Extraits :
Une semaine avant le procès d’un de ses amis, le directeur des services judiciaires a écrit une attestation de moralité en sa faveur. L’audience a été reportée à juin 2022.
La chancellerie a-t-elle tenté d’influer sur une affaire en cours ? Le procès pour exhibition sexuelle de monsieur B., 47 ans, ancien conseiller de Christiane Taubira et de Nicole Belloubet, a été reporté lundi 13 décembre après la réception par le tribunal d’une trentaine d’attestations de moralité en sa faveur. Parmi elles : celle de Paul Huber, intime du mis en cause, qui se définit comme magistrat et qui affirme n’avoir « jamais constaté » de la part de monsieur B. « des comportements déplacés ou inadaptés vis-à-vis des femmes ». Dans des déclarations précédentes faites à la police, il avait aussi déclaré ne pas « imagine » son ami « commettre de tels faits de nature pénale ». Pourquoi, dès lors, a-t-il tenu, en plus de son témoignage, à rédiger une attestation de moralité ?
Car Paul Huber n’est pas n’importe quel juge. Nommé directeur des services judiciaires (DSJ) par Éric Dupond-Moretti, quelques semaines après son arrivée place Vendôme à l’été 2020, il est en quelque sorte le patron de la chancellerie. Celui qui veille au « bon fonctionnement » de la justice, fait recruter les magistrats et gère leurs carrières. Dans ces conditions, son attestation de moralité, en faveur d’un de ses amis proches poursuivi pour exhibition sexuelle, et alors qu’une femme a porté plainte, apparaît-elle comme particulièrement maladroite. Aux yeux du tribunal d’abord qui, bien que composé de juges indépendants, peut difficilement ignorer, même s’il ne revendique pas cette qualité, que le DSJ en personne lui présente le mis en cause comme un homme bien sous tous rapports. Pour la plaignante, ensuite, qui allègue d’une violence sexuelle et qui se retrouve soudain face au poids de l’institution tout entière.
Aux côtés de Paul Huber, de nombreuses personnes – une avocate spécialisée en droit des femmes, des magistrats de l’ordre judiciaire et financier, une militante féministe et de nombreux anciens conseillers ministériels – ont ainsi témoigné pour le compte du prévenu qui a toujours nié les faits.
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En réalité, il n’y a pas de portrait-robot, pas de statut social qui épargne de ces violences. » Toujours selon Marilyn Baldeck, « le délit d’exhibitionnisme sexuel renvoie à un imaginaire collectif très différent des représentations associées au délit de harcèlement sexuel, notamment au travail. On imagine en effet volontiers que le harcèlement sexuel s’inscrit dans le cadre d’un rapport de pouvoir ou d’asymétrie statutaire (et donc de prise de contrôle), tandis que l’on rattache davantage l’exhibitionnisme sexuel au déséquilibre mental (et donc à la perte de contrôle) ».
« Or, précise l’experte, l’analyse des dossiers suivis par l’association le contredit toujours : les individus mis en cause dans des procédures pour exhibitionnisme sexuel dans le cadre du travail sont, selon les expertises auxquelles ils ont dû se soumettre, en pleine possession de leurs moyens intellectuels, sont connus pour la maîtrise d’eux-mêmes et appartiennent à des classes sociales auxquelles on attribue une parfaite identification des règles de bienséance, des codes sociaux admis et du franchissement de leurs limites. Ceci rajoute à la stupeur ressentie par les victimes. »
L’étrange jeu d’influence autour d’un ex-conseiller ministériel jugé pour exhibition sexuel, article de Marc Leplongeon in Le Point, 15 décembre 2021