Jambes lourdes, mal du 21è siècle, pourquoi souffrir plus longtemps ?

Mardi, nous devions intervenir dans une classe de première, dans un établissement scolaire que nous fréquentons régulièrement.

Les thèmes que nous abordons et qui sont généralement soulevés par les élèves sont : Où se termine la drague et où commence le harcèlement sexuel ? Qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Que signifie réellement « consentir » ? Les hommes doivent-ils protéger les femmes ? Les agresseurs sexuels sont-ils des malades ? La jalousie est-elle une preuve d’amour ? Une fille en minijupe « le cherche-t-elle » ? Qu’est-ce que le féminisme ? Les violences dont les femmes sont victimes sont-elles un « problème privé » ? Quels sont les recours possibles ? Comment aider une copine qui a été victime de violences ? etc. Les mêmes questions que les adultes se posent, en quelque sorte, et les mêmes idées reçues.

Notre dernière intervention, en collaboration avec la compagnie théâtrale Désamorces, un mois plus tôt, dans une classe de BTS exclusivement féminine, avait révélé, s’il en était besoin, l’importance de notre présence dans les établissements scolaires. Au bout de quelques minutes, une jeune femme avait quitté la classe en larmes et nous avait confié les agressions sexuelles à répétition dans l’adolescence, la procédure judiciaire, l’impossibilité, encore des années plus tard, de se lever le matin, la difficulté à expliquer ses absences à ses professeurs, son état chronique d’hypervigilance dès qu’elle sort de chez elle, mais aussi son immense envie de s’en sortir. Dans la classe, une autre élève nous posait des questions comme s’il ne s’agissait pas d’elle tout en nous donnant tous les signes qu’elle était directement concernée, ce qui nous avait ensuite été confirmé par une de ses copines (elle avait été harcelé sexuellement lors d’un stage). Une troisième nous avait parlé, manifestement désespérée, de sa voisine, qu’elle ne sait pas comment aider, tellement violentée par son mari qu’elle a déjà passé un mois en réanimation. En fin d’intervention, deux heures plus tard, après que toutes les élèves avaient quitté la classe, une quatrième élève s’était approchée de nous tant en sanglots qu’elle ne pouvait à peine nous parler, sauf pour nous dire que « lui », « c’est quelqu’un que je vois tous les jours ».

Nous devions revenir trois heures dans cette classe pour « outiller » des élèves afin qu’elles soient elles-mêmes en mesure de donner les premiers conseils et réorienter de potentielles victimes vers les bonnes personnes, projet en partie compromis par la proximité des élèves avec la thématique, pour employer un euphémisme. La déléguée de la classe nous informera par la suite qu’après enquête, c’est en réalité huit élèves, sur vingt, qui ont déjà été victimes de violences physiques ou sexuelles.

Retour donc dans cet établissement pour rencontrer une autre classe, en binôme avec une militante du Planning Familial.
La prof est là mais pas les élèves, en raison d’un loupé administratif. Soit, nous mettons donc notre temps désormais disponible à profit pour envisager une suite pour la classe de BTS : revoir les élèves en tout petit groupe ? Plutôt que (ou en plus de) de leur transmettre des compétences ? Les accompagner dans un processus de dévoilement des violences ? Comment transformer tous ces vécus en coup de poing politique ? Comment faire, alors que cette action n’est pas subventionnée ?

La prof est abattue : « en voyant mes élèves, j’ai ressenti qu’on m’assommait en même temps qu’elles ». Elle mentionne avoir repéré dans d’autres classes d’autres élèves… Elle déplore ne pas être soutenue par son collectif – un bien grand mot- de travail, être considérée par les plus anciens (et anciennes) comme la petite jeune pleine d’illusions.
Au bout de deux heures, nous avons élaboré un plan, qui devra être encore affiné et soumis aux élèves.
Avant de repartir, ma collègue du Planning Familial s’approche d’un présentoir rempli de différentes plaquettes, les trie et jette la plupart dans la corbeille.
Je les récupère pour voir de quoi il s’agit.

Sur seize dépliants, dix sont produits par l’industrie pharmaceutique.
Sur les seize dépliants, quasiment aucun ne concerne, ou ne concerne principalement des jeunes gens de moins de vingt ans : cancer du sein, « Aménagez votre maison pour éviter les chutes », fuites urinaires (je n’invente rien), rhumatismes, « Mon diabète au quotidien », « le diabète de type 2 », « Jambes lourdes, mal du 21è siècle, pourquoi souffrir plus longtemps ? »…

Rien sur les violences sexuelles. Ma collègue du Planning y remédie en collant un autocollant sur le n° vert SOS VIOL sur un tableau. Qu’elle met aussi dans les toilettes, « parce que les filles peuvent noter le n° discrètement ».

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