Tribunal correctionnel de Blois, 21 janvier 2012

Mme B. est embauchée le 21 septembre 2007 par la société X en qualité d’agente de fabrication. De mars à septembre 2009, elle est victime de violence physique, de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles commis par M. P. B., chef de ligne et responsable du service de nuit.

Les faits ont consisté :

  • en des propos déplacés et humiliants réitérés: «Ma petite chérie, si tu veux je peux remplacer ton mari».
  • «Viens mémère, j’ai quelque chose à te montrer dans la chambre froide»;
  • des demandes sexuelles répétées : en salle de pause, M. P.B. déshabille Mme B du regard, sort la langue, la roule et déclare : «Je vais te sauter». «Suce-moi», en se touchant le sexe, «T’as qu’à me sucer devant les gars, est-ce que tu peux me faire ça? et je te ferai un bisou mémère», propos qui entraînent l’hilarité des collègues masculins. Régulièrement en salle de pause il réitère les mêmes demandes sexuelles : «suces moi, toi je vais te sauter»;
  • des tentatives de baisers forcés et baisers forcés : A plusieurs reprises, M. P. B. surgit inopinément derrière elle, quand elle est occupée dans la réserve, la pousse violemment sur les cartons, l’immobilise et tente de l’embrasser de force. Dans le local du four, il l’attrape par le cou, bloque sa tête et l’embrasse de force sur la bouche; des attouchements réguliers sur les seins et les fesses, notamment, lorsque celle-ci a les mains occupées à confectionner des sushis. Le 9 septembre 2009 à 7h du matin, M. Br agresse sexuellement Mme B. dans la réserve où il la pousse violemment, la plaque contre le mur, se colle contre elle, lui touche les seins, lui pince fortement la mâchoire pour ouvrir sa bouche, y introduire sa langue et l’embrasser de force, en maintenant ses bras le long du corps. Mme B se débat pour se dégager, mais il la retient fermement par son tablier neuf, dont la manche se déchire.

Suite au refus de Mme B. de céder à ses exigences, M. P. B. exerce des brimades, et profère des menaces à son encontre : il l’humilie devant les collègues : «tu es bonne à rien, tu es fainéante, tu dors, ça n’avance pas, c’est moi qui donne des ordres et tu exécutes mes ordres». «Il faudrait que tu te bouges, moi je vais t’apprendre le travail». «Méfies toi, fais pas le con, tu as ta place, si tu veux la garder t’as intérêt à ne rien dire». «Si tu as ta place de responsable, c’est grâce à moi, t’as intérêt à ne rien dire», «Je dirai que tu étais consentante, j’arriverai à t’avoir».

Le 10 septembre 2009, Mme B. dénonce par écrit à son employeur les agissements de M. P. B. Suite à sa saisine le PDG de la société convoque pour un entretien au siège social de la société Mme B., laquelle demande à être accompagnée par l’AVFT. En prévision de ce rendez-vous avec la direction, l’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou reçoit Mme B., alors très stressée, pour la rassurer, la préparer à l’entretien et à formuler des demandes concrètes.

La direction prend en compte la dénonciation de Mme B. et adopte une mesure de rétrogradation à l’encontre de M. P. B. lequel perd son statut de chef d’équipe et de responsable de nuit; mais elle indique ne pas pouvoir aller plus loin, en attendant la décision du parquet relative à la plainte de Mme B., craignant, dit-elle, que M. P. B. ne se retourne contre la société au cas où la plainte serait classée sans suite. En revanche la direction s’engage à mettre en place sur le site des actions de prévention des violences sexuelles, et aussi à faire en sorte que Mme B. retrouve son poste sans préjudice pour sa sécurité et ses droits.

La plainte déposée le 17 septembre 2009 par Mme B à la gendarmerie à l’encontre de M. P. B. est classée sans suite dans un premier temps. Mais le procureur de Blois revient spontanément sur sa décision de classement sans suite et renvoie M. P. B. devant le Tribunal correctionnel du chef d’agression sexuelle. C’est dans ces circonstances que M. P. B., assisté de Me Mortelette comparait le 21 février 2012 devant le Tribunal correctionnel de Blois.

