Avant l’audience : les violences dénoncées, l’attente de la décision du procureur de la République, la difficulté à trouver un-e avocat-e compétent-e.
Mme D. est secrétaire médicale chez un médecin de campagne dans le département de la Manche. Elle a été harcelée et agressée sexuellement et physiquement par son employeur, le Dr S.
Le harcèlement sexuel a consisté en des remarques sexuelles sur son physique, particulièrement lorsqu’elle était enceinte et à propos de dépliants médicaux (dont il détournait le message pour en ajouter une connotation sexuelle) ou de magazines féminins (afin de comparer les corps des mannequins avec celui de Mme D.). Il s’est également servi d’un pénis en plastique qu’il posait régulièrement sur le bureau de sa secrétaire.
Les agressions sexuelles sont caractérisées par des attouchements sur les seins, le sexe et des tentatives de baisers. Elles sont devenues de plus en plus violentes au fil du temps, M. S. jetant Mme D. sur le sol, contre un four allumé ou sur les couteaux et fourchettes quand le lave-vaisselle était ouvert ( le cabinet médical se situe au domicile du médecin.).
A bout de force, Mme D. a sollicité de l’aide auprès de l’émission de télévision « Sans aucun doute » qui lui a conseillé de procéder à des enregistrements(1), ce qu’elle fait pendant six mois, avant d’envoyer un texto à son employeur pour lui demander « d’arrêter ce comportement insupportable », ce qui lui a valu son licenciement.
Mme D. saisit l’AVFT le 27 mai 2008 et nous la recevons le 5 août 2008. Après avoir déposé une plainte auprès de la gendarmerie, elle saisit le Conseil de l’ordre des médecins de la Manche, sur les recommandations de l’AVFT qui rédige également une lettre audit ordre en appui de la démarche de Mme D.
L’enquête préliminaire de police est menée de manière sérieuse, de nombreuses personnes sont entendues ( patientes, voisins, famille, confrères et consoeurs de M.S…).
Le procès-verbal de fin d’enquête est transmis au procureur de la République en décembre 2008. La saisine du procureur par l’AVFT en avril 2009, la procédure disciplinaire aboutissant à une sanction de deux ans d’interdiction d’exercice en juillet 2009 et une deuxième lettre de l’AVFT informant le procureur de cette sanction en septembre 2009 décident enfin ce dernier, en janvier 2010 -mieux vaut tard que jamais- à poursuivre M.S. Une audience correctionnelle est fixée au 30 mars 2010.
Les nerfs de Mme D. sont mis à rude épreuve pendant cette période, pour elle, l’attente est « interminable ».
Le 30 mars 2010, Me Cittadini, du barreau de Paris, qui a été constituée très tardivement par Mme D., demande pour cette raison un report d’audience, qui est accepté. L’audience est fixée au 6 juillet suivant.
L’AVFT avait en effet rencontré de nombreuses difficultés pour orienter Mme D. vers un-e avocat-e dans le département de la Manche. Nombre d’entre eux-elles, notamment ceux appartenant au barreau de Coutances, avaient refusé de l’avoir pour cliente pour différents motifs : ils affirmaient que « l’affaire mal engagée », que « ce n' pas leur spécialité » ou ne pouvaient défendre Mme D. car ils connaissaient le médecin, voire il était leur médecin traitant.
Maître B., qui était finalement devenue l’avocate de Mme D., allait réunir la presque-totalité des griefs que les victimes peuvent avoir à l’encontre de leurs avocat-e-s(2) : elle ne répondait jamais au téléphone, ne l’informait pas des « avancées » du dossier (et pour cause), ne s’enquérait pas auprès du procureur de sa décision. Elle ne lui apportait aucun soutien dans la procédure devant le Conseil départemental de l’ordre des médecins, alors qu’elle s’était présentée comme spécialiste de ce type de procédure. Elle avait même refusé de se rendre à l’audience de conciliation(3), considérant que « c' une affaire entre médecins ». E. Cornuault, pour l’AVFT, s’y était présentée aux côtés de Mme D. Trois jours avant l’audience de jugement, l’avocate avait informé sa cliente qu’elle ne pouvait s’y présenter en raison d’un mariage auquel elle devait assister. Mme D. n’avait appris que le jour de l’audience qu’un de ses confrères la substituait finalement.
