La Société Générale condamnée pour harcèlement sexuel : à quand sa prise de conscience sur le sujet ?

Depuis le 4 juin 2018, nous connaissons le montant des condamnations prononcées contre la Société générale par le Conseil de prud’hommes de Paris. Mais Mme D. a du attendre 10 mois la notification du jugement écrit qui contient la motivation de la décision, lui permettant enfin de poursuivre son combat contre le géant bancaire.

Nous pouvons donc le lire noir sur blanc : la Société générale est condamnée pour harcèlement sexuel, harcèlement moral et manquement à son obligation de sécurité à l’égard de Mme D., elle qui se bat depuis bientôt quatre ans pour faire valoir ses droits et faire réparer ses préjudices colossaux.

Contre toute attente, son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle n’a pas été requalifié en licenciement nul et n’est donc pas indemnisé alors que son lien avec les agissements de harcèlement sexuel et moral est évident. Mme D. et l’AVFT ont fait appel notamment sur ce point ; la Société générale, elle, a interjeté appel sur les condamnations prononcées à son encontre.

La bataille n’est donc pas terminée mais la première manche nous réjouit, tant la Société générale est mauvaise élève en matière de lutte contre les violences sexuelles commises en son sein.

Le harcèlement sexuel et la réaction désastreuse de l’employeur

Victime pendant plusieurs années d’agissements sexistes et de harcèlement sexuel, notamment environnemental, au sein d’une structure administrative du groupe Société générale à Lille, Mme D. est soutenue par l’AVFT dans toutes ses démarches depuis le 25 janvier 2016.

Les propos et comportements à connotation sexuelle commis par plusieurs collègues et supérieurs hiérarchiques qu’elle a subis ont consisté en des réflexions, insinuations et questions sur sa vie privée et sexuelle ; des injonctions et des remarques sur ses tenues vestimentaires ; des propos à connotation sexuelle dégradants ; un photomontage à caractère sexuel avec son visage sur le corps d’une femme à moitié nue ; l’imposition dans l’open space de blagues grivoises, de chansons à connotation sexuelle, de conversations à connotation sexuelle entre hommes commentant des femmes et enfin d’images à caractère sexuel.

A bout, elle a informé oralement son responsable de ce qu’elle subissait le 28 septembre 2015.

Alors qu’un protocole de traitement des plaintes – très critiquable – existe à la Société générale, la procédure de traitement de sa plainte n’était pas déclenchée. Elle était laissée sans aucune mesure de protection pour sa santé et sa sécurité à l’issue de cet entretien, son supérieur lui intimant de se taire.

Le lendemain midi, après une matinée épouvantable dans la même ambiance graveleuse combinée à une charge de travail écrasante, elle s’extirpait de son lieu de travail en état de sidération puis mise en arrêt par son médecin traitant. Elle n’a jamais pu reprendre son travail. Sa dépression a depuis été reconnue d’origine professionnelle. Quelques jours plus tard, elle a saisi sa direction par écrit puis a effectué une batterie de démarches auprès de professionnel.les (inspection du travail, médecine du travail, etc.)

La procédure interne était officiellement déclenchée en décembre 2015, soit trois mois après qu’elle avait informé son employeur ; l’enquête, elle, ne démarrait que fin février 2016. Quatre mois plus tard, il était conclu à l’absence de harcèlement sexuel alors même que Mme D. disposait de plusieurs preuves matérielles des agissements qu’elle avait révélés.

Elle s’est battue pendant des mois, avec le soutien de l’AVFT, pour être rétablie dans ses droits par l’entreprise. En vain. Devant l’incapacité de la banque à reconnaître les violences qu’elle a subies, devant l’absence de sanction de ses collègues(1) et après une procédure de reclassement désastreuse, elle a fini par être licenciée pour inaptitude médicale d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement en avril 2017.

Assistée par Me Agnès Cittadini, elle a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris quelques mois plus tard et l’AVFT est intervenue volontairement dans la procédure. L’audience s’est tenue le 17 avril 2018 dans de très bonnes conditions, les conseillers prud’homaux se montrant à l’écoute de nos arguments et l’avocate de la Société générale peinant à faire valoir les siens, inopérants face au dossier solide de Mme D.

