Conseil de prud’hommes de Paris, 10 juin 2011

Mme P. a été victime d’agressions sexuelles dans le cadre de ses fonctions de coordinatrice « Groupes » dans un grand hôtel parisien de la part d’un directeur de service avec qui elle travaillait en étroite collaboration.

Celui-ci lui avait à deux reprises imposé des baisers sur la bouche et des attouchements sur les seins, les fesses et le sexe, en l’empêchant de sortir de son bureau.

Il avait également tenté de lui imposer de nouveaux attouchements dans une des chambres de l’hôtel, notamment en s’allongeant sur elle alors qu’elle était couchée dans son lit.

Elle avait déposé plainte en juin 2009 et prévenu son employeur aussitôt.

Celui-ci diligentait une enquête limitée à trois questions fermées, auprès d’une dizaine de personnes ne travaillant pas toutes avec le mis en cause, qui n’aboutissait en toute logique à rien. Dans le même temps, suite à la saisine de Mme P, le CHSCT menait lui aussi une enquête, qui révélait plusieurs témoignages attestant de comportements à connotation sexuelle de M. M. à l’égard de ses subordonnées.
L’employeur ne sanctionnait pas le mis en cause, et prenait des soi-disant mesures protectrices (!), en leur demandant à tous deux de ne pas quitter leur bureau et de se faire accompagner aux toilettes… Après avoir croisé l’agresseur plusieurs fois dans les locaux, Mme P a finalement été arrêtée par son médecin traitant.

Elle saisissait le CIDFF de Paris, l’AVFT, la médecine du travail, puis l’inspection du travail. Elle écrivait à son employeur en lui demandant de prendre des mesures pouvant lui assurer une reprise du travail en toute sécurité. L’AVFT écrivait également à l’employeur en lui adressant « Violences sexistes et sexuelles au travail, guide à l’attention des employeurs ». En vain.

Lors de l’audience du 25 août 2010 devant le Tribunal correctionnel de Paris, M. M était condamné pour agressions sexuelles. Il faisait appel de cette décision.

Un an après son arrêt maladie initial, Mme P prenait finalement acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Elle introduisait une requête devant le Conseil de prud’hommes de Paris afin de voir requalifier sa prise d’acte en licenciement nul.

L’AVFT, partie civile dans la procédure pénale, intervenait également volontairement aux côtés de Mme P dans la procédure prud’homale.

L’audience

Lorsque les conseillers de la quatrième chambre s’installent et que l’appel des causes commence, Mme P. réalise que l’un des conseillers est également salarié de l’hôtel.

L’indépendance de ce conseiller pouvant être discutée, les conseilleurs procèdent alors à un échange et nous passons en chambre 3, dans la salle d’à côté.

Le conseil est alors composé de quatre hommes.

Le président, manifestement employeur, ne laisse plaider ni l’avocate de Mme P, Me Cittadini, ni Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT.

Elles sont constamment interrompues, coupées, et doivent réduire leurs interventions et passer sur certains éléments.
Lorsque vient le tour de l’avocat de l’entreprise, il plaide sans aucune interruption pendant plus d’une demie-heure.

En fin d’audience, un conseiller du collège salarié, de la RATP nous dit-il, demande à l’employeur pourquoi ne pas avoir décidé d’une mise à pied conservatoire à l’encontre de M. M.

Le président l’interrompt en s’écriant: « Ha non, ça se serait une sanction, il ne pouvait pas ! ».

L’employeur opine du chef. Mme Fizaine et Me Cittadini contestent : « non, la mise à pied conservatoire n’est pas une sanction ».

Le président se tourne alors vers Mme P et l’interroge, d’un ton docte : « Pourquoi n’avez pas exercé votre droit de retrait ? Si l’employeur ne réagissait pas, il fallait faire un droit de retrait ! L’association aurait pu vous le conseiller ! »
« Et pourquoi les syndicats n’ont-ils pas fait un droit d’alerte?
»

Mme P est dévastée, Mme Fizaine et Me Cittadini en colère.

Malgré les qualités indéniables du dossier de Mme P., compte tenu du parti pris non dissimulé du président, le délibéré, fixé au 11 octobre, ne nous étonne pas (plus) : départage, sans date(1) qui plus est.

Notes

1. Certaines décisions de départage sont rendues in abstracto, sans date prévue pour l’audience de départage, et ce en toute illégalité. La fixation ultérieure de la date d’audience retarde encore de plusieurs mois l’audience.

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