Mettre en cause l’employeur public

Avertissement : Cet article s’adresse aux agent.es de la fonction publique et celles et ceux qui les défendent.

Il ne remplace pas un conseil juridique individualisé. Nous ne rappellerons jamais assez que le recours à un.e avocat.e spécialisé.e est presque toujours indispensable.

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Si les violences sexuelles dont vous avez été victime ont été commises au sein de l’université, vous trouverez des informations sur le site internet de CLASCHES.

Vous êtes agent.e de droit public, que ce soit contractuel.le ou titulaire :

I. Les obligations de l’employeur public en matière de harcèlement sexuel

A. Interdiction du harcèlement sexuel / Interdiction des sanctions contre les victimes et les témoins.

Le harcèlement sexuel (et, a fortiori, les autres violences sexuelles considérées comme « plus graves ») est interdit dans la fonction publique (d’Etat, territoriale et hospitalière). En effet, l’article L.133-1 du Code Général de la Fonction Publique (CGFP) dispose :

« Aucun agent public ne doit subir les faits :
1° De harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Ou assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

L’employeur public a l’interdiction de prendre des sanctions à l’encontre d’une victime de harcèlement sexuel ou à l’encontre d’une personne ayant relaté ou témoigné des agissements de harcèlement sexuel.

En effet, l’article L.133-3 dispose :

«Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l’appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un agent public en raison du fait que celui-ci :
1° A subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés à l’article L. 133-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° de cet article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés, ou les agissements de harcèlement moral mentionnés à l’article L. 133-2 ;
2° A formulé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ou agissements ;
3° Ou bien parce qu’il a témoigné de tels faits ou agissements ou qu’il les a relatés. (…).
»

L’article L.131-3 du CGFP affirme, quant à lui, l’interdiction des agissements sexistes (et même de l’agissement sexiste, au singulier) :

« Aucun agent public ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »

B. Sanction du harceleur

L’administration peut engager une procédure disciplinaire contre le harceleur/l’agresseur si celui-ci est un agent public.

En effet, l’article L.133-3 du CGFP dispose :
« (…). Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder à ces faits ou agissements ».

C. Protection fonctionnelle

La loi du 13 juillet 1983 a prévu au bénéfice de l’ensemble des agent.es  (même si vous ne faites plus partie de la fonction publique au jour de la demande) une garantie de protection dont le principe est inscrit aux articles L.134-1 à L.134-12 du CGFP et qui constitue une obligation pour l’administration et un droit pour l’agent.e :

L’article L.134-1 dispose : « L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre. » et est complété par l’article L.134-5 qui précise que : « La collectivité publique est tenue de protéger l’agent public contre les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée.
Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. »

La protection fonctionnelle permet notamment de prendre en charge les honoraires d’avocat.e pour les victimes si celles-ci ont engagé une procédure pénale contre le harceleur/l’agresseur (à l’exception donc de ceux relatifs à une procédure administrative contre votre administration). Il est préférable d’en faire la demande en amont de la procédure : vous n’aurez ainsi aucun frais à avancer.
L’administration n’a pas le droit de vous imposer un.e avocat.e, dont vous gardez le libre choix. Elle peut néanmoins refuser de prendre en charge l’intégralité des honoraires facturés par l’avocat.e.

Comme le précise la circulaire du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement dans la fonction publique, cette protection inclut d’autres mesures :

  • Une obligation de réaction

L’administration étant tenue de protéger les victimes de harcèlement sexuel, elle doit prendre des mesures pour que le harceleur cesse ses agissements. Elle a la possibilité de changer le harceleur d’affectation ou le suspendre provisoirement de ses fonctions (Rép. min. n°13166, JO Sénat 28 juillet 2011 p.1989).
Concrètement, la plupart du temps l’administration vous proposera (ou vous imposera) une mutation pour vous « protéger » dans « l’intérêt du service ». Il s’agit d’une sanction discriminatoire qui peut être contestée devant le tribunal administratif.

  • Une obligation d’enquête

Aucun texte, ni aucune jurisprudence connue n’a consacré cette obligation. Néanmoins, pour permettre d’établir l’existence du harcèlement sexuel et pouvoir le réparer et le sanctionner, l’employeur public n’a d’autre choix que de mener une enquête sérieuse, objective et impartiale au sein de l’administration concernée.

  • Une obligation de réparation

L’administration est tenue de réparer votre préjudice si le harcèlement sexuel est démontré. Divers préjudices sont susceptibles d’être indemnisés sur ce fondement. La jurisprudence reconnaît notamment la réparation du préjudice matériel, c’est-à-dire les préjudices que l’on peut matérialiser (par exemple, typiquement, la prise en charge des consultations psychologiques : vous avez dû verser une certaine somme d’argent en raison des violences subies, pour aller mieux) et du préjudice moral, c’est-à-dire l’indemnisation du fait d’avoir été atteinte dans votre personne (et qui, selon nous, est difficilement estimable en euros…).

Comment faire votre demande de protection fonctionnelle ?
Vous devez écrire à votre employeur (modèle à télécharger ici) et l’envoyer en lettre recommandée avec accusé de réception. N’oubliez pas d’en conserver une copie.

La protection fonctionnelle peut être sollicitée à tout moment et la circonstance que vous soyez, à la date de la demande, en congé maladie ne fait pas obstacle à ce qu’elle vous soit accordée.

