Cour d’appel de Montpellier (chambre sociale), 7 février 2011

Mme M est embauchée par la SARL C. (cabinet d’architectes) en qualité de dessinatrice, le 8 janvier 2007. Dans cette même période, elle est à l’initiative d’une procédure de divorce en raison des violences commises par son époux à son encontre. Son employeur et ses collègues en sont informés.

Son premier mois de travail est consacré à sa formation sur un nouveau logiciel de dessin, mise en ?uvre par M. C, qui n’a pas un comportement exemplaire, loin s’en faut : au prétexte que Mme M serait « tendue », il bloque son fauteuil contre le bureau pour lui masser les épaules nonobstant sa gêne manifeste.

Il lui impose en outre le visionnage d?images pornographiques sur son ordinateur, lui touche les fesses quand il la croise dans les couloirs.
Mme M lui indique qu’elle est gênée par ces agissements et lui signifie sa désapprobation.

Parallèlement, M. V, métreur du cabinet, lui pose des questions à caractère intime voire sexuel :
« Est-ce que tu as couché avec lui ? » (en parlant de l’employeur, Guy C). « Est-ce qu’il t’intéresse ? ».

Mme M répond sans ambiguïté : « Je suis ici pour travailler, j’ai un enfant à élever, il ne se passera jamais rien avec le patron ».

Dès février 2007, M. C indique à Mme M qu’elle pourra désormais s’en référer à M. V. Celui-ci se permet de la harceler au téléphone et de lui faire des propositions de nature sexuelle. Mme M est dans une situation particulièrement difficile dans la mesure où elle dépend de lui professionnellement – leurs métiers sont complémentaires : elle dessinatrice et lui métreur – et que M. V ayant 15 ans d’ancienneté, elle doit prendre conseil auprès de lui.
Très régulièrement, il lui « propose » une « partie à trois » avec une autre femme.

Quand il réalise que Mme M ne cédera pas, M. V met en place des représailles. Fin février, il enserre fortement le bras de Mme M et lui dit : « tu n’as plus rien à faire dans ce bureau, pour tes questions, tu te débrouilleras avec le patron ».

Dès lors, Mme M considère qu’un danger pèse sur sa sécurité physique et psychique.

Evidemment, compte tenu du comportement de son employeur lui-même, elle est réticente à le saisir de ces faits. Elle a en outre absolument besoin de ce poste et craint donc de dénoncer ces agissements.

En mars, après une relative période d’accalmie, M. V recommence à harceler Mme M : « j’aimerais te connaître entièrement, j’ai l’impression de te posséder par moments, mais tu m’échappes comme une anguille ». Un matin, la voyant arriver fatiguée, il dit qu’elle doit « avoir ses règles » et note pour plusieurs mois cette période et précisant : « donc à cette période, on ne pourra pas faire notre partie à trois ».

L’état psychologique de Mme M ne cesse de se dégrader.
M. V lui écrit un mot : « Tu avais la possibilité de faire de moi ce que tu voulais, cela t’aurait fait un vécu de + ou une autre expérience ou une autre complication tant pis mon ex-amour », qu’elle fait semblant de déchirer devant lui mais conserve. Ce mot est d’ailleurs l’élément déclencheur qui pousse Mme M à agir, car elle pense que sans cela, personne ne serait disposé à la croire. Elle saisit la médecine du travail qui, afin de la protéger, rend un avis d’inaptitude temporaire le 22 mai 2007 et alerte l’employeur.

Ainsi informé, l’employeur convoque la salariée à un entretien le 4 juin 2007 et lui demande d’écrire ce qu’elle dénonce.

La médecine du travail déconseille à Mme M de se rendre à ce rendez-vous en raison « de son état de santé », mais Mme M adresse tout de même à son employeur le récit demandé.

Mme M saisit également l’inspection du travail par lettre du 24 mai 2007. Dans une réponse du 1er juin 2007, la contrôleuse du travail informe Mme M que les faits qu’elle a évoqués « sont susceptibles d’être qualifiés de harcèlement sexuel ».

