Le 31 octobre 2014, la Cour d’appel de Douai, confirmant le Conseil de prud’hommes de Lille, a débouté Mme D. de ses demandes de reconnaissance du harcèlement sexuel et de nullité du licenciement.

Les violences dénoncées par Mme D qui conduisent à son licenciement pour faute lourde

Mme D. a été embauchée en CDI à temps plein à compter du 27 janvier 2009 dans un bar-tabac très connu à Lille en qualité de serveuse. Le bar est proche de chez elle et les horaires prévus lui facilitent la vie, lui permettant enfin de voir ses trois enfants.

Par avenant à son contrat de travail, ses fonctions ont évolué à compter du 1er septembre 2009 : elle est désormais serveuse, vendeuse de tabac et chargée d’assurer cinq jours par semaine la fermeture de l’établissement.

Cette modification de contrat de travail est directement en lien avec le fait qu’elle loue désormais le logement situé au dessus du bar-tabac où elle travaille, pour un montant de 139,20? par mois. M. B., le gérant, lui a proposé ce logement spacieux (65m2 dans Lille) en connaissance de cause : Il avait eu l’occasion de voir l’appartement insalubre dans lequel la famille vivait au moment où il a aidé Mme D., qui n’a pas le permis de conduire, à déménager des affaires de sa fille aînée, et avait ainsi pu mesurer la précarité dans laquelle elle se trouvait.

Jusque-là, M. B. s’était comporté relativement normalement avec Mme D., bien qu’elle sentait à partir du mois de mai que celui-ci commençait « à lui tourner autour ».

Le mois suivant son emménagement, soit en octobre, il l’invite à un vernissage. L’ambiance étant mauvaise, il l’invite à dîner au restaurant. Lors du repas, ils ont discutés du travail au bar et son employeur lui a conseillé de se méfier de M. J., le directeur et des autres serveurs car ceux-ci lui répétaient tout ce qu’elle leur disait.

De retour au travail, Mme D. est donc sur la réserve avec ses collègues, ce qui l’isole de la communauté de travail.

M. B. la sollicite de plus en plus en l’appelant ou par SMS pour qu’elle vienne le voir dans son bureau, juste à côté de son appartement. Les discussions sont professionnelles.
Puis deux ou trois semaines après le diner au restaurant, alors qu’elle se trouve debout dans son bureau et qu’ils discutent du travail, il lui dit d’un coup : « pourquoi une jolie femme comme vous est toujours célibataire ? »

Il s’est ensuite levé, approché d’elle et lui a pris les joues avec les mains en lui disant : « Moi, vous me plaisez beaucoup, je me lance ». Liant le geste à la parole, il l’embrasse alors sur la bouche sans qu’elle ait eu le temps de réagir.

Elle nous a confié avoir été d’abord « paralysée » et ne pas réussir à réagir physiquement, puis, au bout d’un moment, elle est parvenue à lui dire qu’elle ne voulait pas, qu’il était son patron.

M. B. ne tenant aucun compte de son refus, a ensuite fermé la porte de son bureau à clé puis a violé Mme D.

Mme D. dénonce plusieurs autres viols commis par son employeur dans son bureau mais aussi à l’hôtel, M. B. imposant sa volonté du fait de la contrainte morale et économique qu’il exerçait sur elle. Comme elle l’a déclaré dans sa plainte : « Je me suis toujours sentie obligée d’avoir des rapports sexuels avec lui à cause de son statut de directeur. Par peur d’être licenciée. »

Il est important de souligner que Mme D. a été victime de viols dans son enfance et de violences conjugales avant ces violences sexuelles au travail. Sa vie a été marquée par des violences masculines avec de lourdes conséquences psycho traumatiques qui ont provoqué à chaque fois sidération et dissociation de soi, l’empêchant de réagir d’une quelconque manière aux viols du gérant de ce bar.

Mme D. a tenté de se suicider le 4 avril 2010 par absorption de médicaments.

Elle se confie à sa fille pour la première fois courant avril. Cette dernière la voit sans arrêt s’enfermer dans la salle de bain et l’entend pleurer dès qu’elle revient du bureau de M. B.
Son médecin traitant, M. BS, qui est un client du bar constate la dégradation de l’état de santé de sa patiente. Il interroge la fille de Mme D. pour savoir ce qu’il se passe : celle-ci s’effondre en larmes devant l’insistance du médecin. Elle ne lui dit rien sur ce qu’elle sait mais convainc sa mère d’aller le consulter.

Le 1er juillet, Mme D. se décide, elle n’en peut plus. Elle lui raconte les violences sexuelles qu’elle subit depuis plusieurs mois. Il la place en arrêt-maladie le jour même.
Le Dr BS l’aide alors à chercher un logement social afin de ne plus croiser quotidiennement M. B.

