Monsieur Clément
Ministre de la justice
13 Place Vendôme
75 042 Paris cedex 01
Paris, le 22 novembre 2006
Objet : réponse à votre lettre au sujet de la modification du délit de dénonciation calomnieuse
Monsieur le Ministre,
Le 13 février dernier, nous vous avions adressé une lettre reprenant les propos que vous aviez tenus lors des débats parlementaires relatifs à la proposition de loi « tendant à lutter contre les violences à l’égard des femmes ».
Vous vous opposiez alors à l’amendement n°11, déposé par la présidente de la Délégation aux droits des femmes, Mme Gautier, proposant une modification de l’article 226-10 du Code pénal relatif au délit de dénonciation calomnieuse.
Cette lettre était accompagnée d’une note détaillée qui répondait à vos objections.
Votre réponse en date du 4 octobre ne nous permet hélas pas d’avancer sur l’injustice que nous dénonçons : des femmes victimes de violences sexuelles sont condamnées pour dénonciation calomnieuse. Or ces femmes n’ont pas menti ; les accusations qu’elles portaient n’étaient pas mensongères.
Pourtant comme vous l’écrivez : « L’inexactitude totale ou partielle des faits dénoncés, élément constitutif de l’infraction de dénonciation calomnieuse est établie par l’existence d’une décision judiciaire préalablement rendue et devenue définitive (…) déclarant ces faits faux ».
Les crimes et délits de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle, de viol ou de violences physiques dénoncés sont donc faux.
Vous poursuivez en indiquant que l’élément intentionnel, la mauvaise foi du dénonciateur, doit également être rapportée.
Vous admettez que « la nature même des infractions de violence, quelles qu’elles soient (violences physiques, sexuelles, harcèlement moral par exemple) suppose qu’une victime ne peut se méprendre quant à leur réalité, leur résultat (l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique) étant tangible. Il a pu être considéré, en matière d’atteintes à la personne, que le dénonciateur ne peut prétendre ignorer la fausseté du fait dénoncé.
Néanmoins, la Cour de cassation a rappelé avec force et de façon constante que le dénonciateur n’a pas à prouver sa bonne foi. »
Certes… devons-nous nous féliciter de la simple application des principes fondamentaux du droit pénal ?
Demander à la personne qui a dénoncé les violences de prouver sa bonne foi alors qu’elle est poursuivie pour dénonciation calomnieuse et donc « mise en cause » reviendrait en effet à renverser purement et simplement la charge de la preuve. C’est ce que la Cour de cassation a censuré dans un arrêt du 7 décembre 2004 rendu dans une affaire où nous étions partie civile.
L’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes (du 13 février 2004) jugeait en effet que Mme M. « ne peut en l’espèce avoir agi de bonne foi ou apporter la preuve qu’elle ignorait la fausseté des faits dénoncés ».
Dans les procédures que nous suivons, la partie poursuivante n’apporte pas la preuve de la mauvaise foi qu’elle déduit de la constatation judiciaire de la fausseté des faits.
Ainsi, dans une autre affaire dans laquelle nous étions également partie civile, la Cour de cassation (arrêt de la Chambre criminelle du 25 mars 2003) n’a pas censuré la motivation de la Cour d’appel de Paris (arrêt du 5 décembre 2001) selon laquelle : « Mme K s’est plainte de viols répétés et de harcèlement sexuel, infractions qui touchent directement à la personne et à son intégrité physique. De part la nature même de ces infractions, Mme K ne pouvait se méprendre sur la réalité des faits allégués.
Pouvez-vous nous dire comment, avec cette motivation acceptée par la Cour de cassation, échapper à une condamnation ?
Cette question est centrale pour les personnes victimes de violences sexuelles qui doivent pouvoir les dénoncer sans pour autant encourir de condamnation.
Elle est fondamentale pour nous toutes et tous qui refusons que la justice serve à exercer des représailles contre celles qui ont eu le courage de dévoiler les violences subies.
Nous réitérons notre proposition de vous présenter les procédures dont nous sommes saisies et vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération.
Catherine Le Magueresse
Présidente
Copie :
Mme Vautrin, ministre de la cohésion sociale et de la parité
M. Geoffroy, député
Mme Gautier, sénatrice, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat
Mme Zimmermann, députée, présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale