque, l’AVFT soutenait la victime d’un maire communiste du nord de la France, condamné lui aussi. Actuellement, l’AVFT est partie civile dans plusieurs procédures mettant en cause des hommes politiques classés à droite et soutient des femmes qui ont porté plainte contre des hommes politiques « de gauche ».

Ils n’ont jamais réussi à démontrer la moindre proximité de l’AVFT avec un parti ou une mouvance politique. Et pour cause. Il n’y en a jamais eu, en 33 ans d’existence. Tout au plus nous ont-ils fait perdre du temps en brassant de l’air.

C’est cette indépendance politique qui garantit qu’aucun conflit d’intérêt ou de loyauté ou même de liens d’amitié ne vienne entraver le soutien que nous apportons aux victimes, quelles que soient leur sensibilité politique ou celle de celui qu’elles accusent. Ou que l’analyse que nous faisons des politiques publiques est libre quelle que soit la couleur politique du gouvernement.

L’indépendance de l’AVFT par rapport aux partis politiques est une question de principe, qui se double d’une réalité : aucun parti politique, pas plus aujourd’hui qu’hier, quel qu’en soit le bord, ne peut sortir indemne d’un examen critique féministe. Il achopperait soit sur l’absence totale ou quasi-totale de programme spécifique en matière de droits des femmes, soit sur le grand écart entre les actes et les paroles du parti et les engagements de ses représentant.es, ou encore sur ses prises de position, rédhibitoires du point de vue des valeurs et intérêts que nous défendons.

Cette indépendance est tellement identitaire de l’AVFT qu’on peut raisonnablement se demander si celles et ceux qui nous reprochent des accointances politiques y croient vraiment.

Par conséquent, si « l’opposition politique » est en réalité l’autre nom de l’indépendance politique, alors nous ne réfutons point cette appréciation et rappelons que les relations entre l’État, les collectivités territoriales et les associations sont encadrées par une « charte d’engagements réciproques » qui prévoit que « l’État et les collectivités territoriales » « reconnaissent » « l’indépendance associative et font respecter ce principe » ainsi qu’« une fonction d’interpellation indispensable au fonctionnement de la démocratie ».

Cette « fonction d’interpellation » de l’AVFT ne peut par ailleurs être réduite à une opposition de principe. L’association a toujours fourni un travail de recherche et des propositions législatives fondés sur des constats et analyses ancrés dans le réel – d’aucuns diraient « pragmatiques » – dont certains ont abouti à des modifications législatives déterminantes pour les droits des femmes, qui concernent d’ailleurs toutes les femmes, et pas uniquement les victimes de violences sexuelles au travail.

Sans que cela puisse être comparé, la confusion entre liberté d’expression et l’appartenance à un (autre) camp politique n’est hélas pas l’apanage des hommes et femmes politiques.

Jeudi 12 avril était diffusé un reportage d’Envoyé Spécial consacré à la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes. Une brève interview de la déléguée générale de l’AVFT était précédée d’une voix off la présentant comme « engagée à gauche ». Questionnée par nous sur cette présentation hors-sujet et alimentant les attaques de la secrétaire d’Etat, la journaliste se défend d’avoir « parlé d’appartenance à un parti », dit n’avoir pas « le sentiment d’avoir déformé le réel » en évoquant « un ancrage intellectuel dans une sensibilité de gauche» « plus compréhensible pour les téléspectateurs » (sic), sensibilité notamment liée à la critique par l’AVFT des « ordonnances travail ».

Que certains positionnements de l’AVFT, et singulièrement les analyses critiques que nous avons portées depuis plusieurs années sur l’impact des réformes du droit du travail sur les droits des victimes de harcèlement sexuel, se superposent avec des revendications ou certaines revendications «de gauche» ou syndicales, qu’elles se nourrissent et s’inspirent réciproquement, est une évidence.

Mais ils ne font toujours pas de l’AVFT et de ses représentantes des personnes appartenant à ou militant dans des structures de gauche, afin justement de ne pas être suspectées de prendre position dans une procédure en fonction d’intérêts partisans.

Dernière confusion à éviter : si l’AVFT est non-partisane politiquement, elle n’est, bien sûr, pas apolitique. Parce qu’elle est féministe.

Au nom du conseil d’administration,
de l’équipe salariée,
de l’assemblée générale de l’AVFT réunie le 25 avril 2018,

Joanna Kocimska, présidente

Notes

Notes
1Canard Echaîné, 4 avril 2017, Article d’Isabelle Barré
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