Harcèlement sexuel : « erreurs » ou volonté délibérée de nous faire porter la responsabilité de l’abrogation de la loi ?

Une erreur, plus une erreur, plus une erreur, à force, ça devient louche, surtout quand c’est toujours la même.

Une erreur isolée, dans le flot de l' »information », au demeurant plus ou moins précise, plus ou moins vérifiée, qui coule dans les médias depuis le 4 mai sur le harcèlement sexuel et les raisons pour lesquelles on en est arrivé « là »… Et bien cette erreur isolée, tant pis, qu’elle passe en pertes et profits, on verra plus tard, quand on aura le temps, quand on aura fini de préparer les « dossiers » des victimes, de se faire des noeuds au cerveau pour tenter de sauver telle procédure démarrée sur le fondement d’une infraction qui n’existe plus, quand on aura pris le temps d’appeler I., qui vient d’être à nouveau hospitalisée dans une clinique psychiatrique après avoir appris que sa plainte pour harcèlement sexuel a été classée sans suite pour « défaut de base légale », quand on aura enfin bouclé cet article pour une revue spécialisée (si vous me lisez, désolée…), quand on aura répondu aux sollicitations de toutes parts, quand on aura mis le point final à notre rapport d’activité, quand on aura achevé cette formation-là…

Mais quand cette « erreur » tend à se substituer à la réalité et à prendre le visage d’une campagne de désinformation, ça suffit.

Libération d’hier faisait sa Une sur le harcèlement sexuel (« Harcèlement sexuel, le silence de la loi« , un an après une autre Une « Harcèlement sexuel, le douloureux réveil« ).

Il était possible de lire, dans l’édito signé François Sergent, qu’en 2002, le législateur avait étendu le champ du délit « à la demande des associations de femmes« .

Passons sur la dénomination « associations de femmes », on ne peut quand même pas toujours batailler sur tous les fronts.

Si dès après le vote de la loi sur le harcèlement sexuel en 1992, l’AVFT en avait en effet critiqué la définition, l’association n’est pas, pas plus qu’aucune autre association féministe, à l’origine de la modification de 2002 ayant totalement appauvri le délit au point d’en faire « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle« .

L’AVFT, pas plus que d’autres associations, n’avait été consultée au cours du processus législatif ayant conduit au vote de la loi dite de « modernisation sociale ». Si elle l’avait été, et si elle avait été entendue, la loi n’aurait pas pu être abrogée dix ans plus tard.

François Sergent, à qui j’ai fait remarquer que son édito contenait un élément absolument inexact, m’a indiqué sa source. Sa source est donc… Le blog de Me Eolas.
Ceci ne manque pas de sel.
Un journaliste reprend donc de fausses informations, sur le blog d’un avocat, dont l’un des leitmotiv est de critiquer, à juste titre, le manque de précision des journalistes en matière de droit et de fabrication de la loi et le peu de fiabilité de leurs sources.

Et comme Me Eolas a parole d’évangile juridique, nul besoin n’est-ce pas de croiser ses sources et par exemple, enfin juste pour exemple, de poser la question à la principale intéressée, à savoir l’AVFT, seule association française spécialisée dans la lutte contre les violences sexuelles au travail et en particulier le harcèlement sexuel. Cette question aurait pu ressembler, par exemple, à ça : « Quel a été le rôle de l’AVFT dans la modification législative intervenue en 2002 ? » ou ça : « Quelles étaient vos préconisations ? » ou alors ça : « Etiez-vous satisfaites du texte voté ?« .

A la première question, nous aurions répondu : « Aucun rôle« .
A la seconde, nous aurions répondu : « Si vous acceptez de prendre un peu de temps pour comprendre, nous pouvons vous expliquer les tenants et les aboutissants de notre proposition de réforme« . Là, notre interlocuteur se serait rendu compte que le texte voté n’avait rien à voir avec celui que nous proposions.
A la troisième, nous aurions répondu : « Mise à part la suppression de l’abus d’autorité comme élément constitutif de l’infraction, puisque dans environ 20% de nos dossiers, le mis en cause est un collègue de même niveau hiérarchique et que rien ne justifie qu’il bénéficie d’une impunité légale, le texte ne nous satisfaisaient en rien. D’ailleurs, nous avions ainsi conclu un texte, écrit en juin 2002 : « Au-delà d’acquis ponctuels, la loi du 17 janvier 02, marque donc une régression« .

Et s’il avait creusé un peu, juste un tout petit peu (par exemple, en consultant quelques articles publiés sur le site de l’AVFT ou en consultant les comptes-rendus publics de mes auditions devant des parlementaires), il aurait découvert que l’association elle-même dénonçait depuis plusieurs années la contrariété du délit de harcèlement sexuel à la Constitution, ce qu’en coeur, Parlement, pouvoirs publics et même syndicats de magistrats refusaient de prendre en compte.