En outre, Me B. décourageait Mme D. en affirmant que son « affaire » était « pauvre » (ce en quoi nous divergions compte tenu des nombreux éléments en sa possession attestant du harcèlement sexuel) et mettait régulièrement sa parole en doute. Elle avait d’ailleurs exigé qu’elle soit expertisée par un psychiatre afin qu’il juge de sa crédibilité avant d’accepter de la défendre ! Cette inacceptable condition avait néanmoins produit un effet positif : ledit psychiatre, qui s’était montré tout à fait compétent (et interloqué par la demande de l’avocate), est devenu son thérapeute.
Mme D., réticente à l’idée de changer d’avocate en raison des difficultés à en trouver un-e qui avaient été les siennes, s’y était résolue lorsqu’elle avait appris, en appelant le greffe quinze jours avant l’audience prévue le 30 mars, que son avocate n’avait toujours pas demandé le dossier pénal, contrairement à ce qu’elle lui avait affirmé.
L’audience
Après la sanction prononcée par l’ordre des médecins, l’audience pénale du 6 juillet 2010 s’annonce sous de relativement bons auspices.
Nous sommes convoquées à 9h et l’audience est appelée à 10H30 après plusieurs rendus de délibérés et deux prestations de serments de notaires.
La présidente d’audience prévient qu’elle entend prendre beaucoup de temps pour cette « affaire » et qu’elle conseille aux autres avocats présents de prévoir de revenir vers 15H ou de demander des reports pour leur audience.
La lecture du dossier pénal dure déjà une heure.
L’interrogatoire de M.S.
Depuis le début de la procédure, M.S. nie avoir harcelé et agressé sa secrétaire.
La présidente consacre la première partie de l’interrogatoire à comprendre l’emploi du temps de M. S. puisque toutes les agressions ont été commises lors des « transmissions » (lorsque Mme D. lui fait part des rendez-vous de la journée et des appels téléphoniques qu’elle a reçus en son absence) et le matin lorsque le médecin faisait un détour par le cabinet, entre deux visites à domicile, ce qu’il nie formellement.
Cependant, le fils du médecin, qui a été entendu dans le cadre de l’enquête de gendarmerie, a surpris une altercation entre Mme D. et son père un matin où le médecin était supposé être en soins extérieurs.
M. S. se contente de dire qu’il a dû rentrer plus tôt ce jour-là mais refuse obstinément de répondre à une question directe de la juge :
– La présidente : « M. S., avez-vous tenté d’embrasser votre secrétaire ? Votre fils parle de « déconnade ? » (le seul témoin direct cette agression).
– M.S. : « C’est ma façon à moi de créer un bon climat ».
– La présidente : « Vous ne répondez pas à la question »
– M. S : « C‘est elle qui est la soupape face aux clients, elle est très anxieuse, je la détends »
– La présidente : « Vous ne répondez toujours pas à ma question ».
Me Cassart, l’avocat du prévenu, visiblement très énervé par les atermoiements de son client lui lance d’un ton péremptoire : « Répondez à la question de Mme la présidente ! »
– M.S. persiste : « Je nie formellement avoir tenté de l’embrasser »
La présidente poursuit ensuite ses investigations sur :
– Le caractère du médecin
– La présidente : « M.S., avez-vous un caractère agressif ? »
– M.S. : « Je suis impulsif, je râle de temps en temps c’est tout. Je travaille à flux tendu, mais jamais avec colère ».
– La présidente : « Ce n’est pas ce que semblent dire vos anciennes secrétaires ».
– M.S. : « Quand Mme D. prenait plusieurs rendez-vous en même temps, j’ai pu m’énerver à juste titre ».
– La présidente : « Et les autres secrétaires ? »
– M.S. : « Euh, je ne sais pas. En tout cas Sylvie, elle facilement irritable »
– La présidente : « Ce n’est pas la question que je vous pose ».
Le détournement des outils médicaux
– La présidente : « Que pensez-vous de ce dépliant médical (elle montre une publicité où une femme introduit un ustensile dans son nez pour le déboucher) et du pénis en silicone ? »
– M.S. : « Je n’ai aucun souvenir de la publicité en question et concernant le pénis en silicone, je n’ai jamais pu le mettre sur sa chaise car elle n’en a pas, elle ment donc ! ».
Une des assesseuses lève les yeux au ciel devant ses arguties.
– La présidente à Mme D. : « Et vous Madame, que pouvez-vous me dire de cette publicité ? »
– Mme D. : « Il me l’a donnée en me disant qu’elle ferait mieux de se le mettre ailleurs ».
– M.S. : « Ce n’est pas possible, car la porte avec la salle d’attente est toujours ouverte et les patients auraient pu l’entendre ».
– Mme D. : « C’est faux la porte est toujours fermée avant le début des consultations, pendant les transmissions ».
