Tribunal correctionnel de Pontoise, 24 mai 2011

Mme M. est femme de ménage dans un hôtel du Val d’Oise. Elle est agressée sexuellement par surprise par un client, pilote de ligne ukrainien, visiblement sous l’emprise de l’alcool, alors qu’elle nettoie une chambre, en mai 2010. Il la bloque dans la salle de bain, lui touche les seins, le ventre, passe sa main sous sa robe et lui touche les jambes, les fesses, le sexe.

Elle dépose plainte dès le lendemain. Le mis en cause, après dégrisement, placé en garde à vue, prétend qu’il ne se souvient de rien et qu’il est « possible » qu’il ait fait « ça ». A l’issue de l’enquête, il est poursuivi par le parquet de Pontoise pour agressions sexuelles.

Un premier renvoi d’audience est prononcé en août 2010, l’avocat du prévenu venant d’être saisi du dossier.

En février, Mme M. saisit l’AVFT des faits d’agressions sexuelles. Lors du premier rendez-vous, le 30 mars, alors que Gisèle Amoussou et Gwendoline Fizaine insistent pour qu’elle précise les faits, elle révèle qu’il y a eu aussi une pénétration digitale. Il s’agit donc légalement d’un viol.

Elle décide d’aborder le viol lors de l’audience, mais sans demander de requalification(1). La pénétration n’apparaît nulle part dans la procédure. Elle indique en avoir parlé au premier policier, qui lui a dit « Vous savez c’est trop grave ça, il risque cher ».

Finalement, dans le procès verbal, la réponse à la question du policier concernant la pénétration est « non ». Procès verbal qu’elle n’a ni relu ni signé… Elle n’en a jamais parlé à son avocate.

Lorsque Mme M parle de l’AVFT à son avocate, celle-ci s’emporte et ne veut pas que l’association se constitue partie civile. « Je ne travaille pas avec une association. C’est elle ou moi », lui dit-elle.

Gwendoline Fizaine, chargée du dossier, appelle alors l’avocate pour lui présenter la nouvelle qualification et les raisons pour lesquelles Mme M n’a pas pu lui en parler (rendez-vous rapide, aucune question précise sur les faits).

Elle lui indique également que l’AVFT, à la demande de Mme M, souhaite se constituer partie civile en vue de l’audience du 25 mai.

L’avocate semble visiblement très vexée de ne pas avoir été informée par sa cliente, et ne veut pas entendre les explications avancées par Gwendoline Fizaine. Elle ne souhaite pas la constitution de partie civile de l’AVFT et s’oppose formellement à tout travail collaboratif. Elle tient des propos désobligeants sur sa cliente et remet en cause la véracité des faits de viol (« Moi je crois que Mme M, elle raconte des histoires, elle a été très troublée… »). Elle indique également : « ça fait longtemps maintenant, il faut passer à autre chose. Moi je ne vois pas pourquoi elle a besoin de soutien ».

Informée de ces échanges, Mme M, pressée de voir cette procédure se terminer, décide tout de même de garder son avocate en première instance pour ne pas risquer un nouveau renvoi de l’audience, et partant, de se passer de la constitution de partie civile de l’AVFT. Lors du rendez-vous suivant entre elle et son avocate, celle-ci accepte d’aborder la question du viol, mais sans faire de demande à ce titre ni demander de requalification.

Gwendoline Fizaine est présente le 25 mai pour préparer Mme M à l’audience et la soutenir pendant celle-ci. Mme M est accompagnée de sa s?ur.

Les trois magistrates sont des femmes, de même que la représentante du parquet.

Le prévenu est absent. Il est représenté par un avocat. La présidente s’emporte « Il ne daigne même pas se présenter ! Il aurait fallu prévenir, ça aurait évité de faire venir un interprète ! ». Nous craignions une éventuelle incidence de l’actualité (arrestation de M. Strauss Kahn quelques jours plus tôt) sur cette audience. La présidence demandera seulement aux parties de ne faire « aucune allusion à une actualité récente ».

L’avocat du prévenu demande in limine litis la nullité de la procédure pour irrégularité de la garde à vue, notamment du fait du taux d’alcoolémie de son client, « pas en mesure de se défendre ». L’incident est joint au fond.

La présidente dans son rapport, reprend les propos du prévenu, sur les faits : « Peut-être, je ne me souviens plus, j’étais ivre ». Il dit aussi : « Je suis prêt à rembourser, je regrette vraiment ce qu’il s’est passé, je présente mes regrets et mes excuses car je suis une personne normale ».

L’expert constate un « alcoolisme chronique banalisé par le sujet » (par ailleurs pilote de ligne…).

La parole est ensuite donné à Mme M, qui revient peu sur les actes commis mais plutôt sur son ressenti (« j’ai peur, je tremble ») au moment des faits. Elle ne parvient pas à décrire précisément les faits. Elle dit : « Il m’a touchée partout, le sexe aussi ». Personne ne lui pose de questions.

Son avocate plaide beaucoup mieux qu’elle ne parle de sa cliente en « off ». Elle reparle du traumatisme de Mme M et des conséquences psychologiques graves. Elle indique que Mme M avait finalement révélé à son psychologue comment cela s’était réellement passé (avec pénétration) et produit une attestation en ce sens. Elle explique les difficultés à parler de ces questions, du fait des interdits culturels et de son milieu. Elle martèle qu’il est trop facile de ne pas se souvenir et de s’excuser, et qu’une condamnation avec l’attribution d’une somme importante à Mme M « le fera peut-être réfléchir : même une femme de chambre, on ne l’agresse pas ». Elle demande 10 000? € de dommages et intérêts.

La procureure s’interroge tout haut sur la manière dont le prévenu « peut appréhender les images de DSK » dans les médias. Elle regrette fortement qu’il ne soit pas là, alors même qu’il conteste ses déclarations en cours de garde à vue. Elle le juge « peu respectueux de la victime et peu soucieux de l’impression qu’il peut laisser au tribunal ».

Elle insiste sur les déclarations circonstanciées et réitérées de Mme M et la concordance des témoignages. Elle requiert une peine de 12 à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et se permet « d’espérer une bonne indemnisation de Mme M ».

L’avocat du prévenu rappelle que son client est absent pour des raisons professionnelles. Il plaide : « C’est la parole de l’une contre l’amnésie de l’autre ». Il invite le tribunal à « éplucher le dossier », à constater qu’il subsiste des doutes et de vérifier si les faits peuvent être qualifiés d’agressions sexuelles.

Le délibéré est rendu après une longue suspension d’audience.

M. H est reconnu coupable des faits d’agression sexuelle et condamné à 18 mois de prison avec sursis. Probablement compte tenu de son salaire (300$ par mois selon son avocat sans pièce justificative), les dommages et intérêts attribués à Mme M sont peu élevés : 3000 €?.

Mme M, choquée par le faible montant de cette somme au regard de l’ensemble de ses préjudices, a fait appel de la décision.

Notes

1. Si le tribunal correctionnel acceptait une telle demande, il devrait se déclarer incompétent et renvoyer le dossier au parquet, qui pourrait refuser de renvoyer le mise en cause devant une Cour d’assises. Cette démarche aurait été juridiquement envisageable, mais complexe et probablement vouée à l’échec, compte tenu de sa tardiveté dans la procédure.

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email