Tribunal correctionnel de Paris, 2 octobre 2012

Le 22 mars 2010, Mme P. saisit l’AVFT. A 24 ans, elle occupe son premier poste après des études de communication dans une société d’immobilier. Mais lors d’un déplacement professionnel à Cannes quatre jours plus tôt, son supérieur hiérarchique de 20 ans son aîné, M. A., l’agresse sexuellement. Il lui touche les cuisses, les fesses et le sexe. Elle nous explique qu’elle a été contrainte de l’accompagner dans sa chambre d’hôtel pour débriefer la journée, qu’il a insisté pour lui faire un massage. Elle a refusé mais il a insisté encore et a commencé à lui enlever ses bottes. Quand elle a cherché à s’échapper de son emprise, il l’a repoussée sur le lit et lui a dit qu’il faisait cela pour lui faire du bien.

Lors de son appel à l’AVFT, Mme P. est complètement perdue, ne sait pas quoi faire concernant son avenir professionnel. Elle a également très peur de cet homme qui « connaît du monde, des avocats ». Elle est convaincue (et nous aussi, compte tenu de sa stratégie) que d’autres victimes existent. Elle commence à chercher et découvre très rapidement Mme V.. Cette dernière, masseuse de profession, a été victime d’une agression sexuelle de la part du même homme dans des conditions similaires en juin 2009.

Elles déposent toutes les deux plainte : Mme P. le 26 mars 2010 et Mme V. le 8 avril 2010. L’enquête préliminaire a révélé que M. A. a, dès l’annonce des plaintes déposées contre lui, quitté le territoire pour Miami.

Il apparaît également que M. A. est un ancien athlète de haut niveau avec « dix-sept années d’équipe de France » et qu’il maîtrise parfaitement les techniques de relaxation. Il est décrit comme « un homme qui dispose d’une autorité naturelle, il possède un charisme réel, très bien habillé et plein d’humour un vrai talent de management d’orateur ». Il est également « très insistant » avec les femmes (selon un témoin interrogé par les services de police).

Une information judiciaire est ouverte par le parquet de Paris. M. A. est placé en garde à vue. Puis sous contrôle judiciaire.

Le 31 octobre 2011, le magistrat instructeur rend une ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Paris pour agression sexuelle sur les personnes de Mmes P. et V. avec circonstance aggravante (les faits ayant été commis par une personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions) et en état de récidive légale. M. A. a, en effet, été condamné le 21 juin 2005 pour la Cour d’appel d’Aix-en-Provence pour des faits similaires sur deux employées.

La 1ère condamnation pour agression sexuelle par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 21 juin 2005

Le 17 octobre 1997, Mme V. était engagée en contrat de qualification comme employée dans un restaurant de la Côte d’Azur.

Le 4 décembre 1997, elle portait plainte, avec l’une de ses collègues Mme O., contre son employeur M. A. pour harcèlement sexuel. Mme V. expliquait : « alors qu’elle se trouvait seule dans son bureau au premier étage, P. A. était entré, s’était approché d’elle par derrière, lui avait pris le bras, lui avait fait part de ses fantasmes, avait commencé à lui caresser la poitrine et il lécher le cou. Il l’avait empêché de se dégager en la tenant par les poignets et s’était frotté contre elle. Elle lui demandait d’arrêter en lui parlant de sa compagne enceinte, il lui répondait que celle-ci n’en saurait rien car tout cela devait rester entre eux ».

Mme O., pour sa part, décrivait : « M. A., profitant de l’absence de sa compagne, l’avait contrainte à nettoyer un escalier en tailleur et l’avait observée tandis qu’elle se trouvait à genoux, l’avait fait descendre à la cave, lui avait touché la poitrine et avait passé la main sous son chemisier, l’avait invitée dans une salle au-dessus du restaurant où il avait fait monter un gâteau et du champagne et avait déposé sur la table de l’argent sans toutefois lui faire de propositions de nature sexuelle, lui avait téléphoné à son domicile à n’importe quelle heure ».

Un mois plus tard, leurs plaintes étaient classées sans suite. Le faisceau d’indices n’était, semble-t-il, pas suffisant (attestations de témoins directs et indirects notamment) au regard des déclarations de M. A. qui affirmait que les deux femmes confondaient « gentillesse et harcèlement » !