– Sur la raison supposée du dépôt de plainte de Mme D.
– La présidente : « Si tout se passait bien, comme vous le dites, et qu’elle est une très bonne employée, pourquoi a t-elle porté plainte ? ».
– M.S. : « Je lui avais fait une réflexion sur son poids la veille de son dépôt de plainte » (son avocat grogne sur son banc).
– La présidente : (manifestement atterrée par la réponse) : « Cela me paraît un peu léger comme explication surtout pour quelqu’un dont vous dites qu’elle avait besoin d’argent. Laisser tomber son emploi comme cela… ».
– M.S. : « J’ai juste supposé qu’elle avait besoin d’argent parce que nous lui avons donné notre salon de jardin et qu’elle cherchait un local professionnel et qu’elle est passée par nos enfants pour nous demander d’être caution » ((ce qui est absolument mensonger).
– La présidente (visiblement peu convaincue): « Bon, si vous le dites… »
Sur les marques et les ecchymoses de Mme D.
– La présidente : « Plusieurs personnes attestent avoir vu des bleus et des griffures sur les bras et le cou de Mme D. ? Qu’avez-vous à dire ? »
– M.S. : « Je ne sais pas, je sais qu’elle a un chat et que son fils Manolo est un garçon turbulent ».
– La présidente : « Vous ne pensez pas que si le fils de Mme D. la brutalisait, M. F. (son compagnon) aurait son mot à dire ? » (Elle le regarde dans la salle et celui-ci fait oui de la tête)
– M.S. : « euh… »
Sur l’existence d’autres victimes
Trois autres femmes ont attesté et/ou témoigné avoir été agressées et l’une d’entre elle violée par M.S : deux patientes et une consœur, qui a un temps partagé le cabinet médical avec lui.
– La présidente : « Que pouvez nous dire, connaissez vous ces femmes ? »
– M.S. : « Oui je les connais toutes les trois, et je suis atterré et blessé, je ne comprends pas, c’est un complot ».
– La présidente : « Pourtant, aucune d’entre elles ne connaît vraiment Mme D. ».
Sur les enregistrements
Ils n’ont été entendus par personne hormis le prévenu pendant sa garde à vue et les policiers qui ont assuré la retranscription. La présidente en relit certains passages, notamment ceux où Mme D. crie et demande qu’il la lâche.
– La présidente : « Qu’en pensez-vous ? »
– M.S. : « Je suis très étonné, je n’ai aucun souvenir de ces moments-là. D’ailleurs, je n’ai pas reconnu ma voix quand je les ai écoutés. Il y a eu des ajouts hors contexte ».
– La présidente (après un mouvement de stupeur, elle semble ne pas en revenir) : « Vous êtes en train de nous dire qu’ils sont bidouillés ? »
– M.S : « Oui ».
– La présidente : « Pourquoi n’avez-vous pas demandé d’investigation technique ? »
M.S ne répond pas mais son avocat, Me Cassart, se lance dans une explication peu convaincante sur la difficulté d’écouter les enregistrements mis sous scellés, car leur audition suppose, par respect du principe du contradictoire, de réunir toutes les parties y compris les deux avocats et la représentante de l’AVFT, tous trois venant de Paris. Peu convaincante, car Me Cittadini et Emmanuelle Cornuault, pour l’AVFT, auraient fait le déplacement sans que cela ne pose le moindre problème.
– La présidente : « Et que pensez vous des cris notés dans les procès-verbaux ?».
– M.S. : « Sylvie est très douillette, c’est sûrement quand je la manipule » (i.e après l’avoir agressée et brutalisée, M. S. lui impose des soins pour lui remettre son bras et/ou ses épaules en état).
– La procureure lui pose une question à la fin de l’interrogatoire de la présidente: « M.S., si l’on vous disait aujourd’hui, pour enlever tout doute sur les enregistrements, que l’on peut procéder à une écoute de ces cassettes, seriez-vous d’accord ? ».
– M.S. : « Non »
– La procureure : « C’est curieux que vous ne le souhaitiez pas, vous risquez gros vous savez. Je pensais que dans votre situation, on faisait tout pour prouver son innocence ».
L’audition de Mme D.
Mme D., en pleurs, commence par relater son « calvaire » et la souffrance endurée.
– Elle dit : « Je n’ai pu tenir que pour mes enfants et parce que mon ami avait des périodes de chômage fréquentes ». « Le jour où je me suis rendue compte que j’étais infecte avec les enfants, j’ai craqué ».