Laure Ignace qui représentait l’intervention de l’AVFT a insisté sur la caractérisation du harcèlement sexuel « d’ambiance » dont Mme D. a été victime et que ses collègues qualifient d’ambiance potache, « d’humour ». Elle arguait de la tolérance aux propos sexistes et sexuels dont font preuve les supérieurs hiérarchiques du service par leur participation ou leur inaction face à ces agissements, organisant un terreau favorable au harcèlement sexuel. Elle faisait valoir enfin les manquements de l’employeur à toutes ses obligations tant en ce qui concerne la prévention, que le traitement des situations de violences sexuelles au sein de l’entreprise.

Nous pouvions d’autant plus faire état des défaillances structurelles de la banque que nous avions entre temps été saisies par deux autres victimes au sein des tours de la Défense qui faisaient face au même mépris de la direction de la banque. Nous avions à ce propos publié en mars 2018 un texte significatif du dialogue – de sourd – que nous avions tenté d’établir avec la Société générale que nous n’avions alors pas nommée, sur leur politique interne de lutte contre les violences sexuelles : https://www.avft.org/2018/03/15/violences-sexuelles-au-travail-lavft-aux-prises-avec-une-grande-banque-francaise/

Reconnaissance du harcèlement sexuel, du harcèlement moral et du manquement de la SG à son obligation de sécurité

La Société générale est condamnée à indemniser Mme D. à hauteur de 20 000€ en réparation du harcèlement sexuel dont elle a été victime. Pour cela, le Conseil retient au titre du faisceau d’indices, ce qui est regrettable, seulement les agissements à caractère sexuel pour lesquels Mme D. dispose de preuves matérielles : les photos et vidéos réalisées par ses collègues (dont son supérieur hiérarchique) au mois d’août 2015 sur le portable de Mme D . à son insu et qui ont fait l’objet d’un constat d’huissier.

Son supérieur lui disait dans l’une des vidéos : « Bon, où t’es encore aller traîner là ? T’es jamais à ta place putain, j’en ai marre. Je vais vraiment te foutre un GPS dans le trou, comme ça je saurai à chaque moment où tu te trouves (…)»

La grande classe ! Et un simple..avertissement au bout.

Le Conseil a également pris en compte un message électronique du 22 septembre 2015, intitulé « pour le plaisir des yeux », à destination de l’ensemble des salariés composant le service et contenant des photomontages à caractère pornographiques avec le visage d’une partie de l’équipe féminine.

La Société générale a également été condamnée à 10.000€ de dommages-intérêts pour harcèlement moral(2).

L’intérêt de ce jugement sur le plan du droit réside essentiellement dans la condamnation de l’entreprise à indemniser Mme D. à hauteur de 10.000€ pour le manquement à son obligation de sécurité de résultat.

Le Conseil motive ainsi sa décision : « Les articles L. 1152-4 et L.1153-5 du Code du travail mettent à la charge du chef d’entreprise une obligation de prévention du harcèlement pour en empêcher la survenance. Il appartient donc à ce dernier de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement moral et sexuel ».

Il relève que la Société générale ne produit pas le règlement intérieur de l’entreprise (qui doit comporter les dispositions légales en matière de harcèlement), que l’entreprise a reçu en octobre 2015 une lettre recommandée relatant les agissements dont Mme D. a été victime mais que la SG a attendu pour déclencher la procédure interne de prévention du harcèlement, tout en notifiant un avertissement au supérieur hiérarchique de Mme D. Le Conseil juge ainsi que l’employeur « a agit avec une inertie certaine et qu’il en est résulté un préjudice distinct de celui découlant des actes de harcèlement eux-mêmes ».

Mme D. entre dans sa 4ème année de combat et elle est loin d’en avoir terminé : la procédure pénale intentée contre les personnes qui ont exercé le harcèlement sexuel mais aussi contre la Société générale en qualité de personne morale patine et devrait reprendre bientôt ; par ailleurs Mme D. vient tout juste de saisir le Tribunal des affaires de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Laure Ignace

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Notes

Notes
1Hormis l’avertissement notifié à son supérieur, sanction dérisoire au regard de ce qu’il a commis et laissé se commettre au sein de son service.
2La motivation du Conseil de prud’hommes étant peu claire sur le harcèlement moral, elle ne sera pas rapportée ici. La Cour d’appel délivra sans nul doute une meilleure motivation.
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