Aujourd’hui, on me signale la parution le 16 mai 2012, toujours dans Libé, d’une Tribune qui m’avait échappée, signée par Paul Bensussan, psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale, et par Barbara Casalis, Sexologue clinicienne. Tribune intitulée « Harcèlement sexuel : L’intolérable brèche« . Je n’identifie pas Barbara Casalis, mais Paul Bensussan, fort bien. Autant dire que j’ai d’emblée trouvé ce titre suspect. L’intolérable brèche ? Dans les rapports de domination sexués vous voulez dire ?!
Bref.

On y lit ceci : « La loi de 2002, dite «de modernisation sociale», avait été accueillie comme un progrès considérable par les mouvements féministes. Parmi les évolutions applaudies, figurait pourtant ce que les juristes appellent le renversement de la charge de la preuve, obligeant le présumé harceleur à prouver sa bonne foi. Ce qui faisait dire à Catherine Le Magueresse, alors présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail : «Beaucoup de victimes – la confusion est constante entre victimes et plaignantes – étaient découragées par la loi, car c’était à elles d’apporter la preuve des faits. Désormais, l’accusé aussi devra donner des preuves de son innocence !» (…) Tout se passe en effet comme si, lorsque le crime ou le délit est sexuel, les règles classiques du droit pénal ne pouvaient plus s’appliquer. « .

Petite leçon de manipulation en deux points :

1) Vous commencez par affirmer avec aplomb et emphase (« la loi avait été accueillie comme un progrès CONSIDÉRABLE par les mouvements féministes« ), une contre-vérité.

2) Vous reprenez une déclaration de Catherine Le Magueresse, ex-présidente de l’AVFT, qui est évidemment passée à la moulinette abusivement simplificatrice d’un journaliste. Catherine Le Magueresse, dont les compétences juridiques ne peuvent en aucun cas être mises en doute, n’a certainement pas dit que le « présumé » (!) « harceleur » devra « prouver sa bonne foi » et qu’il devra « donner les preuves de son innocence » ! L’ex-présidente de l’AVF, que j’ai beaucoup vue à l’oeuvre avec les médias, avait dû s’armer de patience et de pédagogie pour expliquer à un journaliste pressé que les règles de preuve en matière prud’homale, avaient été modifiées, ce qui ne faisait que résulter d’une directive européenne(1). Elle avait dû aussi dire que contrairement à ce que certains juristes et médias affirmaient, la charge de la preuve n’avait pas été renversée, mais aménagée, c’est-à-dire répartie entre l’employeur (et non pas le harceleur) et la requérante. Elle avait certainement voulu préciser, à un journaliste qui n’avait que faire du droit, que désormais, le ou la salariée devait présenter des faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement sexuel, charge à l’employeur de démontrer que les sanctions prises à son encontre (un petit licenciement, par exemple), n’avaient rien à voir, mais alors vraiment rien à voir, avec le fait qu’il ou elle ait subi, refusé de subir, relaté ou témoigné d’un harcèlement sexuel.

Mais bon, l’avantage avec le droit, c’est qu’on peut prétexter n’y rien comprendre pour affirmer n’importe quoi.
Et à la faveur du flou (tiens, encore lui), y ajouter un peu-beaucoup d’idéologie. Ainsi, M. Bensoussan et Mme Casalis prêtent-ils à Catherine Le Magueresse, en matière pénale, des propos qu’elle a tenus (et au demeurant, pas ceux qu’elle a réellement tenus) en référence à la réforme du…Code du travail.

Qu’ils se rassurent donc : « lorsque le crime ou le délit est sexuel, les règles classiques du droit pénal« , à savoir le respect de la présomption d’innocence, ont toujours trouvé à s’appliquer.

Soyons clairs : tous les avis sont dans la nature et nous n’avons rien contre la contradiction, sauf quand elle est aveuglée de préjugés antiféministes, qui conduisent à nous prêter des actions que nous n’avons pas menées et des propos que nous n’avons pas tenus.

Résumons : ces gens-là affirment ni plus ni moins à propos de l’abrogation de la loi, que nous n’aurions qu’à nous en prendre à nous-mêmes, puisque ce serait de notre faute si le délit est devenu anticonstitutionnel en 2002.
Ça ne vous rappelle rien ? Ben si bien sûr. Evidemment.
Harcelée ? Elle n’a qu’à être un peu moins coincée.
Agressée ? Elle ne l’aurait pas un petit peu allumé ?
Violée ? A-t-elle protesté suffisamment énergiquement ?
Loi abrogée ? …
C’est ce qu’on appelle un transfert de responsabilité.

Les deux auteurs affirment aussi : « C’est précisément ce flou qui est relevé dans la décision d’abrogation : comment définir un délit par la seule subjectivité de celui ou celle qui se plaint ?« .
Quelle blague !
Relisons la définition abrogée du harcèlement sexuel : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle« .

A partir de la subjectivité de qui le délit était-il construit, au juste ? Où est présent-e, dans ce texte, « celui ou celle qui se plaint » ?

Cherchez-bien.

Marilyn Baldeck

Notes

1. Directive communautaire du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe

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