Condamnation pour harcèlement sexuel de la SCP Alzieu et Boutin par la Cour d’appel de Toulouse le 5 avril 2012

Recrutée le 9 juillet 2007 en qualité de manipulatrice d’électroradiologie médicale par la SCP Fournier, Clottes, Gaspard, Houyau, Alzieu, Boutin, Mme S. est licenciée le 24 janvier 2008 pour avoir repoussé les agissements de harcèlement sexuel d’un collègue.

Mme S reproche à son collègue des propos humiliants, injurieux, menaçants, sexuels, d’une extrême misogynie, et racistes :

« Pendant mes vacances au Maroc, je me suis fait faire un massage par une masseuse en string ». «Les Maghrébines sont branchées sur ça, elles sont chaudes et ne recherchent que le sexe », « Avoue que tu en es une, tu es comme ça, tu ne vas pas le nier ». « B. me regarde avec des yeux noirs ; ils sont noirs, mais coquins ». «Si j’étais ton mari, je te mettrais par tous les trous » ; « Salope qu’est-ce que tu fous là ? Et si je te viole pour de vrai, tu penses que tu es capable de me repousser, j’ai qu’une envie, c’est de t’écraser contre le mur ».

Mme S. informe l’employeur des agissements de son collègue. Celui-ci, prenant le parti du harceleur (17 ans d’ancienneté) l’humilie, la rabaisse, l’injurie et « la met en quarantaine ». Elle en réfère de nouveau à l’employeur, sur la dégradation de ses conditions de travail, lequel lui impute alors l’entière responsabilité de la situation : « Vous venez d’arriver et vous avez envie de tout changer, ils ont toujours travaillé comme ça, ils ne changeront pas ». « On ne va pas toujours revenir à ça, alors qu’est-ce qu’on fait ? ». Le 10 janvier 2008, l’employeur la menace : « ça ne va pas avec l’équipe, ça ne peut plus durer comme ça » avant de la licencier deux semaines plus tard.

Mme S porte plainte pour les faits précités (plainte classée sans suite) et saisit le Conseil de prud’hommes aux fins d’une requalification de son licenciement en licenciement nul.

Plusieurs renvois sont prononcés, car Mme S. a dû changer à deux reprises d’avocat, en raison de son désaccord avec la défense proposée par ces derniers, visant à occulter les faits de harcèlement sexuel et à aborder exclusivement le harcèlement moral.

Me F, constituée ensuite par Mme S., accepte de traiter tous les aspects du dossier et de collaborer avec l’AVFT. A réception de nos observations, l’avocate, initialement réticente à solliciter la nullité du licenciement, souscrit finalement à l’argumentation développée par l’AVFT au soutien de sa demande en nullité.

Très exhaustive dans sa plaidoirie, elle démontre le lien entre le licenciement de Mme S. et sa dénonciation du harcèlement sexuel et partant, l’inexistence de l’insuffisance professionnelle alléguée. L’avocat de l’employeur plaide l’insuffisance professionnelle sans pour autant parvenir à l’établir. L’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou, pointe la responsabilité de l’employeur, ce en quoi le Conseil l’a suivie en déclarant que «la responsabilité de l’employeur est engagée, même s’il n’est pas directement l’auteur des faits reprochés».

Pour ce faire il relève les éléments objectifs suivants: «Mme S. n’avait jamais fait précédemment l’objet de remarques et de sanctions disciplinaires concernant son travail»; «Les certificats médicaux produits par les docteurs Fabre et Anglade font bien un lien entre les traumatismes subis par Mme S. dans le cadre de son travail»; « Dès sa connaissance des faits de harcèlement sexuel par un salarié envers Mme S., l’employeur n’a pas eu de réaction significative,…. Aucune suite concernant le harcèlement sexuel n’a été donnée par l’employeur».

En conséquence, le Conseil prononce le 30 juin 2010 la nullité du licenciement entrepris à l’encontre de Mme S. et condamne l’employeur à lui verser 15.914 euros à titre de dommages et intérêts du fait du licenciement nul et 10 000 euros en réparation du préjudice moral. L’employeur est également condamné à payer 1500 euros de dommages et intérêts à l’AVFT au titre de son propre préjudice moral. La SCP Alzieu et Boutin interjette appel de ce jugement et l’AVFT, déboutée de sa demande au titre du l’article 700 du code procédure civile (frais de procédure), fait appel incident

A l’audience de la Cour d’appel du 22 février 2012, après le rapport du dossier fait par une conseillère, le président qui connaissait parfaitement le dossier demande aux parties d’apporter des précisions sur quelques points avant de leur donner la parole. Le président se montre très intéressé par les explications de l’AVFT sur la définition européenne du harcèlement et sa transposition dans la loi du 27 mai 2008. Me F, dans l’intérêt de Mme S., reprend son argumentation de première instance et sollicite la confirmation du jugement déferré.

L’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou, démontre la responsabilité de la SCP Alzieu et Boutin tant d’un point vue légal que jurisprudentiel et demande l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté l’association de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Me Rimaillot, toujours conseil de la SCP Alzieu resté fidèle à son système de défense soutient que le licenciement de Mme S est motivé par une insuffisance professionnelle et que la Cour ne peut qu’infirmer le jugement entrepris et débouter Mme S. de toutes ses demandes.

La cour met l’affaire en délibéré au 5 avril. A cette date elle rend un arrêt par lequel elle «Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celle relative à la demande de l’AVFT en application de l’article 700 du code de procédure civile. Statuant à nouveau elle condamne la SCP Fournier, Clottes, Gaspard, Houyau, Alzieu, Boutin et Votron à lui payer la somme de 1000 euros à ce titre pour les frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel».

La Cour considère que : «Ce licenciement est dépourvu de tout fondement, et compte tenu du lien établi avec la dénonciation par Mme S. des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime, c’est à bon droit qu’il a été déclaré nul par le Conseil de prud’hommes lequel a fait une exacte appréciation du préjudice subi».

L’arrêt de la cour confirme à bon droit le jugement de nullité, solidement motivé par des éléments objectifs du dossier, entrepris par le Conseil. La responsabilité de l’employeur a été retenue en l’espèce parce qu’il n’a donné aucune suite à la dénonciation du harcèlement sexuel par la salariée. En outre le classement sans suite de la plainte pénale de Mme S. pour harcèlement sexuel n’a eu aucune incidence sur la procédure prud’homale, en raison des modes de preuve différenciés pour ces deux procédures.

Gisèle Amoussou
Juriste-chargée de mission

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email