Volet droit du travail du projet de loi sur le harcèlement sexuel : les critiques de l’AVFT

Protection des salarié-e-s et des fonctionnaires :

  • Le renvoi formel à l’article 222-33 : une remise en cause de l’indépendance de jugement des juridictions sociales préjudiciable pour les droits des salarié-e-s victimes de violences sexuelles

  • L’acte unique en droit social: un régime à clarifier

  • Une différence de traitement injustifiée entre salarié-e-s du secteur privé et agent-e-s de la fonction publique

Le projet de loi relatif au harcèlement sexuel qui sera débattu à partir du 11 juillet au Sénat réintroduit la disposition pénale sur les sanctions ou les mesures discriminatoires à l’encontre des salarié-e-s ayant subi, refusé de subir, relaté ou témoigné des agissements de harcèlement sexuel.
Cette disposition avait été supprimée lors de la refonte du Code du travail en 2008, pourtant théoriquement « à droit constant ». Cela permettra aux victimes, à l’inspection du travail et/ou aux parquets de mettre en cause pénalement les employeurs ayant sanctionné les victimes (plutôt que le harceleur), ce qui est extrêmement courant dans les procédures dans lesquelles l’AVFT intervient.
Cette pénalisation témoigne du grave trouble à l’ordre public causé par ces employeurs qui envoient un message d’impunité des agissements de harcèlement sexuel à l’ensemble du collectif de travail.

Hormis ce rétablissement qui était attendu, les autres dispositions du projet de loi relatives au droit du travail signent un recul de la protection des salarié-e-s victimes ou témoins de harcèlement sexuel et doivent donc faire l’objet d’amendements.

1/ Un renvoi au Code pénal qui affaiblit la protection des salarié-e-s victimes de harcèlement sexuel (et d’autres formes de violences sexuelles au travail)

Le projet de loi fait disparaitre la définition du harcèlement sexuel du Code du travail, et la remplace par un renvoi à l’article correspondant du Code pénal.

  • Un recul de la liberté d’appréciation des juridictions sociales

Le 2° de l’article 3 du projet de loi modifiant les articles du code du travail dispose en effet : « Art. 1153-1 : Dans le cadre des relations de travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis et réprimés par l’article 222-33 du Code pénal », alors que jusqu’à présent, la définition du harcèlement sexuel était reprise in extenso.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes1 ne justifie pas ce choix, qui était déjà celui du gouvernement, et se contente de préciser : « Cette coordination devra être effectuée par un renvoi à la définition donnée dans le Code pénal(1)».
Quant à la commission des lois du Sénat, sa justification est consternante : « Cette approche présente l’avantage de prémunir le législateur d’un éventuel oubli de coordination, dans le cas où la définition du harcèlement sexuel figurant dans le code pénal serait à nouveau appelée à évoluer »(2). Elle ne repose donc sur aucun motif de fond.

Pourtant, les implications d’un tel choix sont très importantes, et préjudiciable à l’effectivité de la loi sociale relative au harcèlement sexuel.

Pour preuve, la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires n’a pas subi le même sort : la définition du harcèlement sexuel y est reprise in extenso, de manière parfaitement réfléchie, « pour préserver l’autonomie du droit disciplinaire et la liberté d’appréciation du juge administratif » (3), conformément à la demande de M. Verdier, Directeur général de l’administration et de la fonction publique, qui indiquait dans son audition qu’un renvoi à l’article 222-33 porterait « atteinte à l’indépendance des actions disciplinaires et pénales »(4).

En effet, le renvoi au « faits de harcèlement sexuel tels que définis et réprimés par l’article 222-33 du Code pénal » hôte aux juridictions sociales la possibilité d’apprécier librement, et selon des critères qui leur sont propres, les agissements susceptibles de constituer le harcèlement sexuel.

Ainsi cette modification législative peut-elle marquer un coup d’arrêt à la construction en cours d’une jurisprudence sociale du harcèlement sexuel spécifique et fondée sur des textes d’origines diverses : directive européenne du 23 septembre 2002 (5), loi du 27 mai 2008 (6) .
En dépit de la modification législative à venir, cette autonomie du procès social doit être absolument préservée, car les dispositions des textes précités demeurent plus favorables que celles qui sont susceptibles d’être votées. Dans la directive, il n’est en effet point question de « propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle » « imposés » « de façon répétée » mais « d’un comportement non désiré à connotation sexuelle ». Ces agissements n’ont pas à « porter atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » ou à « créer à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant » mais doivent avoir « pour objet ou pour effet de porter atteinte à (…) ».
Ni le gouvernement ni le Sénat n’ont souhaité reprendre l’expression « comportement non désiré » de la directive européenne, arguant d’une trop grande subjectivité incompatible avec les exigences spécifiques de la loi pénale. Cet argument n’a plus lieu d’être s’agissant de dispositions civiles.