Enfin dégagée de l’emprise que M. B. exerce sur elle, elle décide sur conseil de son médecin traitant de déposer plainte le 14 juillet 2010 pour harcèlement sexuel et viols. Le Dr BS ira voir le violeur pour le mettre face à ses responsabilités, ce qui va ensuite être imputé à Mme D. Le Dr BS sera d’ailleurs sanctionné pour violation du secret médical par l’ordre des médecins.

Toujours en arrêt mais logeant encore sur place, il est particulièrement facile pour l’employeur de faire pression sur elle : il la convoque le 17 juillet de manière informelle. Cet entretien, fait en présence d’un salarié, beau-frère du directeur, qui soutient l’employeur alors qu’elle est seule, n’a pour d’autre objectif que de la faire taire.

Mme D. confirme à M. B. qu’elle a déposé plainte contre lui.

Dans un courrier du 21 juillet, M. B. prétend avoir « appris » par personnes interposées que Mme D. aurait parlé de harcèlement sexuel, de licenciement et de plainte…le concernant, allant même jusqu’à parler de « complot » contre lui avec les anciens propriétaires du bar !

Mme D. répondait à ce courrier en dénonçant officiellement par écrit le harcèlement sexuel de M. B. et les viols subis. Elle indique prendre acte que « vous continuez à me mettre la pression afin que je retire ma plainte ».

Mme D. rend le logement le 31 juillet.

Ce n’est que le 7 septembre 2010 que M. B. convoque finalement Mme D. à un entretien préalable au licenciement le 14 septembre. Elle se rend à l’entretien, accompagnée d’un conseiller du salarié. M. B. lui a reproché de colporter des rumeurs qui nuisent à la réputation de l’établissement, sans aucune preuve des dites rumeurs ni du fait qu’elles lui étaient imputables. Mme D. a maintenu de son côté qu’il avait exercé des violences sexuelles sur elle pendant de nombreux mois.

M. B. l’a menacée d’un dépôt de plainte pour dénonciation calomnieuse maintenant la pression.

Elle est licenciée pour faute lourde par lettre du 17 septembre, notamment, pour avoir « persisté, au cours des semaines suivantes, à divulguer et colporter des accusations fallacieuses, malveillantes et incontestablement attentatoires au respect de ma vie privée et à la réputation de mon établissement (…). La gravité des manquements qui vous sont reprochés couplée à l’intention de nuire que vous avez expressément manifestée et aux propos insultants que vous avez tenus à mon égard justifient la rupture immédiate de la relation contractuelle pour faute lourde (…). »

La procédure contre l’employeur, personne « morale »

Par l’intermédiaire de son conseil, Mme D. saisissait le Conseil de Prud’hommes de Lille afin de voir requalifier son licenciement pour faute lourde en licenciement nul et voir reconnaître le harcèlement sexuel dont elle a été victime.

Elle ne découvrait l’existence de l’AVFT qu’en mars 2012 et nous saisissait immédiatement. Il était trop tard pour que l’AVFT intervienne en première instance mais nous l’avons soutenue.

Le jugement, dépourvu de motivation, rendu par le Conseil de Prud’hommes de Lille est affligeant. Faisant fi de l’aménagement des règles de preuve applicables en matière sociale, Mme D. est déboutée de sa demande de reconnaissance du harcèlement sexuel. Il ne fait pas droit non plus à sa demande de requalification du licenciement pour faute lourde fondé sur sa dénonciation du harcèlement sexuel, en licenciement nul, alors qu’il est de jurisprudence constante que l’employeur doit prouver la mauvaise foi de la salariée pour pouvoir la licencier pour ce motif.

En outre, il condamne Mme D., ce qui est très rare, à verser à l’employeur 1000? au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Devant cette décision particulièrement honteuse, nous avons conseillé à Mme D. de faire appel et l’AVFT a décidé d’intervenir volontairement à ses côtés devant la Cour d’appel de Douai.

L’audience du 25 juin s’est relativement bien passée, malgré les surprises qui attendaient Mme D. En effet, elle était fortement déstabilisée que ce soit un jeune avocat qui se présente à elle comme substituant son avocate habituelle, sans que cette dernière n’ait pris la peine de la prévenir qu’elle ne pourrait pas être présente.

