Complaisance envers un gynécologue agresseur sexuel : le conseil de l’ordre des médecins fidèle à lui-même

Depuis le 6 janvier 2023 et jusqu’au 16 novembre 2025, la chaîne parlementaire met à disposition le documentaire « me too chez les médecins » de Xavier Deleu et Julie Pichot. Certaines des femmes victimes y témoignant ont été accompagnées par l’AVFT. Dans ce prolongement, nous nous faisons l’écho de la tolérance de l’ordre des médecins vis-à-vis de leurs confrères agresseurs sexuels.

En mai 2017, l’AVFT a été saisie par la Dr A., praticienne hospitalière victime d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel commis par son confrère gynécologue, le Dr B, avec qui elle co-gère une unité de grossesses à haut risque, dans un hôpital francilien.

Agression sexuelle et harcèlement sexuel

Environ un an plus tôt, dans un contexte de crise, l’unité étant en sous-effectif, la Dr A. est malade et fatiguée. Alors qu’elle est en salle des naissances, en présence d’autres collègues, le Dr B. arrive derrière elle, lui masse les épaules puis lui agrippe soudainement les seins. Face à la réaction de rejet de sa consœur, il prétexte l’humour.
La Dr A. dénoncera cette agression sexuelle auprès de son chef de service quelques jours après, qui ne réagira pas.

Début mai 2017, le Dr B. lui « caresse » la tête, ce qui déclenche chez elle une anxiété immédiate, lui rappelant cet épisode. Lorsqu’elle lui demande fermement de ne pas la toucher, il prétend un geste « amical », lui dit qu’elle « délire », qu’elle se méprend, qu’elle devrait « s’apaiser »…

Elle écrit alors un courriel à son chef de service, dans lequel elle dénonce de nouveau l’agression sexuelle commise l’année précédente, ainsi que ce dernier attouchement. Le lendemain, le Dr B. insiste pour lui parler dans son bureau, ce qu’elle refuse catégoriquement, ne souhaitant pas se trouver dans une pièce fermée avec lui. Il rentre toutefois dans son bureau, tandis que la Dr A. reste sur le pas de la porte. Il lui demande pourquoi elle est « violente » et lui reproche son attitude…

Suite à ces évènements, la Dr A. déclare un accident du travail et est arrêtée par son médecin pendant onze jours. Elle fait une demande de protection fonctionnelle auprès de l’hôpital, qui lui sera accordée en juin 2017. La directrice de l’établissement ouvre une enquête interne et suspend provisoirement le Dr B. Début juin, il est dispensé d’activité dans le cadre de l’enquête administrative interne diligentée suite à ces dénonciations.
Parallèlement, la Dr A. dépose une main courante à la police. Le procureur de la République décide d’ouvrir une enquête.

La santé de la Dr A. se dégrade, elle est arrêtée pendant plusieurs mois. Dans l’incapacité de reprendre son poste après un congé maternité, elle demande une mise en disponibilité d’un an pour convenance personnelle, qui est acceptée pour la période de septembre 2018 à septembre 2019.

D’autres victimes parmi le personnel…

Quatre d’entre elles révèlent que le Dr B. les a embrassées dans le cou ou leur a léché le cou par surprise, trois relatent qu’il leur a touché la poitrine par surprise en prétextant vouloir leur expliquer comment on réalise une échographie du cœur.

Parmi elles, l’une raconte qu’il lui a touché les fesses pendant qu’elle opérait, une autre qu’il lui a touché la cuisse sous la table, encore une autre qu’il a approché la chaise sur laquelle elle était assise pour coller son sexe contre son genou.

Sept collègues médecin et sage-femmes, dont six qui témoigneront auprès de l’ordre des médecins, relatent des violences similaires 

Ces agressions sexuelles ont été accompagnées de propos et comportements à connotation sexuelle ; le Dr B. a proposé à une collègue de s’asseoir sur ses genoux, a fait des sous-entendus sur des positions sexuelles, a affiché un tableau dans son bureau représentant un acte sexuel entre un cochon et une femme…

Une sage-femme expliquera au Dr A. qu’elle ne laisse jamais ses étudiantes seules avec le Dr B.

…Et les patientes

Mais ces comportements ne s’arrêtent pas au personnel ; des aides-soignantes des équipes de nuit relatent que le Dr B. étend son corps sur les patientes lors des révisions utérines(1). L’une raconte qu’une patiente lui a demandé « c’est normal ce qu’il fait le docteur ? J’ai cru qu’il allait me rouler une pelle ».

Synthèse de tous ces comportements, le personnel soignant a affublé le Dr B. d’un surnom : C’est « Monsieur Pouce », en raison des touchers vaginaux qu’elles l’ont vu pratiquer en enlevant le pouce de son doigtier pour toucher le clitoris de ses patientes.