– La présidente : « Quand avez-vous pensé à faire des enregistrements ? »
Mme D. se trompe un peu dans les dates, ne pouvant se les rappeler exactement. La présidente semble s’interroger sur le « flou » de la réponse.
– La présidente : « Que pouvez vous nous dire des mails que vous avez envoyés à sa fille ? » (Mme D. correspondait avec la fille du médecin, âgée de 22 ans, et elles échangeaient des mails opportunément considérés comme « osés » par la partie adverse).
– Mme D. : « …Et bien oui nous aimions rire ensemble et nous parlions de tout et n’importe quoi, on s’entendait bien ».
– La présidente : « Vous n’êtes pas coincée ? »
– Mme D. : « Non, j’ai de l’humour, mais pas avec tout le monde ».
– La présidente : « Vous habillez-vous de manière décente pour aller travailler ? » Son ex belle-mère, avec laquelle elle ne s’entendait pas, a témoigné qu’elle allait travailler en tenue transparente.
– Mme D. : « C’est faux ».
– La présidente, au médecin : « Qu’en dites vous, M.S. ? »
Me Cassart ne laisse pas son client répondre et dit : « Mon client n’a jamais rien dit de tel et de toute façon, même si c’était le cas, cela n’autorise personne à agresser Mme D.». Dans nombre d’audiences, les tenues supposément provocantes portées par les victimes de violences sexuelles sont soulevées par l’agresseur et son conseil afin de transférer la responsabilité des agressions à la victime. En l’espèce, l’avocat de la défense, sans doute contrarié par les réponses apportées par son client jusque là, a-t-il voulu lui éviter de se lancer dans des explications hasardeuses.
Les plaidoiries des parties civiles
Me Cittadini, avocate de Mme D., visiblement excédée par les « arguments » avancés par le prévenu, se lève en disant : « Là c’est l’apothéose, on nage dans un véritable délire ! » ; « M.S. nie l’évidence de manière parfaitement ridicule : des enregistrements trafiqués ! Un coup monté ! Un complot ! Une réflexion sur un problème de poids ayant décidé Mme D. à porter plainte ! Et maintenant c’est le chat et le fils de Mme D. qui l’ont agressée ! Voilà un palette d’explications invraisemblable, le dossier est accablant pour M.S ».
Elle énumère les éléments à charge : Le plan des lieux où les agressions sont possibles hors présence des patients, les preuves matérielles (et notamment les enregistrements), le comportement de la victime (typique de celui d’une personne victime de violence sexuelle), les attestations, les autres victimes.
Elle demande 20 000? € de dommages et intérêts.
E. Cornuault, pour l’AVFT, intervient sur le rôle de l’association, la stratégie de M.S d’installation de la peur chez Mme D. comme il l’a fait pour les trois autres femmes, le crescendo des violences, la contrainte économique, la crédibilité de Mme D., l’inversion de la responsabilité qui s’opère quand on interroge le comportement de la victime plutôt que celui de l’agresseur (habillement, humour…).
L’AVFT demande 3 000 €? de dommages et intérêts.
Le réquisitoire de la procureure
La procureure introduit son réquisitoire par le sempiternel : « Nous sommes en présence de deux versions, deux paroles qui se confrontent ».
Elle relève des éléments à décharge : La constance de M. S. (qui a toujours nié !), l’absence de témoins directs, les explications confuses de Mme D. sur les cassettes, la manière élogieuse dont M.S. décrit le travail de sa secrétaire, l’absence de certificats médicaux (effectivement, tous les médecins consultés par Mme D., par corporatisme, ont refusés d’en faire…).
Ces éléments sont une constante en matière de délinquance sexuelle et peuvent être expliqués : rares sont les agresseurs qui admettent avoir agressé compte tenu du risque de condamnation, les victimes, choquées, sont souvent confuses, les éloges du médecin sur sa subordonnée peuvent être stratégiques…
La procureure liste ensuite les éléments à charge : l’emploi du temps du médecin et la disposition du cabinet qui sont compatibles avec la commission d’agressions, nonobstant les déclarations du mis en cause, les objets « médicaux » qui ont pu être détournés à des fins sexuelles, les « explications » du médecins qui ne parviennent pas à retirer la force probante des enregistrements, l’argument selon lequel Mme D. « ferait ça pour de l’argent » qui ne tient pas (« Sinon pourquoi n’aurait-elle pas dénoncé des viols pour obtenir davantage ? »), la théorie du complot qui est une défense sans arrêt utilisée par les agresseurs, l’expertise psychiatrique favorable à Mme D.