Nous n’avions pas non plus réussi à la joindre pour nous accorder avec elle sur les éléments de plaidoirie qui nous auraient permis d’être complémentaires. Nous en avons donc discuté avec l’avocat envoyé par le cabinet, cinq minutes avant l’audience…

Seules trois affaires étaient retenues pour la matinée laissant le temps à chaque partie de plaider. L’audience était présidée par un juge unique. Il a de suite mentionné qu’il était tout à fait normal qu’il y ait eu un appel, le jugement ne comprenant pas de motivation.

L’avocat de Mme D. plaide en premier. Il ne paraît pas très sûr de lui mais a tout de même dit l’essentiel. Le président lui demande quels sont les éléments matériels qui prouvent les agissements de harcèlement sexuel alors même qu’il n’appartient pas à la salariée d’apporter des preuves matérielles mais qu’elle doit établir des faits laissant présumer l’existence du harcèlement sexuel.

C’est ensuite au tour de l’AVFT, représentée par Laure Ignace. Elle insiste sur l’absence de nécessité d’apporter des éléments matériels pour présumer du harcèlement sexuel, fait valoir l’expertise de l’AVFT en matière de violences sexuelles en présence d’une forte contrainte économique mais surtout contre par avance les arguments de l’employeur qui consistent à décrédibiliser Mme D.

En effet, l’employeur produit des dizaines de témoignages de salariés et de clients attestant que Mme D. était une aguicheuse, untel disant qu’elle lui a sauté dessus et qu’il n’a pas pu résister, l’autre qu’elle voulait faire sa vie avec lui après une heure passée au restaurant…etc. Cette défense consistant à décrédibiliser la parole des femmes victimes en les faisant passer pour ce qui est appelé communément des « salopes » est très courante en matière de harcèlement sexuel et c’est exaspérant.

L’entreprise cumule les moyens de défense habituels et grotesques : en plus d’être une aguicheuse qui ne pouvait donc être victime de viols, Mme D. est vénale (elle fait ça pour l’argent) et toute cette procédure est un complot qu’elle a orchestré contre le gérant.

L’avocat de l’employeur prend la parole ensuite. Il tente de faire condamner l’AVFT pour diffamation car nous avons osé parler de viols dans nos observations écrites…Puis l’audience prend une tournure inattendue.

Le président demande au gérant qui est présent, s’il avait eu des relations intimes avec Mme D. Il répond « non, non », puis se justifie, en rajoute. Le président poursuit : « Bon, mais sur ma question ? » M. B. : « Il ne s’est rien passé ». Le juge le laisse ensuite s’épancher sur tout le mal que cette « histoire » a fait dans sa vie, que son fils se ferait appeler « le fils du violeur » (on ne voit pas comment puisque rien n’est passé dans la presse..).

Il donne ensuite la parole à Mme D. Elle s’avance dans l’allée centrale : « Vous voulez des preuves matérielles, j’aurais du garder les capotes ». Puis elle raconte et mime les viols, elle est en pleurs et semble entrer en dissociation, l’agresseur est à quelques mètres d’elle et elle revit les viols, c’est perceptible. Elle dit ensuite, qu’aujourd’hui elle n’a plus de vie, qu’elle est toujours sous traitement médical, qu’elle ne ressent rien lorsqu’elle manque de se faire écraser par une voiture dans la rue, ce qui lui arrive régulièrement.

Elle termine en disant : « Je veux juste être reconnue comme victime ».

Ce qu’il se passe en réalité, c’est que le président organise une confrontation entre Mme D. et M. B., confrontation que Mme D. avait refusé devant les services de police. Nous comptons sur le fait que la sincérité des propos de Mme D., comparée à l’antipathie que dégage M. B., influence la décision de la Cour.

Quatre mois d’attente et un arrêt scandaleux…
N’étudiant qu’une partie du faisceau d’indices présenté par Mme D., la Cour d’appel décide :

« L’appelante produit des attestations (quatre attestations de témoins indirects qui attestent tous voir Mme D. pleurer régulièrement autant au café que dans sa vie personnelle à partir du printemps 2010, période où son corps a commencé à craquer), des messages émanant de M. B et reçus sur son téléphone portable (Elle n’a conservé que trois SMS mais c’est mieux que rien) et des certificats médicaux (pas moins de quatre médecins attestent du lien plausible entre les violences relatées par leur patiente et les graves symptômes observés en consultation) ».

En réalité Mme D. présentait en outre, une constance et une cohérence, dans ses démarches (saisine de son médecin traitant, de psychiatres, de l’inspection du travail, de la médecine du travail, dépôt de plainte…) ainsi que dans les conséquences sur sa santé (tentative de suicide contemporaine aux faits, très lourd dossier médical).

