L’employeur est responsable des conditions de travail au sein de son entreprise.
La responsabilité légale de l’employeur
Le Code du travail (L122-46 et suivants, L123-1, L152-1-1) prévoit une double responsabilité civile et pénale si l’employeur s’abstient de prévenir le harcèlement sexuel ou si, informé des faits, il ne prend aucune mesure pour les faire cesser, voire il sanctionne la victime. Ces textes, issus de la loi du 2 novembre 1992 « relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail », visent le seul harcèlement sexuel.
Ces textes ont été modifiés par les lois du 9 mai 2001 et du 17 janvier 2002.
L’obligation de prévention de l’employeur
L’article L 122-48 du Code du travail dispose : « Il appartient au chef d’entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes visés aux deux articles précédents. » (L122-46 et L122-47).
En outre, le Code du travail impose aux employeurs d’intégrer dans le règlement intérieur les dispositions relatives au harcèlement sexuel.
L’article L122-34 du Code du travail relatif au règlement intérieur doit être complété par un alinéa ainsi rédigé : « Il rappelle les dispositions relatives à l’abus d’autorité en matière sexuelle, telles qu’elles résultent notamment des articles L122-46 et L122-47 du code du travail. »
Le Code du travail laisse aux entreprises le soin de déterminer quelles sont « les dispositions nécessaires ». Il eût sans doute été utile d’être plus explicite et contraignant afin que les entreprises se dotent de réelles politiques de prévention.
En l’absence d’une jurisprudence fournie sur l’interprétation de la notion de « dispositions nécessaires » que devraient prendre les employeurs, nous nous référons au Code de pratique publié en annexe de la Recommandation de la Commission européenne du 27 novembre 1991 sur la « protection de la dignité des femmes et des hommes au travail ». Les mesures de prévention identifiées (formation de l’ensemble du personnel, identification des personnes ressources, création d’un mécanisme de recours pour les victimes de violences) constituent la base d’une politique de prévention et de traitement des plaintes.
L’obligation posée par l’article L122-48 du Code du travail est ferme.
Vous pouvez donc vous fonder sur cet article pour demander à votre employeur de faire cesser les agressions. Le cas échéant, vous pouvez engager sa responsabilité civile devant le conseil de prud’hommes (voir infra).
L’obligation de garantir des conditions de travail exemptes d’atteintes à l’intégrité physique ou psychique
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (18éme ch. C., 18 janvier 1996) rappelle ce droit au respect de l’intégrité physique et psychique des salariés-es :
« Toute personne a le droit absolu que l’on respecte son corps, et que l’on ne tente pas de lui imposer par la force ou par la contrainte hiérarchique ou psychologique, de contacts physiques pouvant lui apparaître comme étant de nature sexuelle, et surtout qu’elle ne désire pas. Tout salarié quel que soit son sexe, a le droit absolu dans le cadre de ses relations contractuelles de travail que nul, a fortiori son supérieur hiérarchique, ne lui tienne pas des propos pouvant lui apparaître comme étant destinés à l’inciter à se laisser faire, et a en outre le droit absolu que les mêmes ne l’injurient pas en la traitant de « putain» « pouffiasse », ou autre qualificatifs grossiers, sous- entendant qu’elle est susceptible d’accorder, éventuellement contre rémunération des faveurs de nature sexuelle à n’importe qui ».
Le Code du travail (article L122-47) dispose (qu’) « est passible d’une sanction disciplinaire tout salarié ayant procédé aux agissements définis à l’article L122-46 ». L’employeur a donc les moyens légaux pour agir contre ces violences au sein de son entreprise.
Les juridictions examinent les moyens mis en ?uvre pour faire cesser les violences et/ou prendre des mesures disciplinaires. Lorsque les entreprises n’ont pas mené d’enquête sérieuse ou impartiale, elles sont condamnées.
Ainsi la Cour d’appel d’Angers déboute la Sté Artus aux motifs que :
« Contrairement à ce que soutient la Société, le comportement abusif de M. Delorme, chef de service de Mme L, était notoire ainsi qu’il résulte :
des témoignages précis et concordants de M. et Mmes (…)
de la lettre ouverte signée des élus du personnel de l’entreprise (…)
Or la Société qui ne pouvait pas méconnaître ces difficultés et se devait de s’interroger sur leur étendue et leurs conséquences pour l’équilibre de la salariée ne justifie pas avoir entrepris à cet égard une enquête sérieuse, aucune démarche à l’égard de M.Delorme, aucune mesure si ce n’est la mutation litigieuse qui avait l’avantage de résoudre le conflit entre les deux salariés au détriment de la victime ». (CA d’Angers, 12 octobre 1993, Sté Arthus c/ Mme L).
De même, la Cour d’appel de Paris :
« Considérant qu’il résulte de l’ensemble des éléments soumis à la discussion qu’ayant reçu une plainte pour des faits de harcèlement sexuel, la direction de la société s’est bornée à recueillir les dénégations du supérieur dénoncé et que la seule mesure prise a consisté à laisser l’intéressée sous la dépendance hiérarchique de celui-ci tout en l’affectant à une tâche dont il n’est pas contesté qu’elle l’avait refusée à plusieurs reprises.
