« Le prévenu a été définitivement relaxé des chefs de harcèlement sexuel, d’appels téléphoniques malveillants réitérés et de menaces de violences volontaires.
La Cour doit rechercher, à partir et dans la limite de la prévention, l’existence d’une faute civile ayant causé directement un préjudice personnel et certain aux parties civiles.
La Cour constate qu’il est établi par la procédure que M. A. a adressé des courriers, remis en original à la Cour, et laissé des messages téléphoniques, remis sur CD sous le contrôle d’un huissier, réitérés, à la partie civile pendant plusieurs années.
Malgré ses auditions par les services de police et les rappels à la loi, il a persisté dans ses agissements par l’envoi de courriers et par des appels téléphoniques réitérés en la suppliant de répondre, en l’insultant, ou en lui faisant des remarques à caractère sexuel sur son physique.
Les propos employés à l’égard de la plaignante tels que repris dans la prévention, à connotation sexuelle, ont été réitérés de façon malveillante pendant plusieurs années.
Il l’a aussi suivie près de chez elle et a déposé directement des courriers dans sa boite aux lettres, alors que Mme L. lui avait clairement signifié qu’elle ne voulait plus avoir de contact avec lui.
M.A. a aussi tenu des propos menaçants à l’encontre de Mme L. comme repris dans la citation. Il a expliqué aux policiers et devant le délégué du procureur qu’il voulait revoir la plaignante qui ressemblait à une femme qu’il avait aimée, qu’il ne supportait pas qu’elle refuse de le voir. Malgré ses promesses de ne plus l’importuner, il n’a cessé de le faire en des termes explicites et menaçants.
La Cour considère que par ses divers agissements M. A. a ainsi commis des fautes civiles qui ont occasionné un préjudice direct à la plaignante (…) la Cour estime, au vu des conclusions et explications de la partie civile, que son préjudice moral peut être justement évalué à la somme de 10 000 euros » (…)
La Cour condamne par ailleurs M. A. à verser 2000€ à la victime pour ses frais de procédure.
« S’agissant de l’AVFT, la Cour constate que par ses agissements, M. A. a commis une faute civile qui a causé directement un préjudice personnel et certain à cette association qui s’est régulièrement constituée sur le fondement de l’article 2-2 du code de procédure pénale ».
Elle a évalué le préjudice de l’association à la somme de 1000€ et a par ailleurs condamné M.A. à lui verser 1000€ pour les frais de procédure.
Cet arrêt, limpide, droit, simple, rendu par la devant la 9ème chambre de la Cour d’appel de Versailles est à l’image de l’audience bienveillante qui s’est tenue le 31 janvier 2018 devant trois magistrat.es à l’écoute, dont la rapporteuse avait lu et préparé le dossier et ainsi compris l’enfer enduré par Mme L. pendant cinq ans de harcèlement quasi-quotidien.
Une audience à total rebours de la douloureuse audience de première instance devant le Tribunal correctionnel de Nanterre
A l’issue des observations orales de l’AVFT représentée par Laure Ignace, juriste à l’association, le président de la Cour a exprimé sa curiosité pour notre travail et nos missions, a souligné la pertinence de l’intervention judiciaire de l’AVFT et s’est montré très intéressé par la découverte, à travers nous, du « stalking », terme anglo-saxon désignant le fait de traquer une personne.
Car c’est d‘une véritable traque qui a pris différentes formes, dont Mme L. a été la victime à partir du mois de juin 2010.
L’État français, au travers de l’institution judiciaire, a laissé Mme L. endurer cette traque durant plus de cinq années, en permettant à un harceleur sexuel de baigner dans l’impunité la plus totale.
Les preuves ne manquaient pourtant pas. Loin de là.
L’inertie de l’État
Lorsque Mme L. appelle l’AVFT le 16 novembre 2012, elle est à bout de nerfs devant l’inaction du parquet de Nanterre à faire cesser les agissements de M. A., marchand d’art à l’âge de la retraite, bénéficiant d’une grande renommée dans ce secteur et qui devait à l’origine lui transmettre les ficelles de son métier.
Il avait commencé à l’été 2010 à inonder sa boîte vocale de messages contenant notamment des propos à connotation sexuelle. Après plusieurs demandes expresses et vaines de Mme L. pour qu’il cesse son comportement, elle s’était présentée au commissariat de Boulogne-Billancourt afin de déposer une plainte le 3 décembre 2010. Le brigadier lui avait répondu qu’il ne pouvait prendre qu’une main courante car elle « n’avait pas de preuves ». Ce serait donc aux victimes d’apporter des preuves à la police, et pas à la police d’enquêter pour les rechercher… Par la suite, Mme L. a donc tout enregistré.