Elle demande que les deux qualifications juridiques (harcèlement sexuel et agressions sexuelles) au motif que si les deux infractions sont intimement liées, elles sont néanmoins distinctes. Elle précise que le harcèlement sexuel est constitué par des paroles, des objets, tandis que les agressions sexuelles sont constituées par des attouchements sur le sexe et les seins commis avec violence et surprise.
Elle requiert six mois de prison avec sursis en guise de « très gros avertissement » et indique « Je m’oppose à la non-inscription sur le casier judiciaire(4) et je ne prend pas de réquisitions sur l’interdiction d’exercice car il y a une procédure disciplinaire en cours ».
La plaidoirie de l’avocat de la défense
« C’est un médecin de famille depuis trente ans et tout à coup en 2008 il a un comportement irréel »…oubliant très opportunément de mentionner les trois autres victimes.
L’avocat reprend à rebours, un par un, tous les arguments développés par l’AVFT concernant la crédibilité de la victime : manque de constance, absence d’isolement, personne très organisée et réfléchie, manque de cohérence… Il indique : « L’AVFT est une association très compétente mais là, Mme D. ne correspond pas du tout au portrait des victimes de violences sexuelles que l’on vient de nous décrire(5)».
Il fait le même exercice à propos de la stratégie du mis en cause : il détourne tous les points analysés par l’AVFT pour en conclure que son client « ne correspond pas au prédateur(6) décrit ».
Il conteste les dénonciations des autres victimes les jugeant trop tardives après la supposée commission des violences pour être crédibles.
Il considère que les enregistrements sont « trafiqués » et « qu’il n’y a pas besoin d’être un expert pour cela. Je peux commencer à enregistrer ici dans cette salle, arrêter et recommencer chez moi ». « Par ailleurs, contrairement à ce que dit Mme le procureur(7), les retranscriptions ne sont pas édifiantes. Le fait que M.S. dise à Mme D. qu’elle a du potentiel ne constitue en rien le délit de harcèlement sexuel…sinon je vais bien me garder de dire à ma secrétaire qu’elle a du potentiel ! ». Il termine par un questionnement : « Mon client est complètement démuni, c’est un choc pour lui cette accusation. C’est vrai qu’il est un peu brutal, comme le disent les anciennes secrétaires, mais alors que lui prend-t-il en 2008 ? » et une demande de relaxe.
Fin de l’audience à 14H25.
Le délibéré est rendu le 21 septembre : M. S. est condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis. Le préjudice de Mme D. est indemnisé à hauteur de 5000? €, elle obtient également 1000? € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. Le Dr. S. devra également verser 1500? € à l’AVFT au titre de ses dommages et intérêts.
Notes
1. Ce qui était, du point de vue de la preuve, un bon conseil. On entend souvent que « les enregistrements ne sont pas valables ». Or en matière pénale, la preuve est « libre », c’est-à-dire qu’elle peut se rapporter de multiples manières. Charge ensuite au juge d’évaluer la recevabilité des preuves qui lui sont soumises. De notre expérience, les enregistrements, en matière de délinquance et criminalité sexuelle, sont presque toujours admis.
2. Voir la partie « vous et votre avocat » sur le site internet .
3. Qui est une étape obligatoire dans ce type de procédure disciplinaire. Cette audience peut aboutir à une conciliation ou une non-conciliation. Dans ce dernier cas, une audience sur le fond est fixée.
4. La non-inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire en cas de condamnation est presque toujours demandée par le mis en cause. Or le juge n’a plus la faculté de prononcer cette dispense en matière d’agression sexuelle depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004 dite « Perben II ». C’est ce qu’a rappelé la chambre criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 4 juin 2008 (F-P+F, n°08-80.6512), sur pourvoi du procureur Général de Paris dans l’intérêt de la loi. En l’espèce, la procureure n’avait donc pas besoin de s’opposer à la non-inscription.
5. C’est un « argument » de plus en plus développé par la défense, alors qu’autrefois, l’association était davantage dépeinte comme « incompétente », « trop militante ». Ceci n’ayant manifestement pas fonctionné, les avocat-e-s de la défense préfèrent désormais plutôt louer les compétences de l’AVFT tout en affirmant qu’en l’espèce, nous nous sommes « trompées de cause », avons été « manipulées par la victime », « avons fait une erreur ».
6. Le terme de « prédateur » ne fait pas partie du vocabulaire de l’AVFT pour décrire les agresseurs.
7. Les professionnel-les du droit résistent encore massivement à la féminisation de ce titre…