M. V. déposait plainte avec constitution de partie civile contre M. A. pour harcèlement sexuel en juin 1999. A la suite d’une instruction, M. A. était renvoyé, en mars 2004, devant le Tribunal correctionnel de Nice pour agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction. Il était finalement condamné pour… harcèlement sexuel à 4 mois d’emprisonnement avec sursis. Il était également condamné à indemniser le préjudice de Mme V. à hauteur de 3000 euros et à 1000 euros au titre de l’article 475-1 CPP. M. A. relevait appel de cette décision.

Le 21 juin 2005, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence requalifiait l’infraction à la hausse, en agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions, décision suffisamment rare pour être soulignée. La Cour retenait ainsi : « Mme V. n’a pas varié dans ses déclarations, précises, circonstanciées et corroborées par A. O., elle-même victime d’agissements similaires de la part de P. A., et par différents employés du restaurant, lesquels ont soit reçu les confidences des intéressées, soit ont été témoins des comportements déplacés de leur employeur à l’égard du personnel féminin.
Le comportement de P. A. qui a caressé la poitrine et léché le cou de V. V. par surprise constitue l’infraction d’agression sexuelle. P. A. a abusé de l’autorité que lui confère ses fonctions de Président Directeur Général de la société et de l’ascendant de celles-ci lui conféraient sur ses employées, et notamment V. V.
».

En revanche, la Cour choisissait de modifier la peine de première instance en simple amende considérant que : « celle de 2000 euros d’amende, constituera une sanction mieux proportionnée à la gravité des faits et bien adaptée à la personnalité de l’intéressé ».

Il semblerait que cette condamnation n’ait eu aucun effet sur lui.

L’audience du 2 octobre 2012 devant la 10ème chambre/1 du tribunal correctionnel de Paris

A la suite d’un premier renvoi sollicité par la partie adverse, l’audience est renvoyée au 2 octobre 2012 devant la 10ème chambre/1 du tribunal correctionnel de Paris.
M. A. encourt une peine de sept ans d’emprisonnement et 100 000 €? d’amende (agression sexuelle aggravée).
Mme V., partie civile, était représentée par Me Simon Ovadia. Mme P. avait, elle, préféré ne pas se constituer partie civile et quitter le territoire français pour ainsi, espérait-elle, « tourner la page ». Laetitia Bernard représentait la constitution de partie civile de l’AVFT.
Les trois magistrats sont des hommes. Le représentant du parquet également, de même que le greffier.

Quatre affaires sont examinées ce jour-là : la première est une affaire de stupéfiants, les trois autres sont des affaires de violences sexuelles.

La première affaire de violences sexuelles est présentée par le Président du Tribunal comme « une affaire pas compliquée à comprendre ». La victime, une hôtesse de l’air suédoise, n’est pas présente à l’audience. Elle a été victime, lors d’une escale en France, d’agressions sexuelles de la part d’un chauffeur de taxi qui a pris la course. Deux hôtesses de l’air montent dans le taxi : l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Toutes deux sont en état d’ivresse. L’hôtesse de l’air, qui s’était assoupie à l’arrière, est réveillée par les cris : « Stop it, Stop it » de sa collègue. L’homme l’a embrassée, lui a touché les seins, les cuisses, l’entrejambe et l’a pénétrée digitalement. L’affaire a donc été correctionnalisée. Elle durera cinquante minutes.
Il ressort du rapport à l’audience que ce n’est que sous l’impulsion de son chef d’escale que la victime dépose plainte. Nous apprenons également que les réponses du chauffeur de taxi sont loin d’être constantes : elles ont évolué en fonction des questions posées et de l’enquête. A l’audience, il campera sur sa dernière version : il reconnaît lui avoir uniquement touché les seins et se dit « incapable de (s)e souvenir » du reste. Il se drape également dans le rôle de la victime. Il explique au tribunal que sa femme a accouché et qu’il n’a pas eu de relations sexuelles depuis un an. Il ajoute également qu’il a trois enfants et que sa femme attend de connaître la décision du tribunal pour prendre sa décision (on comprend de le quitter ou pas).

Le réquisitoire du procureur est bref, résumé par cette phrase : « On va juger des mains baladeuses ». Sur le quantum de la peine, il dit s’en rapporter au tribunal.