En juillet 2011, M. A. lui envoie une première lettre à son adresse personnelle, adresse qu’elle ne lui a jamais communiquée. Elle commence à prendre peur. Elle cesse totalement de travailler avec lui en septembre 2011 espérant qu’il se lasse et cesse de l’importuner mais elle est contrainte, en novembre 2011, de retourner au commissariat, toujours inondée de messages vocaux, jusqu’à saturation de sa boite vocale et destinataire entre temps de plusieurs lettres contenant des propos à caractère sexuel et des menaces si elle ne se montre pas « plus gentille ». Le brigadier refuse à nouveau d’enregistrer sa plainte et ne prend qu’une main courante malgré les nombreuses preuves matérielles qu’elle lui apporte.
Le 30 décembre 2011, Mme L. reçoit une lettre de M. A cette fois-ci non timbrée, signifiant qu’elle a été déposée directement dans sa boîte aux lettres. Cet acte est d’autant plus effrayant que l’accès à la boite aux lettres de Mme L. ne peut se faire qu’après ouverture d’une porte via un digicode et ouverture d’une seconde porte accessible après un interphone. Mme L. se rend compte qu’il est déterminé et que rien ne l’arrêtera ; elle se rend le jour-même au commissariat pour y porter plainte, coûte que coûte, accompagnée par une amie pour imposer sa demande. Elle y parviendra, enfin, non sans insistance auprès du brigadier ; elle est cependant obligée de céder sur la qualification ; sa plainte est prise pour « appels malveillants réitérés» plutôt que « harcèlement sexuel et menaces ».
M. A. n’est auditionné que le 7 mars 2012. Il reconnaît alors les faits et s’engage auprès de la police à ne plus appeler Mme L. Mais dès le lendemain les messages déferlent sur sa boîte vocale : « Même les putes sont plus respectables que toi », lui dit-il, par exemple. Les appels et les lettres continuent, plus menaçants, plus insultants et plus sexuels que jamais.
Le harcèlement devient « total » : M. A intègre son réseau professionnel, la prend en filature, frappe à la fenêtre de sa voiture lorsqu’elle est à l’arrêt à un feu rouge, la regarde manger par la fenêtre d’un restaurant lorsqu’elle déjeune avec un de ses amis… Ainsi exerce-t-il à son encontre une véritable traque ou « stalking », réalité depuis longtemps appréhendée par les anglo-saxons.
Sans nouvelles de la police, Mme L. dépose fin 2012 une seconde plainte contre lui, forte de 22 lettres reçues ou déposées chez elle et plus de 200 messages vocaux enregistrés sur CD. Elle écrit au procureur de la République de Nanterre pour l’informer directement des agissements de M. A et lui demander instamment d’agir. Elle ne recevra aucune réponse.
M.A. est finalement convoqué devant le délégué du procureur le 14 novembre 2012 dans le cadre de la première plainte de Mme L. Malgré toutes les preuves, M. A. n’écope que d’un simple rappel à la loi, ce dont Mme L. est informée par un courrier en mars 2013… et par un appel de M. A. en décembre 2012 qui la nargue en lui disant qu’elle ne pourra rien contre lui car la police fait ce qu’il veut.
Cette décision a (évidemment) un effet très limité sur M. A. Ce dernier laisse seulement un peu moins de traces qu’avant mais la traque continue : il se met à rôder dans le quartier de Mme L., surveillant ses habitudes auxquelles il fera référence dans ses lettres et messages afin qu’elle sache qu’il est là et peut surgir à tout instant ; un autre jour, il manque de la renverser, alors qu’elle traverse la rue, en déboulant avec sa voiture dans son quartier, justifiant (dans une lettre) sa présence par un rendez-vous dans un restaurant du coin ; ou encore il dépose une rose sur le pare-brise de sa voiture à l’occasion de la fête de son anniversaire alors qu’elle l’organise plusieurs mois après la date réelle, il se met à fréquenter les commerçants de son quartier ; il développe des « affaires » avec ses relations professionnelles, fait circuler de fausse rumeur pour entacher sa réputation professionnelle et s’arrange pour l’en tenir informée. Il envahit tous les pans de sa vie, elle n’est plus libre de ses mouvements. Mme L. est terrorisée, elle se retrouve encerclée.
Nous découvrons plus tard en recevant le dossier pénal que les preuves matérielles apportées par la victime n’ont même pas été retranscrites sur procès-verbal. Cette plainte fera l’objet d’un….nouveau rappel à la loi le 13 juin 2014 ! Le classement sans suite de la première plainte indiquait pourtant que M. A ferait l’objet de poursuites s’il réitérait les infractions.
