Nous recevons quelques fois, ils sont rares mais marquants, des appels de femmes dont le discours est gravement décousu.
Elles font état de faits impossibles (« Je suis harcelée, les phares des voitures clignotent sur mon passage« ; « les violeurs sont tout le temps dans mon studio, ils m’observent depuis le papier peint« ; « j’ai été violée par télépathie, j’en suis sûre, je l’ai ressenti« ; ou encore : « A chaque fois que je passe un entretien d’embauche, l’employeur est déjà au courant de toute ma vie, c’est la preuve qu’il existe un complot organisé contre moi, qui dure depuis 20 ans« … puis cette femme relate de façon très précise un viol). Elles sont dans une attente immense d’être crues, font généralement la liste des démarches infructueuses qu’elles ont entreprises depuis des mois, des années, se lancent dans des monologues-fleuves, ne nous entendent pas quand nous tentons de guider un tant soit peu la conversation.
Parfois leur discours est clairement incohérent (phrases pas construites, mots mis bout à bout), d’autres fois, au contraire, leur niveau de langage est très élevé, les mots sont choisis mais l’ensemble n’a aucun sens. Et de temps en temps surgissent au milieu de leur récit des bribes de propos tout à fait compréhensibles et circonstanciés.
La réponse à leur apporter est extrêmement difficile car leur situation ne relève pas des compétences de l’AVFT et que nous sommes bien en peine de les réorienter.
Or pour certaines d’entre elles, derrière le caractère invraisemblable de leur discours se cache probablement de véritables violences… Ce discours chaotique peut même être le signe de violences qui ont été telles qu’elles les ont fait « disjoncter », qu’elles ont perdu tout sens logique et toute possibilité de communiquer normalement.
Et donc, derrière certains de ces récits face auxquels nous sommes très désarmées, existe un agresseur, sans doute impuni.
