Conseil de prud’hommes de Paris, 27 mai 2011

L’AVFT a été saisie le 4 mai 2010 par Mme F, qui dénonçait les agissements de harcèlement sexuel et de viol dont elle a été victime entre décembre 2007 et septembre 2009 de la part de M. V, directeur adjoint, son supérieur hiérarchique, au sein d’une banque. Elle y était salariée depuis 1990.

Après avoir dénoncé les violences au directeur de la Banque en décembre 2009, elle est mise en congés payés d’office, puis déclassée « temporairement ». Elle passe d’un poste de chargée de clientèle à un poste de secrétaire standardiste. Lorsqu’elle s’en plaint après quelques temps, la banque exerce des pressions à son encontre et des mesures vexatoires. Mme F, par l’intermédiaire de son avocate, introduit alors une requête en demande de résiliation judiciaire devant le Conseil de prud’hommes.

Elle est finalement licenciée pour faute lourde sur des motifs fallacieux en juin 2010.

L’AVFT, à sa demande, intervient volontairement dans la procédure et envoie ses pièces et conclusions à la partie adverse en janvier 2011.

Le 19 avril, le conseil de l’employeur envoie des conclusions d’incompétence in limine litis(1). Il use d’une nouvelle stratégie : il ne demande pas l’irrecevabilité, mais considère que le Conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître de la recevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT (argument parfaitement dilatoire).

Des conclusions complémentaires sur ce point sont échangées avant l’audience, mais l’employeur n’a toujours pas communiqué ses pièces et conclusions au fond la veille de l’audience. Il indique qu’il n’entend pas plaider tant que le conseil n’a pas statué sur cette demande.

Mme F, Me Mascart, son avocate et Mme Fizaine s’interrogent sur cette étonnante stratégie, qui semble assez risquée pour l’employeur.

Lors de l’audience, nous sommes la 9ème affaire appelée (sur 12). Étonnamment, toutes les affaires sont en l’état(2) et les trois dernières affaires sont renvoyées à des dates ultérieures (6 mois plus tard environ) lors de l’appel des causes.

Lors de cet appel des causes, l’avocate représentant la Banque ne manifeste aucune objection à plaider. Elle indique seulement qu’elle est présente.

Notre affaire est appelée à 18h20.

L’avocate présente sa demande in limine litis et indique notamment que l’AVFT parle de viol dans ses écritures, ce qui n’est pas le cas de Mme F. (ce qui est vrai, son avocate s’en tenant au harcèlement sexuel). Elle soulève donc l’incompétence matérielle du Conseil sur la question du viol.

Elle soulève également l’incompétence du conseil sur les conflits collectifs de salariés (l’AVFT serait un groupement collectif de salariés).

Mme Fizaine, pour l’AVFT, répond à ces arguments et demande que le débat soit joint au fond(3). Elle explique que l’AVFT, experte des violences sexuelles, considère qu’un viol a été perpétré et utilise donc ce terme devant le Conseil mais que les demandes sont fondées sur les faits de harcèlement sexuel, qui existent par ailleurs et sont explicitement interdits par le code du travail.

Le conseil décide « sur le siège » (sans se retirer pour délibérer) de joindre au fond. Le président nous donne donc la parole pour plaider.

L’avocate de la banque intervient de façon véhémente et indique qu’elle ne plaidera pas sur le fond, que le calendrier n’aurait pas été respecté (ce qui était manifestement faux pour ce qui concerne les parties demanderesses).

Le président lui rétorque, très calmement, qu’elle aurait dû évoquer ce problème à l’appel des causes. Elle devient agressive et menace de s’en aller.
Toujours calme, il lui dit: « Allez-y Maître, faites ce que vous avez à faire, prenez vos responsabilités. Si vous souhaitez partir, partez. Vous essayez de provoquer un incident ».

L’avocate prend alors ses affaires et sort de la salle d’un pas décidé, laissant tous les témoins de cette scène totalement bouches bées. Elle ne reviendra que quelques minutes après seulement pour signer le procès verbal d’audience.

C’est donc sans contradictrice, ni conclusions, ni pièces adverses que nous plaidons cette affaire.

Sans surprise, le conseil nous a donné raison. Par jugement du 3 août, il décide :

1/ qu’il est compétent pour statuer sur l’intervention volontaire de l’AVFT, qui a « un manifeste intérêt à agir » et dont l’intervention a « un lien évident avec les demandes de Mme F » au titre du harcèlement sexuel. Cette intervention est donc recevable.
2/ que « Mme F est précisément licenciée pour avoir dénoncé des agissements de harcèlement sexuel, avec cette circonstance particulière qu’elle se désigne comme victime; que le conseil ne peut que prononcer la nullité du licenciement », sans chercher à établir les faits.
3/ que le harcèlement sexuel est constitué, au vu des SMS adressés par M. V à Mme F.
4/ Mme F l’ayant dénoncé à son employeur, « la Banque, se basant sur le seul fait que Mme F a cédé une fois aux avances sexuelles de M.V a catégoriquement nié toute possibilité de harcèlement sexuel de la part de M. V sur Mme F.
Elle s’est volontairement privée de toute enquête sérieuse et objective sur le comportement singulier de M. V., que ce dernier qualifie lui même de harcèlement dans un message écrit (…)
La Banque, confrontée à une situation de harcèlement qui nécessite pour le moins une enquête interne rigoureuse et équitable, a préféré s’acharner sur la présumée victime de manière de plus en plus vexatoire, avec l’espoir qu’elle finirait par céder, allant même jusqu’à faire pression sur sa mère âgée
». Il accorde 15 000? € de dommages et intérêts à Mme F à ce titre.
5/ Il accorde (seulement) 150? € de préjudice moral à l’AVFT pour atteinte à son objet social.

Bien entendu, l’employeur a fait appel de la décision.

Rendez-vous devant la Cour d’appel de Paris en décembre 2012.

Notes

1. Les demandes in limine litis doivent être présentées lors de l’audience avant le débat au fond. C’est le cas pour les demandes de sursis à statuer ou d’irrecevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT.

2. Être « en l’état » signifie être prêt à plaider (pièces et conclusions échangées dans des délais suffisants notamment). Les demandes de renvoi à une date ultérieure car les avocat-e-s ne sont pas prêt-e-s sont extrêmement courants. Il est rarissime que toutes les affaires d’un rôle soient « en l’état ».

3. C’est à dire que le débat au fond soit tout de même plaidé, et que la décision sur la compétence soit rendue en même temps, ce qui évite de perdre du temps avec des man?uvres dilatoires.

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