Quatre ans après le début de ce « harcèlement sexuel total », la réponse du parquet de Nanterre est désastreuse.
L’action de l’AVFT
A l’AVFT, nous n’étions pas restées les bras croisés. Après réception en novembre 2012 de son récit, de toutes ses pièces et d’un tableau de plusieurs dizaines de pages retraçant les prises de contact du harceleur, nous avions reçu Mme L. en rendez-vous en février 2013 afin qu’elle nous fasse part des agissements de harcèlement sexuel et nous décrive le milieu professionnel assez particulier – celui de la vente de tableau de maîtres- dans lequel elle a rencontré M. A.
Pour faciliter l’accès aux preuves par le Tribunal, nous avions en effet aidé au déchiffrage et à la retranscription des 26 lettres quasi illisibles envoyées par M. A., ainsi que vérifié la retranscription de tous ses messages vocaux à laquelle Mme L. s’était consciencieusement astreinte depuis 2 ans pour avoir les preuves attendues par la police. Puis nous avons extrait de ces preuves les propos relevant de telle ou telle infraction. Laure Ignace, juriste en charge du suivi du dossier à l’AVFT, aidée d’une stagiaire, et Mme L. se sont partagées ce travail, titanesque : mis bout à bout, plus d’une semaine de travail à temps complet à trois ont été nécessaires pour y parvenir, aboutissant à un document de 64 pages pour les seuls messages vocaux.
Il était de notre point de vue inconcevable que le ministère public ne décide pas de poursuites à l’encontre de l’agresseur. Nous avons donc décidé d’adresser une lettre circonstanciée au parquet de Nanterre pour soutenir la seconde plainte déposée par Mme L.; Il fallait qu’il prenne ses responsabilité.
Alors que ce travail était bien entamé, nous apprenions le classement sans suite de cette plainte.
Il a donc été décidé d’une citation directe devant le tribunal correctionnel, qui a occasionné un travail colossal à Me Cittadini, avocate de Mme L, vers qui nous l’avions orientée, afin de reprendre et formaliser sous la forme d’une assignation toute la chronologie que nous avions travaillée avec Mme L., de la compléter, de tout vérifier et de refaire des allers-retours avec sa cliente.
La réception de l’assignation est le premier acte qui a permis de faire cesser tout contact et apparition de l’agresseur dans la vie de la victime. L’AVFT s’est constituée partie civile aux cotés de Mme L.
L’audience devant le Tribunal correctionnel de Nanterre qui s’est tenue, après plusieurs renvois, le 8 novembre 2016, a été d’une rare violence à l’encontre de Mme L. et de l’AVFT, qui ont à peine pu s’exprimer et ont été traitées en pestiférées par la magistrate, censée instruire le dossier. Nous avions commis un crime de lèse-justice en outrepassant les décisions de classement-rappel à la loi du parquet. La décision du Tribunal correctionnel, rendue le 10 janvier 2017, est, compte tenu du nombre de preuves versées au dossier, à la fois scandaleuse, inconcevable et pourtant sans surprise. Elle est également terrifiante pour Mme L., car une condamnation représentait pour elle le dernier rempart face aux agissements de l’agresseur, qui allait alors gagner en sentiment de toute-puissance et redoubler la terreur.
Faire appel était donc indispensable.
Pour que l’audience devant la Cour d’appel de Versailles se passe au mieux et que l’on puisse convaincre plus sûrement les juges, nous avons conseillé à Mme L. de faire constater par voie d’huissier une partie des messages vocaux laissés par M. A, dans le but de pallier les carences de l’enquête de police.
Autre obstacle, malheureusement si classique, qu’il a fallu surmonter : l’impossibilité absolue, pour Mme L, dans de grandes difficultés financières, de financer la procédure d’appel. Mme L. n’aurait pu persévérer plus longtemps sans la prise en charge des frais d’huissier et des honoraires de son avocate par la Fondation Axa Atout Cœur, sollicitée par l’AVFT par l’entremise de la Fondation des Femmes(1).
Huit ans après le début de son calvaire, Mme L. obtient enfin justice. Reste à obtenir de M. A. les sommes auxquelles il a été condamné… Une autre épreuve.
Laure Ignace, juriste
Notes
↑1 | Fondation des Femmes qui, grâce à une levée de fonds de 200 000€ dont 100 000€ au bénéfice de l’AVFT, co-financera le soutien que nous apportons aux victimes pour les trois prochaines années |
---|