Il serait donc nécessaire que la définition retenue dans le Code du travail (et la loi du 13 juillet 1983) s’affranchisse de celle du Code pénal ou qu’à tout le moins la liberté d’appréciation des juridictions sociales soient préservée.

A défaut, le renvoi à l’article 222-33 du Code pénal aurait pour effet d’augmenter le nombre de sursis à statuer prononcés par les juridictions sociales – et donc l’augmentation conséquente de la durée déjà insupportable des procédures – à rebours des objectifs de la réforme introduite par la loi du 5 mars 2007 (7) relative au principe de primauté du pénal sur le civil.

Le renvoi à l’article 222-33 du Code pénal pourrait gravement compromettre le fonctionnement d’un volet relativement efficace de la réponse judiciaire au harcèlement sexuel dans les relations de travail.

– La fin d’une protection spécifique pour les salarié-e-s victimes d’autres formes de violences sexuelles.

Renvoyer à l’article 222-33 du Code pénal reviendrait à exclure de la protection des dispositions sociales une victime en cours de procédure ou ayant obtenu une condamnation pénale sur le fondement d’une autre infraction, comme les agressions sexuelles (article 222-22 du Code pénal). Au travail, celles-ci sont le plus souvent accompagnées de harcèlement sexuel, mais s’il n’est pas également visé ou poursuivi, les salarié-é-s ne pourraient pas obtenir réparation du fait de la perte de leur emploi sur le fondement des dispositions relatives au harcèlement sexuel.
Ils/elles ne seraient en effet pas protégé-e-s par les interdictions et les sanctions (nullité de la décision) des mesures discriminatoires (L1153-2 , L1153-3 et L1153-4 du code du travail), et ne pourraient pas non plus bénéficier du régime probatoire aménagé de l’article L 1154-1 du Code du travail (8), ce qui aurait pour conséquence directe une plus grande difficulté à prouver les agissements et donc à faire valoir ses droits devant les juridictions sociales.

2) La protection des personnes ayant « subi ou refusé de subir » et « témoigné ou relaté » des agissements de harcèlement sexuel  contre les sanctions : une inégalité injustifiée

Le Code du travail prévoit une protection contre les sanctions et mesures discriminatoires pour les personnes ayant « subi ou refusé de subir » (L 1153-2) ou « témoigné ou relaté » (L 1153-3) des agissements de harcèlement sexuel.
Le projet de loi envisage de compléter l’article L1153-2 en y ajoutant les mots : « y compris si ces agissements n’ont pas été commis de façon répétée », afin d’élargir la protection des personnes confrontées à un acte unique ayant de harcèlement sexuel ayant eu des conséquences discriminatoires.
Auparavant cette précision n’était pas utile puisque la répétition n’était pas nécessaire pour la constitution du harcèlement sexuel.
Il était donc pertinent de modifier cet article en ce sens, mais il n’est pas acceptable d’exclure de cet élargissement de la protection les personnes ayant « relaté ou témoigné » (L1153-3) qui en pratique sont souvent les victimes elles-mêmes, sanctionnées après avoir dénoncé les faits ?
Il convient donc de compléter l’article L 1153-3 de la même manière que le L1152-3.

3/ L’acte unique de harcèlement sexuel emporte protection contre des mesures discriminatoires mais n’est pas interdit ?

Dans le projet, il n’est pas prévu de complément « y compris si ses agissements n’ont pas été commis de façon répétée » à l’article L1153-1 qui pose l’interdiction du harcèlement sexuel.
Si un supérieur hiérarchique, lors d’un entretien pour un changement de poste d’une de ses subordonnées, se permet des commentaires graveleux sur son physique, la regarde avec insistance de la tête aux pieds, la raccompagne en posant une main sur sa hanche en lui disant qu’il attend « une collaboration très étroite », il adopterait alors un « comportement  à connotation sexuelle, qui crée à son égard un environnement, intimidant, hostile et offensant ».
Si le supérieur hiérarchique refuse le poste à la salariée (parce qu’elle aurait protesté), celle-ci serait alors protégée contre une sanction de l’employeur ou de ce supérieur hiérarchique, même si ses agissements ont été limités à cet entretien.
En revanche, si c’est la salariée qui refuse le poste du fait du comportement de ce supérieur hiérarchique, elle ne serait alors pas protégée, puisque dans le projet de loi l’article 1153-1 du Code du travail ne s’applique pas en cas d’acte unique.
Ce comportement du supérieur hiérarchique serait-il autorisé, acceptable, licite? Quel est le monde du travail que l’on veut construire ? Quel type de relation à l’autre voulons-nous dans le monde de l’entreprise ?