La Cour démonte ensuite une par une les attestations de témoins indirects : une est « dépourvue d’intérêt » en se bornant à souligner que l’appelante pleurait souvent, l’autre pas « convaincante » l’attestant ne constatant aucun fait précis imputable à l’employeur et « rapporte exclusivement les propos de que cette dernière lui aurait tenus, relatifs à des attouchements sexuels ».

C’est pourtant le propre des attestations de témoins indirects de ne rapporter que les confidences de la victime et ce qu’ils ont pu constater de la dégradation de son état de santé. C’est le cas dans tous les dossiers des victimes de violences sexuelles, qui ne disposent quasiment jamais de témoins directs.

La Cour continue « s’agissant des certificats médicaux produits, leur lecture ne peut conduire qu’à la seule constatation que l’appelante souffrait de dépression » (!!!) ; « que s’agissant des messages (…) pour le premier : « bon courage, je pense à vous très fort », pour le second « tu es seule ? » et pour le dernier « si vous allez mieux venez me voir », deux d’entre eux sont totalement anodins ; que seul le message que l’employeur adresse à sa salariée en la tutoyant est susceptible de susciter des interrogations sur la nature de leurs relations (!), compte tenu de l’intimité (!!) qu’il laisse entrevoir ; (…) qu’un tel fait, tant en raison du caractère ambigu du message que de son caractère isolé, ne saurait à lui seul établir que le gérant était à la recherche de faveurs (!!!) sexuelles ».

La Cour estime donc que Mme D. n’établit pas des faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Il fallait visiblement que Mme D. piège M. B. en cachant un témoin direct dans le placard de la chambre d’hôtel.

La goutte d’eau dans cet océan de mépris concerne la demande de requalification du licenciement pour faute lourde en licenciement nul car le licenciement repose en partie sur sa dénonciation de violences sexuelles prétendument fausses selon l’employeur.

Après avoir repris à son compte l’ensemble des attestations mensongères versées par l’employeur dans la procédure, sauf celles sur la caractère « frivole » de Mme D., dont la Cour ne fait aucune mention, elle décide : « il résulte des autres attestations que l’appelante a bien tenu des propos mensongers sur sa situation personnelle au sein de l’entreprise en laissant croire qu’elle avait été licenciée alors qu’à la date de ceux-ci aucune procédure n’avait été engagée ; qu’en outre de tels faits ont été aggravées par d’autres allégations émises dans le seul but de faire croire que cette mesure se trouvait en rapport avec une plainte qu’elle avait déposée à l’encontre de son employeur ; que tant l’attestation de Bruno B. que le comportement du Dr BS font apparaître que l’appelante poursuivait en réalité le dessein d’obtenir de son employeur la conclusion d’une transaction ; qu’il s’ensuit que les faits fautifs reprochés à l’appelante sont justifiés » rendant impossible son maintien dans l’entreprise, même pendant le préavis.

Ainsi la Cour déduit-elle les intentions de Mme D. du comportement de tiers, et notamment de celui de son médecin traitant, à qui elle n’avait pourtant pas demandé d’intervenir.

Pourtant la Cour reconnait que « toutefois compte tenu du déséquilibre psychologique dont souffrait l’appelante, aggravé par sa situation financière et familiale, il n’est pas établi par la société que l’appelante ait été animée d’une véritable intention de nuire à celle-ci ». Le licenciement repose donc sur une faute grave et non sur une faute lourde. Elle obtient à ce titre le rappel des indemnités de congés payés qui lui sont dues : 3300?, c’est-à-dire des miettes.

Pas un mot sur la partie de la lettre de licenciement fondée sur la dénonciation de faits de harcèlement sexuel mensongers qui aurait du emporter à elle seule, la nullité du licenciement.

C’est en outre assez contradictoire avec la conclusion de l’arrêt qui reconnait un « déséquilibre psychologique » (appelé plus haut « dépression ») et une situation financière et familiale difficile (un peu plus et les magistrats intégraient la notion de contrainte économique) leur permettant d’écarter l’intention de nuire, donc la mauvaise foi, de Mme D.

Que dire de la validation de l’argument adverse selon lequel Mme D. poursuivait le dessein de conclure une transaction alors qu’elle a ensuite passé plusieurs mois au chômage, définitivement détruite, ne rêvant que d’une chose c’est que ses enfants soient adultes pour mettre définitivement fin à ses jours et enchaîne depuis trois ans les contrats précaires toujours en qualité de serveuse ?

Cet arrêt est un scandale pour Mme D. et pour toutes les femmes victimes de violences sexuelles. En dépit de la forte probabilité qu’il soit censuré par la Cour de cassation, Mme D., qui est épuisée par la « justice », veut s’arrêter là.

Nous la comprenons que trop bien.

Laure Ignace,
Juriste, chargée de mission.

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