Qu’en agissant ainsi, la direction de la société n’a pas, au mépris des obligations que lui en faisaient l’article L122-48 du Code du travail, pris les dispositions nécessaires en vue de prévenir les pressions exercées sur Mme L’H (…). » (CA de Paris, 18 septembre 1996, SA Frans Maas et Mme L’H.)
Les deux arrêts cités insistent sur la nécessité de prendre des mesures conservatoires qui ne nuisent pas aux parties concernées et permettent à la victime de ne plus être en présence de son agresseur.
Si l’enquête ne réunit pas suffisamment d’éléments de preuve, et qu’il demeure dans le doute, l’employeur doit néanmoins adopter des mesures de précautions afin d’éviter d’éventuelles agressions quelle qu’en soit la nature (sexuelle, physique ou psychologique).
L’interdiction de prendre des mesures discriminatoires à l’encontre de la victime ou des témoins de harcèlement
La protection mise en place par le Code du travail est double. Elle résulte de l’articulation des articles L122-46, L123-1 et L152-1-1 .
L’article L 122-46 dispose : « Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit. »
L’article L123-1 et son volet pénal L152-1-1 répriment toute mesure discriminatoire affectant l’exécution du contrat de travail, prise à l’encontre de la victime ou du témoin en considération du harcèlement sexuel :
Article L123-1 du Code du travail :
« Nul ne peut prendre en considération le fait que la personne intéressée a subi ou refusé de subir les agissements définis à l’Article L 122-46, ou bien a témoigné de tels agissements ou les a relatés, pour décider, notamment en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, de résiliation, de renouvellement, de contrat, de travail, ou de sanction ».
Article L152-1-1 du Code du travail :
« Toute infraction aux dispositions des articles L. 122-46, L. 122-49 et L. 123-1 sera punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3750 euros ou de l’une de ces deux peines seulement. Le tribunal pourra ordonner, aux frais de la personne condamnée, l’affichage du jugement dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’il désigne, sans que ces frais puissent excéder le maximum de l’amende encourue.
Le Tribunal correctionnel est compétent pour juger de cette infraction au droit pénal du travail. »
Concrètement cela signifie qu’un employeur qui licencierait (ou refuserait de promouvoir, ou d’embaucher…) une salariée victime de harcèlement ou un témoin du harcèlement voit sa responsabilité civile et pénale engagée.
L’interdiction de prendre des mesures (embauche, sanction, licenciement) discriminatoires en raison du sexe
En cas de sanction ou de licenciement liés à une discrimination en raison du sexe, les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal peuvent être invoqués.
En effet, selon l’article 225-1 : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison (…) de leur sexe (…). »
Article 225-2 : « La discrimination définie à l’article 225-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 Euros d’amende lorsqu’elle consiste :
3° A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ».
5° A subordonner une offre d’emploi à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1».
Ainsi, la salarié-e, victime de violences sexuelles – donc discriminée en raison de son sexe – qui ne sera pas embauchée, ou qui sera sanctionnée ou licenciée parce qu’elle a subi ou refusé de subir des violences sexuelles, pourra invoquer cet article.
Comment mettre en ?uvre cette responsabilité ?
Informez votre supérieur hiérarchique ou votre employeur
Il est nécessaire d’informer votre employeur ou votre supérieur hiérarchique par lettre recommandée avec accusé de réception afin qu’ils puissent prendre les mesures qui s’imposent. Si votre agresseur est le supérieur hiérarchique, ou si vous ne faites pas confiance à votre supérieur, adressez vous au niveau hiérarchique supérieur. Envoyez une copie de votre lettre (LRAR) à la direction générale de l’entreprise et conservez une autre copie dans votre dossier personnel.
Cette lettre décrira précisément les agissements que vous subissez, exposera ce que vous souhaitez obtenir.
Dans l’hypothèse où l’agresseur est l’employeur, vous pouvez lui envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception, en dénonçant précisément les faits et en lui demandant de cesser. En raison des conséquences possibles de cette démarche (notamment pour votre emploi), nous vous conseillons de nous contacter préalablement. Vous pouvez également saisir l’inspection du travail ou la justice.
Demandez un rendez-vous
Un entretien peut être utile pour préciser la teneur de votre lettre, appuyer vos demandes et connaître la position de l’entreprise. Nous vous conseillons d’être accompagné-e par un-e représentant-e du personnel ou par l’AVFT (dans ce cas l’employeur doit consentir à la présence d’une personne extérieure à l’entreprise).
Confirmez la teneur des entretiens par écrit
Pensez à confirmer par écrit le contenu des entretiens ou des conversations téléphoniques, et à conserver les éventuels courriers électroniques. Vous pouvez également demander une attestation à la personne qui vous accompagnait lors de l’entretien.
L’AVFT peut intervenir
Outre, l’accompagnement lors d’entretiens, l’AVFT peut, avec votre accord, saisir officiellement l’employeur par écrit. Dans notre lettre, nous exposons les faits que vous nous avez rapportés, nous rappelons à l’employeur les règles de droit qui engagent sa responsabilité, et nous lui demandons de prendre les mesures propres à protéger les droits des personnes en cause.