Les articles L1153-1, L 1153-2 et L1153-3 du Code du travail doivent donc prévoir l’acte unique.

4) Salarié-e-s de la fonction publique : une protection au rabais 

L’article 3 bis du projet de loi, relatif à la fonction publique, prévoit de conserver les mêmes dispositions (9) relatives au harcèlement sexuel, et de ne changer que la définition du harcèlement sexuel, reprise in extenso, comme auparavant, à partir de l’article 222-33 du Code pénal, sans y renvoyer explicitement.

Cependant, le projet de loi sur le harcèlement sexuel prévoit de conserver des inégalités de droit et de traitement entre les salarié-e-s du privé et les fonctionnaires, mais plus encore les aggrave.

En effet, aujourd’hui les fonctionnaires (c’est un comble !) sont bien moins protégé-e-s des agissements de harcèlement sexuel que les salarié-e-s du secteur privé.

L’article 6 ter de la loi du 13 juillet 19838 relative à l’interdiction des mesures discriminatoires suite à des agissements de harcèlement sexuel ne prévoit pas, ni aujourd’hui ni dans le projet de loi, d’interdiction formelle du harcèlement sexuel, au contraire de l’article 1153-1 du Code du travail, ou des articles de cette même loi relatifs au harcèlement moral (10) ou à la discrimination (11).
Cette interdiction formelle doit donc être inscrite en reprenant la définition du harcèlement sexuel finalement retenue pour le Code du Travail (sans renvoi à l’article 222-33 du Code pénal)

Par ailleurs, le statut de la fonction publique ne prévoit pas d’obligation spécifique de prévention du harcèlement sexuel mise à la charge de l’employeur, qui serait le parallèle de l’article L1153-5 du Code du travail : « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel ».
Une obligation spécifique de prévention du harcèlement sexuel dans le statut des fonctionnaires doit être ajoutée.

Le projet de loi ajoute une nouvelle inégalité de traitement en prévoyant que soient protégées des mesures discriminatoires les salarié-e-s du secteur privé victimes d’acte unique ayant subi ou refusé de subir le harcèlement sexuel, sans étendre ce dispositif aux fonctionnaires.
Cette inégalité n’étant pas plus justifiée que les autres,le même régime, concernant l’acte unique, doit être appliqué dans le code du travail et dans le statut des fonctionnaires.

Contact :
Gwendoline Fizaine, juriste chargée de mission
Tél : 01 45 84 24 24

Notes

1. Rapport de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, 25 juin 2012

2. Rapport de M. Alain Anziani, 27 juin 2012, page 45

3. Ibid, page 73

4. Ibid, page 50

5. L’article 2 de la directive européenne 2002/73/CE du 23 septembre 2002 définit le harcèlement sexuel comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant». Cette définition est opposable devant le Conseil de Prud’hommes depuis le 5 octobre 2005, date limite de transposition de la directive fixée par la commission et le conseil européens. En outre les directives sont invocables directement lorsqu’elles édictent une obligation claire, inconditionnelle et précise.

6. Loi n°2008-496 du 27 mai 2008 applicable devant toutes les juridictions civiles et donc devant le conseil de prud’hommes. Selon l’article 1er de ladite loi interdit : « (…) 1° Tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

7. En effet, la loi du 5 mars 2007 a modifié l’article 4 du Code de Procédure pénale concernant le sursis à statuer pour que les juridictions civiles puissent statuer sans attendre la décision pénale, sauf dans le cas suivant : le sursis à statuer ne « demeure obligatoire que lorsque l’action civile est introduite séparément de l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement, avec pour unique et même objet, la réparation du dommage causé par l’infraction. » Le plus souvent, nous avons donc des procédures pénales et sociales qui suivent leur cours en parallèle (et heureusement vu les durées des procédures, tant pénales que sociales).

8. « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le, salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

9. Article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

10. Article 6 quiquiès de la loi du 13 juillet 1983: « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :
(…) »

11. Article 6 bis de la loi du 13 juillet 1983 : « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe. (…) »

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