Après avoir fait le rapport du dossier, le président procède à l’interrogatoire de M. P. B. Il reconnaît plus ou moins les faits et argue du consentement de Mme B.
Le Président réagit : «Vous tenez des propos graveleux, des propos à caractère sexuel, je doute que des personnes aient trouvé cela drôle. Vous avez trouvé votre femme sur le lieu de travail. On sait qu’il y a des précédents avec Mme Ch. qui a démissionné. Mme K. a déclaré à la police que vous lui mettiez les mains entre les cuisses, vous lui avez dit je t’aurai un jour et elle a gardé le silence pour ne pas perdre son emploi».

Puis :

« Quel intérêt pour Mme B à inventer ce scénario? Si elle était consentante pourquoi le tablier est déchiré? Comment expliquez-vous le fait que vous échafaudiez un scénario pour vous défendre? Vous avez un repère flou ».

Appelée à la barre, Mme B. très émue, insiste non pas sur les faits en eux même mais sur les réactions de la collectivité de travail et son ressenti : «les collègues sous la responsabilité de M. P. B. me rejettent, m’insultent, m’accusent de vouloir le salir. Les responsables du site le soutenait, j’avais peur de lui, je ne voulais pas parler, ce sont mes collègues proches qui m’ont poussée à le faire. Par peur de retourner au travail j’ai pris un congé parental en dépit d’une grosse perte de salaire, je ne veux plus retourner travailler, c’est écrit putain sur mon casier au vestiaire. Ma vie, ma vie de couple et mon boulot sont foutus en l’air. J’ai une grande souffrance intérieure».

Me Cittadini pour Mme B a fait un exposé exhaustif des faits et démontré son absence de consentement. l’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou, a notamment insisté sur la nécessité de mettre en place dans les entreprises des actions de prévention des violences sexuelles pour empêcher leur commission et éviter l’exclusion des femmes de leur emploi avec des conséquences comme celles décrites par Mme B.

La procureure a rebondi sur les propos de l’AVFT relatifs à la prévention : «Madame je ne comprends pas qu’on puisse parler de prévention en entreprise pour des gaillards qui sont des majeurs, des pères de famille. C’est une question élémentaire d’éducation que de respecter l’autre. M. P. B. vous avez un comportement sexualisé, inadapté et outrageant. Vous voulez faire passer Mme B. pour ce qu’elle n’est pas. Depuis des années il a ce comportement sans se poser des questions. Il nécessite des soins… «Viens me sucer, viens faire ci, viens faire ça», il y a un problème. Dans la symbolique (?!) les faits sont graves, il n’a eu aucun mot en direction de la victime. Il faut une condamnation pour éviter que ça recommence. M. P. B. est accessible au sursis simple ». Elle requiert six mois d’emprisonnement avec sursis, 18 mois de mise à l’épreuve avec obligation de soins et obligation d’indemniser la victime.

Me Mortelette plaide la relaxe de M. P. B. au bénéfice du doute. Il parle de « confusion », de « sujet sensible » : «Quand on voit aujourd’hui ce qui se passe dans la société, je ne vois pas ce qu’on reproche à mon client. Il n’est pas question de lui faire payer un comportement social. La société est basée sur une égalité de droit et la question essentielle est de savoir s’il a commis une atteinte sexuelle, est ce qu’il a contraint Mme B.? Je ne peux pas laisser dire que parce qu’il a reconnu la matérialité des faits qu’il y a un défaut de consentement. Ne peut-on pas considérer que Mme B. ait pu accepter et n’a plus voulu accepter après ? Il y a un doute ».

Le Tribunal a déclaré M. P. B. coupable d’agression sexuelle sur la personne de Mme B., l’a condamné à 9 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve de 18 mois avec obligation de traitement ou de soins médicaux même sous le régime d’hospitalisation, et obligation de réparer les dommages causés par l’infraction. Le Tribunal, dans sa grande générosité (…), a en outre condamné l’agresseur à indemniser Mme B à hauteur de 2000 euros et 150 euros à l’AVFT. L’agresseur n’a pas relevé appel de ce jugement.

Gisèle Amoussou
Juriste-Chargée de mission

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