Mme M, encouragée par la position de la médecine du travail et la réaction de l’inspection du travail, dépose une plainte par lettre au procureur du 7 juin 2007.
Elle apprend que M. V a quant à lui porté plainte pour dénonciation calomnieuse deux jours auparavant.

Dans une lettre du 19 juin, son employeur lui écrit :
« (…) Je vous demanderais donc de bien vouloir nous restituer les clefs de l’agence afin de les transmettre au dessinateur intérimaire et par la même occasion vous profiterez de récupérer vos effets personnels ».

Cette lettre est susceptible d’être analysée comme une rupture de fait du contrat de travail, comme sanction de la dénonciation des faits de harcèlement sexuel.

Le 29 juin, la médecine du travail rend un second avis d’inaptitude temporaire.

Le 1er août 2007, dans une lettre, l’inspection du travail rappelle à l’employeur ses obligations en matière de harcèlement sexuel.

Finalement, le 1er avril 2008, la médecine du travail déclare Mme M « inapte à tous les postes de l’entreprise ».

Cette déclaration a pour conséquence le licenciement pour inaptitude de Mme M le 29 avril 2008.

La plainte de Mme M est classée sans suite par le parquet de Rodez. La plainte de M. V pour dénonciation calomnieuse est également classée.

L’avocat de Mme M, qui a aussi été l’avocat de son ex-employeur lors du divorce de ce dernier mais n’a pas cru y voir d’incompatibilité au regard des règles de déontologie qui régissent sa profession, lui déconseille de faire appel du classement sans suite et affirme qu’il ne voit pas matière à saisir le Conseil de prud’hommes pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur dans la rupture du contrat de travail (rien n’empêche effectivement d’y voir un lien de cause à effet).

Mme M est donc sur le point d’abandonner toute procédure.
Laetitia Bernard et Marilyn Baldeck (AVFT) se déplacent à Montpellier le 21 juillet 2008 pour rencontrer Mme M. Elle vient accompagnée à ce rendez-vous par un syndicaliste CGT et une amie. Au terme d’un rendez-vous de plusieurs heures visant à comprendre tous les contours de son « dossier », nous lui expliquons les règles de droit applicables et l’encourageons à attaquer son ex-employeur.
Elle rencontre également un avocat montpelliérain spécialisé en droit du travail vers lequel sa psychologue l’a orientée, qui juge aussi opportun de saisir le Conseil de prud’hommes.

Mme M avait demandé à la juridiction prud’homale de Millau de constater qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, que son contrat de travail a de fait été abusivement rompu au 19 juin 2007 (lettre de demande de remise des clés et qu’elle vienne récupérer ses effets personnels) et qu’en tout état de cause, son licenciement pour inaptitude est nul du fait qu’il est intervenu en conséquence de sa dénonciation du harcèlement sexuel. L’AVFT, représentée par Marilyn Baldeck, était intervenue volontairement.

Le Conseil de prud’hommes de Millau avait débouté Mme M et l’AVFT de leurs demandes (sur la base d’un raisonnement juridique inepte).

La Cour d’appel de Montpellier, quant à elle, condamne l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais pour des motifs qui n’ont rien à voir avec le harcèlement sexuel.

La Cour se borne à constater que le contrat est rompu sans motif dès lors que l’employeur a demandé à la salariée de restituer les clés de l’entreprise puisqu’il n’envisage ainsi pas son retour.

Mais pour la Cour, le fait que l’employeur ait décidé sans autre forme de procès de se débarrasser d’une salariée et le fait que celle-ci ait dénoncé du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles est totalement fortuit.

Elle y fait pourtant allusion dans son arrêt :
« En considération de l’ancienneté acquise par Mme M, de sa qualification et de sa rémunération, des circonstances qui ont conduit à la rupture du contrat de travail, la Cour, par infirmation du jugement entrepris, condamnera la société Coldefy à payer à Mme M à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 3500 euros ».

Quelles sont ces circonstances, sinon que la salariée a dénoncé les violences ?

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