Condamnation pour agressions sexuelles d’un grand hôtel parisien par le Conseil de prud’hommes de Paris (en formation de départage) le 17 janvier 2013

L’AVFT était intervenante volontaire

En 2009, Mme P., 36 ans, coordinatrice « Groupes » dans un grand hôtel parisien, saisit l’AVFT. Elle dénonce des agressions sexuelles commises par le directeur adjoint de l’hôtel avec qui elle travaillait en étroite collaboration. En effet, celui-ci lui avait à deux reprises imposé des baisers sur la bouche et des attouchements sur les seins, les fesses et le sexe, en l’empêchant de sortir de son bureau. Il lui était également reproché de s’être allongé sur elle contre son consentement, alors qu’elle se reposait dans une chambre de l’hôtel.

Mme P. avait porté plainte en juin 2009 et à la suite d’une enquête rapidement et sérieusement menée par le commissariat de police du premier arrondissement de Paris, le parquet avait décidé de poursuivre M. M. pour agressions sexuelles.

Lors de l’audience du 25 août 2010 devant le Tribunal correctionnel de Paris, M. M avait été condamné pour agressions sexuelles à 8 mois d’emprisonnement avec sursis. Il était également condamné à indemniser le préjudice de Mme P. à hauteur de 8000 euros et à 1500 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. Il est aussi condamné à verser 1000 euros de dommages et intérêts à l’AVFT qui était partie civile dans la procédure, ainsi que 500? € au titre de l’article 475-1 CPP.

M. M avait fait appel de cette décision.

Parallèlement, en septembre 2010, Mme P. avait saisi le Conseil de prud’hommes pour faire requalifier sa prise d’acte en un licenciement nul et obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral.

En juin 2011, la section commerce du Conseil de prud’hommes de Paris s’était contre toute attente déclarée en partage de voix : la condamnation pénale aurait en effet dû entraîner la condamnation de l’employeur. L’audience du bureau de départage était fixée pour novembre 2012.

Entre temps, la Cour d’appel de Paris rendait son arrêt en octobre 2011 et confirmait la condamnation pour agressions sexuelles du directeur adjoint. La Cour de Cassation ayant déclaré le pourvoi de M. M non admis, cette décision était devenue définitive.

Lors de l’audience du bureau de départage, l’employeur a continué de tenter de s’exonérer de sa responsabilité en arguant « ne pas avoir été informé des faits subis par avant le mois de juin 2009 ». Mais le juge départiteur, dans son jugement, rappelle qu’il est de jurisprudence constante que « l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité ». En effet, celui-ci étant investi d’une obligation de sécurité de résultat, il suffit que le résultat (c’est-à-dire la sécurité de la salariée) n’ait pas été atteint -en l’espèce, il ne l’a pas été puisque la salariée a bel et bien été agressée sexuellement – pour engager la responsabilité de l’employeur.

Pour autant, le Conseil de prud’hommes dégage un faisceau d’indices visant à démontrer que l’employeur ne pouvait complètement ignorer les violences sexuelles commises par son salarié, dans son entreprise et qu’il s’est abstenu d’enquêter, « manquant là gravement à l’obligation de sécurité de l’employeur envers ses salariés ». Il note en effet que, si l’identité du mis en cause n’était pas précisée, la direction des ressources humaines avait été informée que Mme P avait été victime de violences sexuelles. Il relève qu’« il ressort des différentes auditions du personnel féminin que M. M avait la réputation d’être un « séducteur » insistant et « tactile » avant même les faits subis par Mme P».

En conséquence, le juge déclare qu’« il convient de constater que les manquements graves imputés par Mme P. à son employeur dans sa prise d’acte de la rupture sont établis et caractérisent un non respect par la société de son obligation de sécurité ».

Curieusement, le juge départiteur requalifie la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et non en licenciement nul, comme devrait le dicter l’article 1153-4 du Code du travail(1) … au motif qu’elle ne serait pas salariée protégée. Or, si les sanctions prises à l’encontre des salarié.es protégé.es sont en effet juridiquement nulles, il en va de même de celles qui sont prises à l’encontre d’une salariée victime de harcèlement sexuel(2).

Le jugement condamne l’employeur à indemniser Mme P. à hauteur de vingt mois de salaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société est également condamnée à l’indemniser à hauteur de 10 000 euros au titre du préjudice moral qui lui a été causé compte tenu des troubles psychologiques ayant suivi les agressions, de la nécessité de suivre une psychothérapie et un traitement médicamenteux pour « des symptômes dépressifs importants, une tristesse permanente, le sentiment de se sentir sale, coupable et particulièrement vulnérable ».

L’employeur est condamné à verser 1000 euros à l’AVFT au titre de son préjudice moral.

Il a fait appel de cette décision.

Dana Zeitoun, juriste stagiaire
Marilyn Baldeck, déléguée générale

Notes

1. Qui dispose que « Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L.1153-1 à L.1153-3 est nul » (dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 août 2012).

2. Pour exemple : Cour d’appel d’Angers, soc., 25 septembre 2012 n°RG 11/01032.

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