Un dimanche du mois de juin au cinéma, dans un multiplex parisien, il est 15H00.
17 films à l’affiche. Les « blocksbusters » américains de l’été et les premiers films Cannois occupent l’essentiel de la programmation.
Un intrus s’est pourtant glissé entre deux affiches.
Il s’agit d’un premier long métrage égyptien non doublé, d’un réalisateur inconnu en France, Mohamed Diab.
Un film au budget limité, une mise en scène et des acteurs corrects mais pas inoubliables.
Pourtant, la salle est comble.
Le sujet?
Trois femmes égyptiennes de milieux différents, tentent de lutter contre les agressions sexuelles dont elles sont victimes au quotidien, dans la rue, le bus ou chez elles.
Le film s’inspire de faits réels et met notamment en scène le personnage de Noha Rushdi; 27 ans, première femme Égyptienne à avoir porté plainte pour agression sexuelle en 2008. L’agresseur a été condamné à 3 ans de prison ferme. Par la suite, l’agression sexuelle est devenue en 2009, un délit en Égypte.
Si le film a particulièrement bien été accueilli par la presse française, il y a fort à parier que c’est parce qu’il se situe en Egypte.
En effet, la plupart des critiques consacrée au film fait un lien direct entre les violences faites aux femmes et la société égyptienne, comme pour se dédouaner d’emblée de toute analyse plus universelle.
Le journaliste Jacques Mandelbaum dans Le monde (29.05.2012) écrit que le film « aborde frontalement un problème de société dont l’ampleur est sous-estimée et qui demeure encore largement tabou dans son pays : celui du harcèlement sexuel(1) ».
Louis Lepron de RUE 89 estime que « Les Femmes du bus 678 » -est un film- contre les clichés des Egyptiens.
Adrien Gombeaud des ECHOS (31.05.2012) explique les violences faites aux femmes comme « le poids d’un modèle de société confronté à la modernité. Ces comportements sexuels criminels expriment soudain toutes les frustrations d’une société sous camisole… ».
Enfin, Emmanuele Frois, du Figaro explique que « le cinéaste Mohammed Diab montre sans manichéisme, le fonctionnement des mentalités dans la société égyptienne. »
Evidemment, il ne s’agit pas de dire que l’Egypte est le pays des droits des femmes, surtout si l’on en croit une étude réalisée en 2008 par le centre égyptien pour les droits des femmes – ECWR, établissant que 83% des Egyptiennes et 98% de femmes étrangères ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel, le plus souvent dans la rue et dans les transports en commun.
Cependant, essentialiser les violences faites aux femmes à un pays -donc une culture- ou une société particulière est, sinon du racisme et manque d’honnêteté intellectuelle criante.
À l’heure où le délit de harcèlement sexuel n’existe plus en France, on ne peut s’empêcher de regarder ce film à l’aune de notre actualité française et de toutes les victimes que nous rencontrons depuis 27 ans. Et le film agit comme un boomerang.
Que dire alors de la France ?
Pourquoi en Egypte comme en France les victimes disent-elles toutes la même chose ?
Pourquoi témoignent-elles toutes des mêmes faits ?
Les bus du Caire sont-ils si différents des bus et des métros Parisiens ?
Pourquoi faut-il toujours se battre pour se faire respecter ?
Pour déposer plainte ?
Pour être entendue ?
Pour être soutenue par la famille ?
Un passage du film est particulièrement révélateur de ce que les violences faites aux femmes sont minimisées en Egypte comme en France. Une des femmes est victime d’agression sexuelle par un enfant de 8 ans qui lui touche les fesses dans un marché. Cette dernière lui court après en demandant aux passants de l’arrêter. Personne ne réagit jusqu’à ce qu’elle crie « Au voleur ». C’est seulement ainsi que l’enfant sera arrêté par des hommes.
En France comme en Egypte, l’atteinte à la propriété privée est toujours plus grave que l’atteinte au corps des femmes. En France, le harcèlement sexuel était 3 fois moins puni que le vol. Maintenant que le délit n’existe plus, que penser de notre société à nous, les tenants de la modernité la plus aboutie ?
Lorsque le patriarcat aura disparu du globe terrestre, nous pourrons enfin commencer à parler de civilisation et de « modernité ».
SP
Notes
1. Ces articles -tous rédigés par des hommes- parlent systématiquement de harcèlement sexuel alors qu’il s’agit bien d’agression sexuelle.