Mesdames, Messieurs les députés
Nous avons découvert le dépôt d’un amendement gouvernemental n°866 devant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi “Egalité et Citoyenneté”.
Cet amendement créé un article 132-77-1 dans le Code pénal qui, s’il était voté, disposerait :
« Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui, soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur sexe, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime à raison de son sexe, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé ainsi qu’il suit :
« 1° Il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l’infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ;
« 2° Il est porté à trente ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de vingt ans de réclusion criminelle ;
« 3° Il est porté à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle ;
« 4° Il est porté à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de dix ans d’emprisonnement ;
« 5° Il est porté à dix ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de sept ans d’emprisonnement ;
« 6° Il est porté à sept ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement ;
« 7° Il est porté au double lorsque l’infraction est punie de trois ans d’emprisonnement au plus.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux infractions prévues aux articles 222-23 à 222-33 et 227-25 à 227-27, ni lorsque la circonstance qu’il prévoit constitue déjà l’un des éléments constitutifs de l’infraction ou lorsque l’infraction est déjà aggravée soit en application de l’article 132-77 soit parce qu’elle est commise par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité, soit parce qu’elle est commise contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union.»
L’exposé sommaire des motifs est rédigé comme suit :
“Cet amendement insère dans le code pénal un article 132?77?1 instituant une circonstance aggravante générale de sexisme, applicable à l’ensemble des crimes et des délits.
Cet article reconnaît ainsi que les faits sexistes, racistes ou homophobes sont d’une égale gravité et évite toute concurrence des motifs de violences ou discriminations.Dans un souci de cohérence, cet article exclut toutefois de son champ d’application les infractions pour lesquelles le mobile sexiste est déjà pris en compte, directement ou indirectement, soit par l’incrimination elle-même (viol, agressions sexuelles, harcèlement sexuel, atteintes sexuelles) soit en tant qu’élément constitutif (comme les discriminations fondées sur le sexe), soit par une autre circonstance aggravante (circonstance aggravante de commission des faits au sein du couple ou en raison du refus d’un mariage forcé).”
Sous couvert de rendre d’une “égale gravité” les “faits sexistes, racistes ou homophobes” et “d’évit toute concurrence des motifs de violences ou discriminations”, cet amendement renforce au contraire une hiérarchie déjà existante entre la répression de certaines infractions selon le critère qui les a motivées; il fait l’inverse de ce qu’il annonce.
Cette hiérarchie existe en effet déjà. Les peines prévues en cas de meurtre, de violences volontaires, de tortures et actes de barbarie, d’agression sexuelle ou de viol sont déjà aggravées depuis la loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003 “à raison de l’orientation ou identité sexuelle de la victime” ;
Aucune infraction n’est aggravée en raison du sexe de la victime(1), encore moins quand elle a été commise pour un motif sexiste.
Par exemple, l’agression sexuelle d’un homme en raison de son homosexualité est puni de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000? € d’amende alors que l’agression sexuelle d’une femme parce qu’elle est une femme est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000? € d’amende.
Les agressions sexuelles et les viols commis à l’encontre des femmes, qui sont largement les plus fréquents et qui sont donc nécessairement commis à leur encontre parce qu’elles sont des femmes (sinon quel incroyable hasard !), sont punis de peines inférieures et sont donc considérés comme moins graves par le législateur. Ils sont d’ailleurs juridiquement qualifiés de crimes et de délits “simples”.
Ces délits et crimes “sont tellement normaux et ordinaires que les peines doivent rester normales et ordinaires”(2).
S’il créé en effet une circonstance aggravante de “sexisme”, l’amendement repris ci-dessus exclut précisément de son champ d’application les infractions qui sont le plus susceptibles d’être commises à l’encontre des victimes parce qu’elles sont des femmes : les agressions sexuelles, le viol, le harcèlement sexuel.
Les justifications apportées à cet arbitrage sont toutes plus inopérantes les unes que les autres :
*Sont exclues les infractions dans lesquelles le “mobile sexiste” serait “déjà pris en compte” “directement ou indirectement (…) par l’incrimination elle-même (viol, agressions sexuelles, harcèlement sexuel, atteintes sexuelles) ». Or la loi pénale méconnaît totalement le “sexisme”, que cela soit “directement” ou “indirectement”, et considérer que les infractions à caractère sexuel feraient du « 2 en 1 » en incluant le sexisme revient à la vieille idée patriarcale selon laquelle les femmes sont « le sexe » et ne correspond à aucune réalité juridique ou même judiciaire. Nous l’aurions déjà remarqué.
Si au travers de cet amendement, le gouvernement suggérait en réalité que les violences sexuelles sont dans d’écrasantes proportions commises par des hommes sur des femmes parce qu’elles sont des femmes, que les délits et crimes sexuels seraient donc sexistes, ce que nous approuverions,
qu’il aille alors jusqu’au bout de cette logique et qu’il le rende visible plutôt que d’en tirer argument pour ne rien faire.
*Au terme de cet amendement, ne peuvent également être aggravées pour cause de sexisme les infractions les plus couramment commises, outre les violences sexuelles, dans un cadre conjugal : les violences volontaires, les tortures et actes de barbarie et le meurtre, justement au motif qu’elles seraient déjà aggravées quand elles sont commises au sein d’un couple ou ex-couple, comme si cette circonstance aggravante et celle de “sexisme” pouvaient se confondre.
Cela n’est évidemment pas le cas. Le meurtre d’un époux peut l’être pour des raisons strictement crapuleuses (héritage) ou encore pour se défendre (comme l’a fait Jacqueline Sauvage pour ne citer qu’elle). Ces crimes ne sont en aucun cas sexistes.
Enfin, le gouvernement reste silencieux dans son exposé des motifs sur une catégorie d’infractions auxquelles la circonstance aggravante de sexisme ne pourrait être appliquée : celles qui sont déjà aggravées “en application de l’article 132-77” du Code pénal, relatif à la circonstance aggravante liée à l’orientation sexuelle.
Cette disposition est en effet injustifiable puisqu’elle interdit l’application de la circonstance aggravante de sexisme aux infractions pénales déjà aggravées parce qu’ayant été commises “à raison de l’orientation sexuelle de la victime”. Loin “d’éviter toute concurrence des motifs de violences”, le gouvernement la créé à nouveau de toutes pièces de manière parfaitement explicite.
Pas de circonstance aggravante de sexisme en matière de violences sexuelles, de violences volontaires, de tortures et actes de barbarie, de meurtre, et même de menaces, de vol ou d’extorsion, ces infractions étant déjà aggravées “à raison de l’orientation sexuelle de la victime”… mais alors que reste-il ?
Le “souci de cohérence” dont se prévaut le gouvernement est un souci de cohérence toute patriarcale.
Nos associations demandent le rejet de cet amendement.
Nous restons à votre disposition pour toute information complémentaires,
Amicale du Nid
AVFT
CFCV
Chiennes de garde
CNFF
ECVF
FDFA
FIT-une femme un toit
Fondation des Femmes
Les Effronté-e-es
La Maison des femmes de Paris
Libres Mariannes
LDIF
Mémoire Traumatique
Marche Mondiale des Femmes
Ruptures
Regards de Femmes
Osez le Féminisme !
Réussir l’Egalité Femmes Hommes
Zonta Club de France
Notes
1. A l’exception des infractions dites « de presse » : injures, diffamation, provocations.
2. Cf. Le projet de loi du gouvernement Raffarin « relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe » est indéfendable, Louis, Le Magueresse, Baldeck (www.avft.org), septembre 2004.