L’intérêt de cette lettre est d’attirer l’attention de l’employeur sur ses responsabilités en matière de prévention et de répression des violences sexuelles dans son entreprise, et de l’inciter à agir. En cas de procédures ultérieures, elle constitue également une preuve du fait que l’employeur a été dûment informé des faits et de ses obligations légales.
Que faire si l’employeur s’abstient d’intervenir ou vous sanctionne ?
Votre employeur, désormais informé, devrait mener une enquête (voir plus haut), prendre des mesures protectrices et s’il réunit suffisamment d’éléments à l’encontre de l’agresseur, le sanctionner.
Notre expérience montre que bien souvent les employeurs ignorent les plaintes, voire sanctionnent les plaignantes. Ils sont alors en infraction avec le droit. Dans la mesure où vous avez épuisé les recours internes, y compris l’intervention des institutions représentatives du personnel (voir infra), la solution la plus indiquée est de saisir l’inspection du travail et/ou les juridictions.
Partir…
L’environnement de travail est parfois tellement hostile ou les dangers d’agression tellement réels que les salariées préfèrent démissionner de leur emploi.
Si vous avez porté plainte, cette démission ne vous prive pas des droits éventuels à l’assurance-chômage. En effet, la directive UNEDIC n° 41-92 du 24 novembre 1992 prévoit qu’est réputé involontaire le chômage du salarié qui démissionne en raison des actes délictueux dont il est victime au sein de son entreprise et qui porte plainte. Le salarié bénéficie des allocations de chômage s’il présente à l’ASSEDIC la copie de la plainte ou le récépissé du dépôt de celle-ci.
Sachez-le :
Lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il doit vous convoquer en indiquant l’objet de la convocation, sauf si la sanction est un avertissement.
Au cours de l’entretien, vous pouvez vous faire assister par une personne de votre choix appartenant au personnel de l’entreprise ou par un-e délégué-e du personnel ou un-e délégué-e syndical-e.
Nous vous conseillons de rétablir la réalité en précisant clairement pendant cet entretien les agissements de harcèlement sexuel que vous avez subis.
La personne qui vous a assistée doit rédiger ensuite un compte rendu que vous produirez devant le conseil de prud’hommes. Demandez lui ce rapport.
L’État aussi…
Il n’existe pas de disposition similaire de droit administratif sur la responsabilité de l’employeur pour protéger les fonctionnaires ou agents publics. Il faut donc invoquer le droit administratif général et demander à la hiérarchie d’intervenir, de mener une enquête et d’adopter les mesures adéquates.
Ainsi, l’agent bénéficie d’une protection organisée par la collectivité publique dont il dépend. (Art. 50 de la loi n°96-1093 du 16 déc.1996). L’agent public territorial peut demander la protection du représentant de la collectivité locale ou de l’établissement dans lequel il travaille. Le fonctionnaire de l’Etat peut demander la protection de l’Etat. La protection de l’administration s’applique en effet aussi aux rapports internes à l’administration, c’est-à-dire dans l’hypothèse où les agissements dont est victime un agent sont imputables à un collègue ou à un supérieur hiérarchique (voir CE, Ass. 30 mars 1962, Sieur Bretaux, Rec.p.258).
Cette protection peut s’exercer de plusieurs manières :
a) elle peut prendre la forme d’une poursuite pénale engagée contre l’auteur du harcèlement. Ainsi, la victime peut demander à sa hiérarchie de déposer une plainte simple auprès du Procureur de la république.
b) la protection de l’agent peut prendre la forme de sanctions disciplinaires infligées à l’agent fautif. Il convient de mettre l’administration en demeure d’engager une procédure disciplinaire dès lors que l’on constate son peu d’empressement à réagir à la dénonciation des agissements coupables. Le silence gardé par l’administration sur cette mise en demeure durant deux mois vaut décision de rejet et permet à la victime de demander l’annulation contentieuse du refus de l’autorité hiérarchique d’engager des poursuites.
c) la protection de l’administration peut enfin prendre une forme purement pécuniaire lorsqu’elle se traduit par la prise en charge des frais engagés par la victime pour se défendre contre les agissements dont elle a été l’objet (art 11 de loi du 13 juillet 1983).
L’absence de protection de l’administration, son inertie ou sa carence, engage sa responsabilité. L’agent victime peut ainsi demander des dommages et intérêts à l’administration devant le tribunal administratif dans un recours de plein contentieux, après avoir fait une demande préalable à l’administration.
Cependant, vous êtes protégé-é contre les mesures de sanctions ou les mesures discriminatoires prises à votre encontre en raison du harcèlement sexuel ainsi que le prévoit l’article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :
« Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation
la formation, la notation, la promotion, l’affectation, et la mutation, ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :
1° le fait qu’il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel d’un supérieur hiérarchique, ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce fonctionnaire dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers;
2° Ou bien le fait qu’il a témoigné de tels agissements ou qu’il les a relatés.
Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus ».