Mme O a été victime de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles par le gérant de l’entreprise de formation pour le BTP (travaux en hauteur), dont elle était l’assistante. Celui-ci faisait en outre régner dans l’entreprise une ambiance fortement sexiste et misogyne.
Sa plainte est classée sans suite en octobre 2010 bien que de nombreux témoignages viennent corroborer sa parole, notamment sur l’ambiance générale de l’entreprise.
Sur les conseils de l’AVFT, Mme O a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur en janvier 2010. Assistée de Me Beckers, qu’elle rencontre par l’intermédiaire de l’AVFT, elle introduit donc une requête devant le Tribunal correctionnel de Nanterre pour voir requalifier cette prise d’acte en licenciement nul du fait du harcèlement sexuel.
L’AVFT intervient volontairement à ses côtés dans la procédure.
Le premier contrat de Mme O étant un CDD, son avocate, en demandant la requalification du CDD en CDI, nous fait gagner un temps précieux (entre un an et demi et deux ans de procédure), puisqu’en tel cas la requérante est dispensée du préalable de l’audience de conciliation.
La première audience est donc le bureau de jugement du 13 septembre.
Le président de l’audience (employeur), en appelant notre affaire, dit d’un air amusé « ha la formation en hauteur, c’est mon domaine, ça! ». Un soupçon d’inquiétude nous saisit. Mme O blanchit instantanément, et nous indique que les faits dénoncés vont donc forcément lui sembler normaux, tant ces agissements sont habituels dans ce milieu.
Il commence par indiquer qu’il n’entend rien (il est visiblement assez âgé) et qu’il faut venir plaider à la barre devant lui (sans espace pour poser les volumineux dossiers des avocates).
Au rappel des demandes, il interroge Mme Fizaine, représentante de l’AVFT, afin de savoir si elle présente des demandes reconventionnelles (1) … Tout en long de l’audience, nous avons l’impression qu’il ne maîtrise pas les points de droit abordés.
Le conseiller salarié semble connaître l’AVFT. L’avocate de l’employeur ne s’oppose pas à notre recevabilité et notre présence ne semble étonner personne.
Me Beckers plaide de manière approfondie et complète. Elle rappelle les faits, puis présente ses demandes et leurs fondements juridiques de manière très claire : le harcèlement sexuel, la définition, les faits, les preuves, la non-incidence du classement sans suite.
L’autre conseiller employeur regarde par la fenêtre, il soupire.
Le président, visiblement impatient et excédé lui dit : « Maître, vous n’allez pas tout nous dire ! ». L’avocate lui répond : « J’aurais préféré que ma cliente soit victime de harcèlement sur une moins longue période! ». La conseillère salariée, jusque là attentive et plutôt bienveillante, ajoute : « Il aurait mieux valu qu’elle ne soit pas victime de harcèlement sexuel du tout ! ».
Gwendoline Fizaine, qui représente l’intervention volontaire de l’AVFT, présente ses observations, elle est constamment interrompue par le président, très irrité (par la présence de l’AVFT ? Par la nature du dossier ? Par les propos tenus par les demanderesses ?).
« Essayez d’abréger, ça va, on a bien compris, c’est du harcèlement. Le harcèlement sexuel on voit ce que c’est… à peu près. On n’a pas besoin de se faire dicter par un organisme… on est compétent pour juger l’affaire ! » La conseillère du collège salarié, à ses côtés, dément d’un signe de tête.
Sur les stratégies des agresseurs et les réactions des victimes décryptées par l’AVFT, il dit : « C’est une philosophie, que vous racontez, nous on traite un dossier !(2) » .
Lorsque Gwendoline Fizaine tente de répondre aux arguments avancés par la partie adverse dans ses conclusions, il la coupe constamment : « Arrêtez de dire ce que va dire votre adversaire, il n’a pas encore parlé ! ».
Les deux conseiller-e-s salarié-e-s, visiblement en soutien de l’AVFT, font des signes invitant à écourter la plaidoirie. Gwendoline Fizaine présente tout de même les points les plus importants n’apparaissant pas dans les conclusions.
En fin de plaidoirie, le président, d’un ton vaguement ironique, demande en souriant à l’avocate de l’employeur : « Est-ce qu’il faut que vous plaidiez, Maitre, puisqu’on l’a déjà fait pour vous ?; y’a pas quelqu’un d’une association qui va venir pour vous? ».
L’avocate de la partie adverse commence, d’un ton très solennel, par une citation : « Le scepticisme est le premier pas vers la vérité. Diderot ».
Elle-même utilise le dossier de manière parfaitement mensongère. Elle présente même le signalement au parquet du contrôleur du travail comme un élément à charge contre Mme O ! Celle-ci est présentée comme une « mythomane, susceptible, capricieuse ».
Puis elle s’interroge sur le rôle de l’AVFT: « Je m’étonne que la prise d’acte intervienne deux jours après le rendez-vous à l’AVFT… ». La conseillère l’interrompt « Non, c’est justement leur rôle de conseiller ». Même le président lui dit « L’association a rempli son rôle ».
Sur l’ambiance, elle dit : « C’est cru, grivois, mais pas lourd ni vulgaire ! ». Le conseiller salarié, haussant les sourcils, en rit doucement. Puis jouant la colère, elle s’insurge : « Je ne peux pas répéter les propos , c’est trop horrible ! »
Elle présente des demandes reconventionnelles à l’encontre de l’AVFT et de Mme O de 8000? € chacune !
Le président, très impatient, ne pose aucune question à Mme O et à l’employeur, pourtant tous deux présents dans la salle. Notre affaire, appelée à 14h15 se termine peu avant 17h.
L’affaire est mise en délibéré au 30 novembre.
Conformément à nos attentes (compte tenu du déroulement de l’audience et du comportement du président et des conseiller-e-s), le conseil rend un avis de départage de voix.
Notes
1. Les demandes reconventionnelles sont toujours formulées par le défendeur et non le demandeur (qui présente une requête avec des demandes). Il s’agit de demandes indemnitaires si le défendeur considère que les demandes sont manifestement abusives.
2. L’AVFT n’a pas vocation à parler trop précisément du dossier, puisque c’est le rôle de l’avocate. Par ailleurs, nous sommes plutôt confrontées à ce grief (trop parler du dossier) lors des audiences devant des conseils de prud’hommes.