Organisme judiciaire féministement modifié, à parfaire

C’est au Tribunal correctionnel de Pau que revient la palme de la motivation de jugement la plus « étonnante ».

L’AVFT n’était pas partie civile dans cette procédure, mais nous avons demandé au greffe de nous adresser le jugement suivant daté du 3 juillet 2014.

Le contexte : Un éducateur spécialisé travaillant dans la région de Pau a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles sur deux femmes en stage sous son autorité au moment des faits, Mme L. et Mme B., ainsi que pour harcèlement sexuel(1) sur une salariée en CDI, Mme C.

Il faut savoir que Mme C. a affiché d’emblée son féminisme auprès de l’agresseur, ce qui aura de l’importance par la suite. Voici la motivation hors-norme de la caractérisation du délit de harcèlement sexuel par le tribunal correctionnel de Pau :

« Il ressort de l’enquête et des nombreux témoignages recueillis que le prévenu tenait de façon régulière et non équivoque, dans le cadre des relations de travail, des propos ou allusions à caractère sexuel envers plusieurs de ses collègues femmes, allant jusqu’à concevoir un stratagème pour les surprendre alors qu’elles ne s’y attendaient pas, pour leur faire peur, afin de pouvoir ensuite instaurer une proximité physique, en les prenant dans ses bras, sous prétexte de les rassurer.
Dans ce contexte, les actes relatés par Mme C. commis à deux reprises, s’inscrivent dans la stratégie mise en place par le prévenu pour approcher les femmes qu’il côtoyait, afin de tenter d’établir avec elles une relation débordant du cadre strictement professionnel, manifestement dans l’espoir d’obtenir des faveurs sexuelles.

(…)
En effet, l’acte a été répété. Le consentement de la victime est inexistant, ce comportement lui ayant été imposé. Son absence de consentement est en outre non équivoque compte tenu de la réaction qu’elle a exprimée en présence du prévenu, en se dégageant et en protestant.
Connaissant la personnalité et les prises de position de la victime quant à la condition féminine, M. M. avait nécessairement conscience d’imposer ces actes à Mme C., ne pouvant se méprendre sur la façon dont ils seraient perçus par la victime, laquelle n’avait nulle raison de les interpréter comme une plaisanterie.

Il ne fait par ailleurs aucun doute que les gestes ainsi décrits ont porté atteinte à la dignité de la plaignante en raison de leur caractère dégradant et humiliant, en la réduisant parce qu’elle est une femme à cet archétype encore trop répandu d’objet du désir sexuel des hommes. Ces actes ont également créé à son détriment une situation intimidante et hostile, puisqu’elle était en outre confrontée aux man?uvres insidieuses du prévenu visant à prendre un ascendant sur elle, et à la dénigrer aux yeux de leurs collègues.

Comme le souligne la psychologue qui a examiné Mme C., ces actes ont été particulièrement déstabilisants, en ce qu’ils ont ravivé chez la victime les blessures narcissiques d’un passé de femme abusée et violentée.

La conscience d’enfreindre la loi, élément moral du délit, est également établit s’agissant d’actes à connotation sexuelle commis dans le cadre de relations de travail, dans un contexte dépourvu de toute intimité.

M. M. sera en conséquence déclaré coupable de ce chef de prévention.

Le casier judiciaire de M. M. ne porte pas mention de condamnations. (…)Les faits commis, trop souvent banalisés, sont cependant d’une gravité certaine et vont à l’encontre des objectifs que la société a fixés concernant la place des femmes et la modification des rapports homme-femme, notamment dans le cadre professionnel. De tels faits doivent par conséquent être sanctionnés de façon significative, à la mesure de l’enjeu que représente pour le progrès social, l’évolution des consciences en la matière. »

Waouh ! On voit rarement des juges reprendre à leur compte les analyses féministes des stratégies d’agresseur et des réactions des victimes ; ne pas être gênés par l’engagement féministe d’une femme et s’en servir justement pour caractériser l’absence de consentement ; ne pas minimiser l’impact du harcèlement sexuel sur la victime en raison de violences sexuelles plus anciennes qui créeraient (selon certains juges) un trouble dans la part de traumatisme dû au passé et au présent ; qui considèrent acquis que le travail n’est pas un lieu d’intimité ; enfin qui motivent politiquement leur décision en inscrivant les agissements en cause comme faisant partie d’un système dans lequel les femmes sont réduites à l’objet du désir sexuel des hommes et que le droit de cuissage est banal dans les relations de travail, ce qui empêchent les femmes d’être égales.

En outre, ils considèrent que c’est leur rôle de juge d’apporter un discours politique des rapports de domination hommes/femmes et on est bien d’accord : comment juger de violences sexuelles en étant déconnecté de l’analyse du patriarcat ?

Nous aurions pu vous livrer uniquement cette bonne nouvelle mais il y a un hic !

En effet, crispation concernant les faits visés à la prévention(2) caractérisant le délit de harcèlement sexuel : « lui prendre le cou et en amenant sa tête à hauteur de son sexe, feindre de se faire faire une fellation et cela à deux reprises ».

Comment est-il possible que des magistrats ayant fait preuve d’une telle audace dans la rédaction de leur jugement, n’ait pas eu la témérité de qualifier ces faits d’agression sexuelle ?

Pour rappel, l’agression sexuelle est définie dans le Code pénal comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Elle est punie de cinq d’emprisonnement et de 75.000? d’amende. Le harcèlement sexuel est lui, puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000? d’amende.

