Tribunal correctionnel de Paris, 12 juin 2008

12 juin 2008, Tribunal correctionnel de Paris, Mme M. S., l’AVFT et Femmes Solidaires c/ M. J. M.

En juillet 2002, Madame S., employée depuis 1998 à la mairie de Neuilly-sur-Marne, remplace au cabinet du maire Mme B., une secrétaire partie en congé maternité. Elle cumule alors son poste de gardienne avec celui de secrétaire. Une semaine sur deux, elle est chargée de l’accueil de 18h à 18h30, heure à laquelle elle procède à la fermeture des portes d’entrée de la mairie, pour effectuer une ronde de surveillance dans les locaux, bâtiments annexes compris. C’est à ces occasions qu’elle est victime d’agressions sexuelles de la part de M. M., maire et sénateur, et ce jusqu’en juillet 2003.
Les faits ont principalement consisté en des baisers forcés ainsi que des attouchements sur les seins et les fesses. En juillet 2003, suite à ces agressions, Mme S. fait une dépression nerveuse. Son médecin lui prescrit un arrêt de travail qui est reconduit sur quatre mois. À sa reprise de travail, Mme S. s’aperçoit qu’elle n’est pas la seule victime des agressions du maire. En effet, lors d’une conversation entre collègues le 11 octobre 2004, elle entend Mme B. menacer de déposer une plainte contre J. M. pour les pressions sexuelles qu’il exerce sur elle. À la suite de cet entretien, le 12 octobre 2004, Mme S et Mme B.portent plainte contre le maire au commissariat de Neuilly-sur-Marne.

Le matin du procès, la presse se fait l’écho du communiqué de presse de l’AVFT. Dans un article de l’édition de Seine-Saint-Denis du Parisien, J . M. annonce qu’il va déposer une plainte pour diffamation contre l’AVFT. Ce qu’il ne fera finalement pas.

Le 29 mai 2008, le dossier est examiné devant le Tribunal correctionnel de Paris.
Après avoir fait le rapport exhaustif du dossier pénal, la présidente invite M. M. à présenter ses observations. Il s’obstine alors à relire les procès-verbaux en sa possession obligeant la présidente à le reprendre à plusieurs reprises :
«Ca n’a pas de sens de reprendre les auditions, vous êtes censé vous exprimer librement». Réponse : «Je veux réitérer mon innocence». «Vous n’êtes pas là pour reprendre le dossier» lui rappelle à nouveau la présidente. Son avocat intervient également dans ce sens : «Si vous pouviez me laisser le rôle qui m’est imparti J. M. !»

Interrogé ensuite sur ses rapports avec Mme S. et Mme B., M. M. répond :
«Cordiaux». «Mme S. s’est engouffrée dans une plainte, elle pensait être brimée au plan administratif, elle se plaignait de l’insalubrité de son logement et elle voulait faire embaucher son fils (…) Mme B. a écrit au procureur pour retirer sa plainte et dire qu’elle regrettait ce qu’il s’était passé (…). Je ne conteste pas être passé derrière elle lorsqu’elle faisait des fautes, j’ai mis la main sur son épaule et je lui ai fait un bisou («Oh, mais Jacques il fait ça avec tout le monde», murmure une femme assise devant l’équipe de l’AVFT). Le lundi elle est arrivée très agressive en demandant un changement de poste. Mme B. avait des tenues contestables». J. M. décline ensuite son emploi de temps sur une semaine, pour essayer de démontrer que sa présence à la mairie est impossible aux moments où Mme S. situe les faits qu’elle dénonce.

Mme S. maintient l’intégralité de ses déclarations et explique le bien fondé de sa plainte par le fait qu’elle : «a vraiment subi les choses». Elle explique les différentes stratégies d’évitement qu’elle a mises en place pour échapper aux agressions du maire, notamment se faire accompagner lors des rondes par son fils ou sa fille, porter des pantalons et des t-shirts très longs pour cacher son corps. Elle fait état des différentes pressions téléphoniques que J. M. a exercées sur elle pour lui faire retirer sa plainte.

Me Lagrue représentant Mme S. a plaidé la constance des déclarations de Mme S., l’absence d’intérêt pour Mme S. de porter plainte, laquelle risquait de perdre son logement de fonction.