Les victimes exclues des procédures contre les médecins du secteur public

Le 8 décembre 2017, l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France saisi la Chambre Disciplinaire de l’Ordre des Médecins, lui demandant de prononcer une sanction à l’encontre du Dr B.

Les articles L.4124-2 et R.4126-1 du Code de la santé publique disposent que « les médecins, chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit » et que « l’action disciplinaire contre un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ne peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l’une des personnes ou autorités suivantes : (…) Le conseil national ou le conseil départemental de l’ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction (…) Le ministre chargé de la santé, le préfet de département dans le ressort duquel le praticien intéressé est inscrit au tableau, le directeur général de l’agence régionale de santé (…) Un syndicat ou une association de praticiens (…) ».

En clair, les victimes elles-mêmes sont écartées de la procédure, une protection supplémentaire des médecins hospitaliers ayant commis des violences sexuelles.

Une sanction scandaleusement faible

Le 23 janvier 2019, c’est-à-dire, presque deux ans après la dénonciation des violences, la Chambre Disciplinaire de l’Ordre des Médecins « sanctionne » le Dr B. d’une interdiction d’exercer ses fonctions pour une durée d’un mois avec sursis. L’Ordre des Médecins n’informera pas la Dr A. de cette décision, qui l’apprendra au cours de la procédure pénale.

Dans cette décision, l’Ordre des Médecins reconnaît que « les faits reprochés commis à l’encontre des professionnelles sont suffisamment établis par les pièces du dossier », que ces faits « ne sont pas sérieusement contestés par le défendeur, qui n’apporte pas le moindre élément ou pièce de nature à faire douter des accusations portées contre lui ». D’ailleurs, le Dr B. n’a aucunement démenti l’existence des faits, il n’a que nié leur caractère illicite ; « le Dr B. ne conteste nullement le contenu de ces témoignages précis et concordants, se bornant à invoquer des moyens de procédure et à soutenir que les fautes, à les supposées avérées, ne constituent pas un manquement d’ordre déontologique passible d’une procédure disciplinaire ».

Ainsi, même après avoir pu établir les faits, un médecin ayant commis des violences sexuelles peut être maintenu à son poste. Les soignantes peuvent redouter qu’il recommence, qu’il exerce des représailles à leur encontre, de devoir travailler dans une ambiance délétère, d’être en état de vigilance constante quant à la sécurité des patientes, ou encore développer un état d’anxiété lié à l’injustice de son maintien dans le service, eu égard à la gravité des faits. 

Les patientes victimes écartées de la décision

L’Ordre des Médecins a aussi fait le choix incompréhensible d’écarter les patientes victimes ; « en l’absence de tout témoignage émanant des patientes elles-mêmes, les mêmes faits reprochés à l’encontre de celles-ci ne peuvent, en l’état du dossier, être retenus », alors même que plusieurs aides-soignantes de nuit ont été témoins des comportements du Dr B. à l’encontre de celles-ci.

Une décision à l’image de l’institution

Par cette décision, le Conseil départemental de l’Ordre des Médecins démontre une nouvelle fois sa complaisance avec les agresseurs ; en décembre 2020, Eugénie Izard, pédopsychiatre, était condamnée pour violation de secret médical par la même instance, pour avoir signalé les maltraitances d’un père médecin sur sa fille de huit ans, dont elle avait recueilli le témoignage. Son engagement lui a valu une condamnation d’interdiction d’exercer ses fonctions d’une durée de trois mois, sans sursis.

Quant au Dr A., son chef de service lui a appris, quelques mois après la décision, que son poste ne lui serait pas restitué à la fin de sa mise en disponibilité pour convenance personnelle, contrairement à ce qui avait été prévu.
Elle a déposé une plainte en septembre 2019 et s’est constituée partie civile.

En 2021, elle recevait une demande de recouvrement de l’Ordre des Médecins en vue de régler sa cotisation ordinale pour l’année 2019, après avoir pourtant demandé plusieurs fois d’en être exonérée. Sans commentaire.

Aux dernières nouvelles, la demande de recouvrement a été suspendue.

Et l’enquête administrative ?

Après avoir suspendu à titre conservatoire le Dr B et diligenté une enquête, la direction de l’hôpital envoi son rapport d’enquête et les éléments réunis au Centre National de Gestion, qui est chargé de sanctionner, de décider de la possibilité du mis en cause de continuer ou non d’exercer à l’hôpital, indépendamment de la décision de l’Ordre des médecins.

Le CNG ne s’est toujours pas prononcé.

Tiffany Coisnard, juriste chargée de missino


Une révision utérine est un acte médical effectué par un.e gynécologue ou un.e sage-femme survenant dans les vingt minutes après l’accouchement, dans le but de vérifier que le placenta a été expulsé.

Notes

Notes
1Une révision utérine est un acte médical effectué par un.e gynécologue ou un.e sage-femme survenant dans les vingt minutes après l’accouchement, dans le but de vérifier que le placenta a été expulsé
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