L’avocat adverse plaide, comme très souvent dans les dossiers de violences sexuelles :

« Nous avons ici deux points de vue qui s’opposent ». Il ajoute : « même les traces ADN ne permettent pas de déterminer la matérialité des faits » et de s’interroger : « Que va-t-on devoir faire pour obtenir le consentement avant tout début de relation ? ».

Nous passons juste après, vers 16h.
Le président précise dès le début de son rapport : « M. A ne nie pas intégralement, des choses se sont passées. Nous avons deux catégories de victimes, deux catégories de faits ». Il commence par la plainte de Mme P. et interroge M. A. sans le ménager et avec précision :

  • « Venir pour une jeune femme, dans une chambre, est beaucoup plus connoté. Y a d’autres lieux quand même. C’est curieux comme passage de l’un à l’autre (pro puis massage) »,
  • « Vous êtes son supérieur ? »,
  • « Vous avez déjà été condamné par la Cour, un avertissement. Vous ne vous êtes pas dit que c’était tendancieux ? »,
  • « Pourquoi a-t-elle déposée plainte ? Pourquoi chercherait-elle à vous nuire à ce point ? »,
  • « Quand on masse, on est habillé ? »,
  • « Ça ne vous a pas donné envie de vous protéger vous-même d’une éventuelle plainte ? »

M. A. n’est pas très convaincant. Il explique qu’il voulait la soulager, qu’il a pratiqué un massage de la voûte plantaire jusqu’aux cuisses puis le visage, qu’il ne voyait pas à mal.

Vient ensuite la plainte de Mme V. : le président relève les contradictions nombreuses de M. A. et le questionne. Pour exemple, il explique qu’il a été « déçu » par le massage de Mme V. «Pourquoi l’avoir conseillée à votre famille, vos amis ?».

  • « Comment vous expliquez que les rôles sont inversés ? Il ne s’agit pas de faire la promotion du docteur Schutz ».

Et de continuer :

  • « De nouveau, vous vous mettez dans une situation difficile »
  • « Vous contestez qu’elle vous ait dit non ? »
  • « Pourquoi ? Deux victimes, elles chercheraient à vous nuire ? »
  • « Elles se trompent toutes ces femmes ? ».

« Toutes ces femmes avaient une dent contre moi » répond-il au tribunal.

Mme V. est très claire. Elle explique au tribunal pourquoi elle a attendu plusieurs mois avant de porter plainte : « Qui va me croire, je fais des massages ? », « A deux, on pouvait être crues ».

Me Ovadia plaide sur les « faits » et le faisceau d’indices concordants, Laetitia Bernard quant à elle insiste sur la stratégie de M. A. et sur les conséquences de ces agressions sur les victimes. Elle rappelle également qu’il a déjà été condamné pour des faits identiques.

Le réquisitoire du procureur est exemplaire… jusqu’au prononcé des peines : « Ce dossier n’est pas contestable, pas fragile » même sans témoins directs ou preuves matérielles comme l’ADN. Il précise : « J’attendais une explication de M. A. mais il s’enferre dans un discours », « il est ridicule ». Et à l’attention des victimes : « On peut tout dire sur elles » mais les « mots sont simples », « elles ont besoin de justice, elles demandent à être entendues » et requiert… 10 à 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour dit-il « une prise de conscience » !

Son avocat plaide le doute, précise qu’il existe une différence entre des avances et des agressions sexuelles. Sa plaidoirie est beaucoup plus agressive concernant Mme P. absente à l’audience.

Le 23 octobre, M. A. est condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 3000 euros d’amende. Il est, en outre, inscrit au FJNAAIS (Fichier Judiciaire National Automatisé des Auteurs d’Infractions Sexuelles).

M. A. est également condamné à indemniser Mme V. au titre de dommages et intérêts à hauteur de 1000 euros et 1500 euros au titre l’article 475-1 du CPP. Le préjudice de l’AVFT est lui indemnisé à hauteur de 1 euro !

M. A. n’a pas fait appel de la décision et compte tenu du faible quantum de la peine et du peu d’impact qu’elle aura sur sa vie, on le comprend. Le parquet n’a pas fait appel non plus, ce qui est moins compréhensible.

Laetitia Bernard

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