A défaut de définition légale de « l’atteinte sexuelle », c’est la jurisprudence, c’est-à-dire les juges, qui décident ce qu’est une « atteinte », ce qui est « sexuel » et ce qui n’est ni l’un, ni l’autre. Sont aujourd’hui considérées comme des agressions sexuelles, les attouchements sur les fesses, la poitrine, le sexe, la cuisse et le baiser forcé ainsi que l’attouchement du sexe de l’agresseur sur toute partie du corps de la victime.

Cette catégorisation des atteintes sexuelles n’a pas évolué depuis des années, bien que la définition du Code pénal laisse une grande liberté d’appréciation aux juges.

De notre point de vue, « prendre le cou » d’une femme avec sa main « et en amenant sa tête à hauteur de son sexe, feindre de se faire faire une fellation » est une agression sexuelle, aussi bien juridiquement que symboliquement pour les femmes et même pour ce qui concerne l’intention de l’agresseur.

Juridiquement d’abord, il faut une « atteinte » et elle doit être « sexuelle ». Nous pensons qu’une « atteinte » ne devrait pas se limiter à un attouchement. Mais là, nous allons trop vite et trop loin pour la justice pénale actuelle…

Si on retenait l’obligation d’un attouchement, là l’atteinte se caractériserait par la main de l’agresseur sur le cou de la victime. Si on s’arrête à une analyse basique, difficile de qualifier une main sur le cou d’atteinte « sexuelle » mais le but recherché de cette atteinte étant de ramener le visage de la victime au niveau du sexe de l’agresseur, le caractère sexuel de l’atteinte ne fait aucun doute. Le visage de la victime ne touche pas le sexe de l’agresseur mais la connotation sexuelle de cette agression, très violente et renvoyant à des injonctions typiquement pornographiques, est flagrante.

Symboliquement, pour n’importe quelle femme, un tel geste de la part d’un homme est une véritable agression – et une agression hautement « sexuelle ». D’abord parce que ce geste charrie l’image d’un viol par fellation. Aussi parce que vous avez déjà vu cette scène mille fois au cinéma, mine de rien, comme si c’était normal : un homme baisse sa braguette, prend la tête d’une femme (sa secrétaire, sa « petite amie » qui fait généralement potiche dans le film, une prostituée…), l’amène à son sexe et la maintient pour qu’elle lui fasse une fellation (dans son bureau, dans sa voiture, chez lui…).

Les femmes en question ne protestent généralement pas, aucune réciprocité dans le plaisir n’est mise en scène : elles font des fellations comme elles iraient acheter du pain. On nous donne l’impression qu’elles s’en fichent complètement et ce n’est jamais questionné! C’est une image éminemment dégradante des femmes, là pour « satisfaire » leur patron, leur mari, leur client par ce qu’on appelle communément une « gâterie ». Leur désir, leur plaisir à elles, est totalement nié.

C’est une image tellement banale dans la pornographie et dans l’imaginaire collectif, qu’elle est perçue comme de la sexualité et non plus comme une violence : dans ces scènes de cinéma, les hommes ne recherchent jamais leur avis, leur consentement aux femmes qu’ils soumettent physiquement à exercer une fellation : nous voyons communément sur grand écran, des viols et des femmes totalement objectivées, dont l’humanité et l’affect n’existent pas.

L’intention de l’agresseur, était-il de harceler cette femme ou de l’agresser ? Ce qu’il projette et suggère en commettant un tel acte, c’est un viol. Ce qu’il a dans la tête et la conscience qu’il a eue de ce qu’il a fait, est le cadet de nos soucis. Il n’en reste pas moins que ce qu’il a signifié en agressant sa subordonnée ainsi, c’est qu’il voulait d’elle une fellation et qu’évidemment, il ne cherchait pas son consentement : ce qu’il voulait c’est qu’elle ne soit pas d’accord. Le viol étant l’agression sexuelle la plus grave, ce qu’il a fait est bien plus proche de l’agression sexuelle que du harcèlement sexuel.

Agression, synonyme : attaque, offensive, choc, abordage, charge.

Par ailleurs, faisons une comparaison avec l’agression sexuelle commise sur Mme L. pour laquelle M. M. est condamné : Un soir qu’elle travaillait avec lui, il est passé derrière elle et lui a mis la main aux fesses, en accrochant bien sa main à sa fesse. Là, pas de difficultés pour qualifier les faits d’agression sexuelle, ce qui est tout à fait normal.

Pourtant l’échelle de gravité produite par le procureur puis les magistrats, entre ce qu’il a fait à Mme L. et à Mme C. n’a pas de sens.

La motivation irréprochable sur la caractérisation du harcèlement sexuel perd de sa justesse du fait de ce qui doit être regardé comme une déqualification des violences à notre place de femmes et de féministes.

Enfin, la condamnation prononcée n’est vraiment pas à la mesure du propos relaté puisque M. M. est condamné à quatre mois de prison avec sursis alors que le tribunal a caractérisé également l’agression sexuelle commise sur Mme L. (il a été relaxé pour l’agression sexuelle subie par Mme B).

Les victimes sont indemnisées de manière dérisoire puisqu’il est condamné à payer 2000 ? en réparation du préjudice moral pour chacune d’elle.

LI

Notes

1. Sur le fondement des nouvelles dispositions pénales relatives au harcèlement sexuel, issues de la loi du 06 août 2012, d’où notre intérêt pour ce jugement.

2. La prévention : ici ce terme ne désigne pas le fait d’agir pour éviter la survenance d’un mal (ou d’un mâle) quelconque mais désigne les faits retenus par le procureur de la République et pour lesquels le mis en cause va être jugé par le Tribunal correctionnel. C’est pour ça qu’on appelle l’auteur, le « prévenu ».

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email