Me Sauvade s’est constituée partie civile à l’audience pour le compte de l’association Femmes Solidaires. Elle a notamment invoqué la constance de Mme S. sur la matérialité des faits et des lieux, les répercussions sur l’état psychologique de la victime pendant et après les agressions à savoir : état de choc et de sidération, puis réaction dépressive, sentiment de honte et irritabilité avec repli social.

L’AVFT partie civile dès le début de l’instruction, représentée par Gisèle Amoussou, a mis en exergue l’ensemble des éléments du dossier constitutifs du faisceau d’indices qui corrobore la parole de Mme S. et prouve sa crédibilité.

Le ministère public a notamment relevé dans ses réquisitions que : «Les victimes ont toujours eu la même version. 95% des personnes qui témoignent pour le prévenu travaillent pour lui, le prévenu se débat maladroitement en montrant des croquis et en donnant des détails (…). Il y a une incohérence dans ses démarches, il propose une transaction à la victime. Il nie les faits, on ne peut rien savoir. Un complot entre deux femmes revanchardes et menteuses ? Comment peut-on croire à ça ? Votre formation (à l’adresse des juges) a l’habitude de juger des affaires d’agressions sexuelles. Vous connaissez donc par c?ur l’argument de la légèreté des vêtements qui exonèrerait les agresseurs de leur responsabilité. Moi je ne peux pas, M. M. n’a pas pu nous donner des explications crédibles». La procureure a insisté sur la légitimité des réactions des deux victimes : «Elles ont réagi chacune en fonction de leur personnalité. Mme B. a réagi en deux jours, dans les cris, et après c’était fini. Mme S. a réagi en se crispant (…) Mais en tout cas, elles n’avaient rien à gagner à mettre tout ça sur la place publique». Elle requiert la condamnation de J. M. à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis.

L’avocat assistant J. M. commence sa plaidoirie en disant : «Le pire de mes ennemis, c’est mon client !». Puis : «Aux yeux de trois parties civiles, j’ai trois défauts : je suis un homme, je suis un employeur, j’ai la parole». Il salue le dévouement des parties civiles (stratégie couramment utilisée par l’avocat adverse pour ensuite tenter de mieux nous discréditer). Il ne plaide pas vraiment sur les éléments du dossier mais dénonce la «connivence entre le ministère public et les associations» (Le rôle du ministère public est en effet bien de soutenir l’accusation…). Il interpelle le tribunal : «séduire et tenter de séduire, est-ce une infraction ?» et poursuit : «la tentative de séduction n’est pas répréhensible tant qu’il n’y a pas de gestes visés par le code pénal. Il n’a jamais nié ce geste, ce geste peut être interprété de mille manières. Mme B. a pu mal interpréter. Il n’y a pas de pas de réquisition sur Mme B, donc il n’y a pas de problème».
Concernant Mme S., il développe la thèse de la vengeance. Mme S. aurait maintenu sa plainte car le maire aurait refusé d’embaucher son fils. Il conclut à une relaxe arguant que «Mme S. a dit qu’elle retirerait sa plainte si on prenait son fils à la mairie».
«Ce n’est pas à lui (J.M.) de prouver qu’il a raison, il n’a pas à faire la preuve de son innocence, dire que c’est faux devrait suffire». «Vu sa position, une condamnation aurait de graves conséquences». Il s’emploie à dépeindre un personnage au-dessus de tout soupçons : «Comment peut-on imaginer qu’un homme sans histoire puisse avoir commis de tels actes ? (…) Il est réélu depuis 30 ans sous l’étiquette PS ! (…) C’est juste un homme qui aime la vie !».

Le tribunal le condamne à 4 mois de prison avec sursis. Le sursis est ainsi motivé :

«(…) le prévenu n’a jamais été condamné. Par ailleurs, l’expert qui l’a examiné a noté qu’il s’agit d’un homme d’un bon niveau intellectuel dont les investissements sont variés et qui fait preuve d’une aisance sociale certaine. Il s’est intéressé à l’enseignement et à la vie politique par altruisme et a toujours fait preuve de disponibilité pour autrui, éventuellement au détriment de sa vie privée. Tenant compte de ces éléments, le Tribunal assortira la peine d’emprisonnement d’un sursis à exécution».

J. M. est condamné à indemniser les parties civiles à hauteur de 35 000 euros pour la victime, 2000 euros pour l’AVFT et 1000 pour Femmes Solidaires.

J. M. a relevé appel du jugement et l’AVFT a relevé appel incident.

Marilyn Baldeck

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