« Oh, mais vous savez, j’ai fait la même chose quand j’étais jeune »

Monsieur le Procureur,

Créée en 1985, l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), a pour mission, notamment par le soutien qu’elle apporte aux victimes de violences sexuelles et sexistes dans le travail, de rendre visibles la réalité et l’ampleur des violences contre les femmes et de lutter pour parvenir à une « tolérance zéro » à l’égard de ces violences aux plans individuel, collectif et institutionnel.

À l’origine des lois sur le harcèlement sexuel, elle suit en moyenne 300 « dossiers » par an et est reconnue par différentes institutions nationales, européennes et internationales pour ses compétences.
L’AVFT a pour objet :

 de soutenir et de défendre les personnes victimes de violences sexuelles et sexistes au travail et de les aider à faire valoir leurs droits.

 d’agir contre toutes les discriminations liées au sexe et contre toutes les formes de violences sexuelles et/ou sexistes faites aux femmes et aux hommes.

L’AVFT effectue par conséquent auprès des victimes un travail d’accueil, d’écoute, d’information juridique, de soutien et d’accompagnement dans leurs démarches.
Actuellement, l’AVFT intervient aux côtés de victimes de viols (14%), d’agressions sexuelles (56%), de harcèlement sexuel (20%), de discriminations (10%), d’injures, de coups et blessures volontaires, les catégories ne s’excluant pas.

Le 13 novembre 2007, l’AVFT, représentée par Emmanuelle Cornuault, était partie civile à l’audience du Tribunal correctionnel dans le procès qui opposait Mme V., aide-soignante, à M. M., infirmier.
M. M. était poursuivi pour avoir tenté de surprendre Mme V. nue sous une douche de la clinique et pour avoir procédé à des attouchements sur sa poitrine et ses fesses.
Le 4 décembre suivant, M. M. était relaxé.
Le 6 décembre, après avoir appris par Me P., avocate de Mme V., que vous n’aviez pas l’intention de faire appel de la décision de relaxe, Emmanuelle Cornuault vous a contacté afin d’en connaître les raisons.

Au cours de cet échange téléphonique, vous avez expliqué votre décision de ne pas faire appel car vous jugiez cette «affaire»«légère» et parce que vous pensiez que M. M. avait, en réalité, maladroitement démontré son attirance. En réponse aux arguments de votre interlocutrice, vous avez dit : « oh, mais vous savez, j’ai fait la même chose quand j’étais jeune« .

Nous sommes consternées qu’un représentant du ministère public puisse tenir de tels propos.

En effet,

Cette «affaire» était loin d’être «légère».

M. M. étant poursuivi pour agressions sexuelles (il sera condamné le 4 décembre 2007) sur deux patientes en salle de réveil, la clinique qui l’emploie, ne jugeant pas utile de le sanctionner, a décidé de le changer de service. C’est dans ce nouveau service qu’il a agressé sexuellement à deux reprises sa collègue Mme V.

Ces agressions ont eu de très lourdes conséquences pour elle :

 Une sévère dépression allant jusqu’à une tentative de suicide, un mois avant l’audience.

 La rupture avec son compagnon, et de ce fait, la revente de leur maison commune.

 Un arrêt maladie d’un an ayant abouti à son licenciement, le lendemain du délibéré.

Aujourd’hui, Mme V., dans l’incapacité de se projeter à nouveau dans son métier d’aide-soignante, dont elle était pourtant très fière, est contrainte d’entreprendre une nouvelle formation.

Le 13 novembre dernier, M. M. était poursuivi pour harcèlement sexuel commis à l’encontre de Mme V., mais compte tenu des faits, il aurait dû également l’être pour agressions sexuelles. Ainsi, le chef des poursuites retenu par le parquet constituait-il déjà une déqualification des violences.

Il ne s’agissait donc pas d’une attirance maladroitement démontrée par M. M. Cet argument, que vous reprenez à votre compte, est justement celui utilisé par nombre d’agresseurs pour se dédouaner de leurs actes et transférer à leurs victimes, devenant ainsi les fautives, la responsabilité « d’avoir mal compris » leurs intentions.

En tout état de cause, et quelles qu’aient été les intentions de M. M., des attouchements sur les parties du corps connotées sexuellement (en l’espèce, les seins et les fesses) et commis en dehors de tout consentement (en l’espèce, par surprise), sont constitutifs du délit d’agressions sexuelles prévu à l’article 222-22 du Code pénal.

Par conséquent, le fait que vous identifiiez vos actes passés à ceux de M. M. et que vous vous prévaliez de ce point commun à l’appui de votre refus de faire appel de la décision de relaxe ne peut que nous laisser perplexes.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le procureur, nos cordiales salutations,

Emmanuelle Cornuault
Chargée de mission

Marilyn Baldeck
Déléguée Générale

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