Bilan de la campagne en soutien aux intermittentEs du spectacle

La campagne en chiffres :

 250 mails reçus, 130 réponses

 Une quinzaine de rendez-vous avec des femmes intermittentes victimes du nouveau protocole, avec les syndicats, une avocate, quatre journalistes, des représentants politiques (Brigitte Grésy, cheffe du Service des Droits des Femmes et Hubert Martin, directeur de cabinet en charge des affaires sociales de Jean Louis Debré, Président de l’Assemblée Nationale).

 Des dizaines d’échanges téléphoniques

 L’organisation d’une manifestation

 Un communiqué de presse

 Un recours gracieux

 Un recours devant le Conseil d’Etat

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Le 1er janvier 2004 est entré en application le nouveau protocole de l’intermittence du spectacle qui modifiait le régime des annexes 8 et 10 de l’assurance chômage, lesquelles régissent l’assurance chômage des artistes et techniciens du spectacle. Ce protocole, en plus de détruire une partie du régime dérogatoire dont bénéficiaient ces derniers, régime qui permettait pourtant la bonne santé de la culture et de la vivacité du spectacle vivant français, mettait en danger la possibilité pour les femmes intermittentes du spectacle de vivre leur maternité dans de bonnes conditions.

Jusqu’à cette date, et afin de prendre en compte la situation structurellement précaire des intermittentes du spectacle, leur congé maternité était comptabilisé comme du temps travaillé à hauteur de 5,6 heures par jour. Ainsi, un congé maternité de 8 semaines (minimum obligatoire d’interdiction de travail) pouvait compter pour 314 heures ; et, à condition d’avoir travaillé au moins 193 heures sur les 10 autres mois de son année, la mère intermittente pouvait alors rouvrir des droits à l’assurance chômage après son congé maternité car elle comptabilisait les 507 heures requises(1). Cette disposition dérogatoire était cependant déjà insuffisante à garantir la reconduction des droits à l’assurance chômage pour les intermittentes dont le métier (éclairagistes, danseuses, artistes du cirque…) imposait un congé maternité supérieur aux 8 semaines de cessation obligatoire.

1Le nouveau protocole et ses effets1

Dès les premiers jours de janvier 2004, des femmes intermittentes enceintes ou ayant accouché ont été informées dans leurs antennes Assedic qu’elles ne pouvaient pas bénéficier de l’assurance chômage spécifique au régime de l’intermittence du spectacle, car leur période de congé maternité n’était plus considérée comme une période travaillée. Il était dès lors impossible qu’elles comptabilisent les 507 heures annuelles nécessaires à la réouverture de leurs droits.

L’article 3 du nouveau protocole dispose en effet :

« Le temps de travail effectif exercé dans le champ des annexes 8 et 10 est retenu pour la justification des 507 heures d’affiliation. Cependant, certaines périodes d’inactivité sont assimilées à du temps de travail. Il s’agit : (…) des périodes de suspension de contrat de travail résultant d’une incapacité physique du salarié ou d’une maternité, à raison de 5 heures par jour ».

Cet article pose deux problèmes :

 Pour bénéficier de l’assimilation de la période de maternité à du temps de travail, il faut donc qu’un congé maternité suspende un contrat de travail. Cette condition révèle soit la parfaite méconnaissance qu’ont les auteurs de ce texte du monde du spectacle, soit leur volonté de rejeter hors du statut de l’intermittence une partie des artistes et technicien-ne-s du spectacle. En effet, les contrats de travail dans le milieu du spectacle sont généralement de quelques jours, il existe donc fort peu de chances qu’ils puissent être « suspendus ». D’autre part, aucun-e intermittent-e n’accepterait un contrat de travail qu’elle/il sait ne pas pouvoir honorer jusqu’au bout car ce comportement mettrait en péril sa carrière dans le monde du spectacle. C’est à fortiori le cas des femmes intermittentes enceintes.

 Quand bien même le contrat de travail serait suspendu par un congé maternité, les jours assimilés à du temps de travail, du fait de la courte durée des contrats, ne pouvaient suffire à l’ouverture des droits à l’assurance chômage des intermittent-e-s.

A partir de mi janvier 2004, l’AVFT a reçu des dizaines de témoignages d’intermittentes exclues par le protocole, se retrouvant bien souvent avec le seul RMI pour vivre, au moment (grossesse ou nourrisson à charge) où elles avaient pourtant le plus besoin de la solidarité collective.

Une intermittente (camera-woman), Delphine Le Goueff, concernée par les effets du nouveau protocole, a alors créé un collectif : « Femmes intermittentes en colère », vers lequel les témoignages ont également afflué.

De ces témoignages est ressortie la colère liée à l’immense retour en arrière pour ces femmes, obligées de choisir entre maternité et travail (« mais c’est pas grave, vous allez avoir un beau bébé » a entendu l’une d’entre elles dans son antenne Assedic).

Il était en effet alors quasiment impossible de concilier maternité et vie professionnelle, car la plupart des métiers de l’intermittence sont des métiers physiques (acrobates, danseuses, chanteuses, artistes du cirque, mais aussi pour les techniciennes : port de caméras, de perches, travail sur escabeau et manipulation de produits toxiques pour les décoratrices, etc.), qui nécessitent des congés maternité notablement plus longs que le congé maternité légal, de 16 semaines maximum.

Certaines n’ont légitimement pas voulu choisir entre maternité et travail. Nous avons pu lire parmi les témoignages reçus :

« J’ai même pensé dans ce désespoir soudain à me faire avorter plutôt que de renoncer aux 10 années de métier et à ma situation patiemment bâtie » ou «j’ai fait le choix en janvier de continuer à travailler malgré les recommandations de l’hosto de lever le pied. J’ai largement conscience des risques (…) sans compter la culpabilité, l’angoisse et l’extrême fatigue (…) mais je ne pouvais prendre le risque de me (et ma famille) mettre dans une situation précaire ».

Le nouveau protocole a donc conduit à la mise en danger de la santé de ces femmes enceintes et des f?tus qu’elles portaient quand elles ont essayé coûte que coûte de « faire leurs heures ».

En revanche, la paternité des hommes intermittents n’a en rien entravé leur pratique professionnelle, ce qui constitue une discrimination à raison de la maternité, et de façon consubstantielle, à raison du sexe.

1La réponse gouvernementale1

Le 2 février 2004, devant la mobilisation des intermittentes et des organisations qui les soutenaient, dont l’AVFT, le ministre de l’emploi a publié une circulaire prévoyant la « neutralisation des congés maternité » dans le calcul des heures, ce qui revenait à « mettre entre parenthèses » les périodes de congé maternité et à rechercher les heures travaillées plus en amont, en allongeant la période de référence d’aussi longtemps que le congé avait duré. Cette solution s’est vite avérée inopérante car, les années où elles sont enceintes, les intermittentes qui font des métiers physiques peuvent si peu travailler que le fait de remonter sur plus de 12 mois ne suffit pas à comptabiliser 507 heures travaillées.

1L’action de l’AVFT, l’action collective1

Devant cette insuffisante réponse gouvernementale, l’AVFT a déposé, Le 11 février 2004, un recours gracieux devant le Ministre de l’Emploi, en annulation des dispositions discriminatoires.

Le ministre nous a répondu en des termes qui n’étaient toujours pas satisfaisants et qui ne rétablissaient pas les droits des intermittentes à la maternité.

L’AVFT a donc décidé de déposer un recours devant le Conseil d’Etat. Une requête sommaire(2) a été déposée devant le Conseil d’Etat le 9 avril 2004, invoquant le droit interne, européen et international applicable en la matière.

Le 18 mai 2004, faisant suite à cinq mois de pression, le ministère, par voie de circulaire, est revenu aux dispositions antérieures(3), ce qui constituait un succès significatif de l’action conjuguée des syndicats, des associations de professionnel-le-s intermittent-e-s du spectacle, et de l’AVFT.

Mais ne s’agissant que d’une circulaire, de norme juridique inférieure et, par conséquent, inapte à invalider définitivement l’arrêté du ministère de l’emploi, et donc le protocole entré en vigueur le 1er janvier 2004, l’AVFT a maintenu son recours devant le Conseil d’Etat afin qu’au moment de la réouverture des négociations sur le statut des intermittents du spectacle, les droits des intermittentEs à la maternité soient sauvegardés.

Le 6 juin 2004, la section du contentieux du Conseil d’Etat nous faisait parvenir ses observations, dont certaines étaient pour le moins surprenantes : « la lecture de la requérante ne permet pas de déceler des éléments qui constitueraient une discrimination entre hommes et femmes en matière de congé de maternité puisqu’ à l’évidence il ne peut y avoir une telle discrimination en cette matière (…) En effet, l’article 3 des annexes 8 et 10 prévoit notamment que « les périodes de suspension du contrat de travail sont retenues à raison de 5 h de travail par journée de suspension ». Ces dispositions s’appliquent (…) aux hommes comme aux femmes. Il n’y a dans ce cas aucune discrimination ».

Le mémoire ampliatif(4) déposé par l’AVFT le 7 août 2004 précisait donc : « les personnes enceintes ou ayant accouché sont NECESSAIREMENT des femmes et que, bien que l’article 3 des annexes 8 et 10 ne fait pas explicitement référence à la qualité d’homme ou de femme du salarié intermittent, il n’est pas contestable que seules les femmes sont visées par les dispositions relatives à la maternité. Ces dispositions sont donc nécessairement discriminatoires en raison du sexe et entraînent donc une rupture d’égalité ».

La décision définitive du Conseil d’Etat, rendue le 11 mai 2005, rejetant les requêtes de l’AVFT, ne se dédie pas de cette analyse : « (…) l’association requérante ne fournit aucun élément de nature à établir qu’un nombre plus élevé de femmes que d’hommes serait privé d’affiliation du fait de ces stipulations ».
Par respect d’une implacable et aberrante logique juridique, le Conseil d’Etat nous demandait donc de démontrer que les femmes sont plus souvent discriminées en raison de la maternité que les hommes…

La campagne pour le rétablissement des droits des intermittentEs du spectacle est originale à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle est la première que l’AVFT ait menée contre une discrimination à raison du sexe, et non pas contre des violences sexistes ou sexuelles. Elle est ensuite singulière par la multiplicité des acteurs qui y ont participé (collectifs de mères intermittentes, syndicats généralistes et spécialisés, coordination d’intermittents, associations), avec des objectifs et des stratégies parfois divergents qu’il a donc fallu harmoniser. Elle se distingue enfin par l’implication massive des personnes qui en sont les principales bénéficiaires, les intermittentEs du spectacle elles-mêmes, en raison notamment de leur longue tradition de revendications politiques.

L’AVFT reste attentive à ce que le statut particulier de l’intermittence du spectacle respecte les droits des femmes.

Marilyn Baldeck

Notes

1. Cf. note rédigée par Laurent Lederer pour l’Union Régionale Ile-de-France de la Fédération CGT du Spectacle.

2. La première saisine du Conseil d’Etat

3. A ceci près que l’équivalence jours de congé maternité/jour travaillé est maintenue à hauteur de 5 heures par jour et non plus 5,6 heures par jour.

4. Un mémoire qui complète la première saisine

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