Dès lors que les conditions légales sont réunies, la protection fonctionnelle présente un caractère impératif et ne peut être refusée que pour des motifs d’intérêt général dûment justifiés ou d’une faute personnelle de votre part, détachable du service. Autant dire que ces conditions peuvent difficilement  être remplies en matière de violences sexuelles : quel motif d’intérêt général serait légitimement supérieur à la protection des victimes de violences sexuelles et la lutte contre ces violences ? quelle faute personnelle pourrait être retenue contre une victime sans que cela ne relève d’une idéologie masculiniste ?

L’administration ne peut pas conditionner l’octroi de la protection fonctionnelle à un dépôt de plainte.

L’administration a deux mois pour vous répondre. A l’expiration de ce délai, son silence vaut rejet implicite de votre demande de protection fonctionnelle. Ce rejet est contestable devant le tribunal administratif (voir infra).

II. Les recours

A. Recours gracieux / recours hiérarchique

Avant d’envisager le recours à un tribunal administratif, vous avez la possibilité de demander le réexamen par l’administration d’une décision (explicite ou implicite) défavorable pour vous.

Cette demande de réexamen est appelée « recours gracieux ». Il doit être adressé à l’autorité qui a pris la décision. Vous pouvez, ensuite ou directement sans passer par un recours gracieux, faire un « recours hiérarchique » à l’autorité supérieure à celle qui a pris la décision (par exemple, vous êtes policière nationale, vous écrirez directement ou ensuite au ministère de l’intérieur).

Le recours doit être effectué par courrier recommandé avec accusé de réception. Il doit être argumenté et accompagné de la décision défavorable de l’administration et de toutes les pièces justificatives utiles. Vous devez conserver la copie du dossier envoyé à l’administration ainsi que l’accusé de réception car ces pièces seront nécessaires en cas de recours contentieux (celui devant le tribunal administratif).

Vous n’êtes pas tenue d’exercer ces recours gracieux et/ou hiérarchique ; vous avez la possibilité de saisir directement le tribunal administratif.

B. Recours contentieux

Si vous souhaitez faire annuler une décision qui vous est préjudiciable, engager la responsabilité de votre administration pour les violences dont vous avez été victime et être indemnisée de votre préjudice, il vous faudra saisir le tribunal administratif (TA), qui est compétent pour tous les « différends » existants entre un.e agent.e et son administration.

Trois recours contentieux doivent être distingués :
– Le « référé » est une procédure accélérée qui vise à obliger l’administration à prendre des mesures provisoires.
– Le « recours pour excès de pouvoir » qui vise à faire annuler une décision prise par l’administration qui vous est préjudiciable (par exemple le refus de vous octroyer la protection fonctionnelle).
– Le « recours de plein contentieux » qui vise à engager la responsabilité de la personne publique et à solliciter des dommages-intérêts en réparation de votre préjudice.

Pour chacun de ces recours (référé, recours en excès de pouvoir ou de plein contentieux), vous aurez à démontrer l’existence du harcèlement sexuel. Un aménagement des règles de preuve est prévu par la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Vous devrez « soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.2 »

Ces éléments sont de plusieurs ordres : votre récit des violences, votre dossier médical, des attestations de témoins directs et/ou indirects des violences sexuelles, les éventuelles preuves matérielles dont vous disposez (SMS, mails), une main courante/plainte à la police…etc.

    1) Référé-provision en matière de refus de protection fonctionnelle

Si l’administration refuse de vous l’accorder en dépit de son obligation, vous pouvez diligenter une procédure de « référé provision » auprès du tribunal administratif dont dépend votre lieu de travail.
Le référé provision est une procédure qui consiste à obtenir un « acompte » (une provision) sur les sommes dues par votre administration au titre de la protection.

Cette action est relativement simple et rapide : elle peut être menée directement par la créancière (vous) sans la présence d’un.e avocat.e et oblige le juge à statuer dans un délai bref. En plus des éléments de fait laissant supposer l’existence du harcèlement sexuel, vous devrez produire les factures correspondant au montant de la provision sollicitée.

Une procédure en référé doit toujours être accompagnée d’une procédure « au fond », c’est-à-dire d’un recours en excès de pouvoir, qui permet au juge de statuer définitivement sur le bien-fondé de votre demande de protection fonctionnelle.

Ainsi, si vous alliez les deux procédures, cela vous permet d’obtenir les sommes dues au titre de la protection fonctionnelle dans un délai plutôt bref avant même que le tribunal administratif ait jugé illicite le refus d’octroi de la protection fonctionnelle, ce qu’il fera dans un deuxième temps.

    2) Le recours pour excès de pouvoir

Dans ce contentieux, vous pouvez seulement demander au juge d’annuler une décision de l’administration qui vous porte préjudice. Cette décision peut être :
– Un acte unilatéral de votre employeur (sanction, mutation, mauvaise notation…etc.)
– Un refus opposé à une demande de votre part (refus de protection fonctionnelle, refus d’imputabilité de votre maladie au service…etc.)

Vous pouvez agir seule, sans recourir à un-e avocat-e.

    3) Le recours de plein contentieux

En matière de harcèlement sexuel, ce recours a pour objectif de faire reconnaître le harcèlement et de faire condamner l’administration à indemniser vos préjudices.

Il est nécessaire d’adresser un recours préalable à votre administration (qui s’appelle le « recours administratif préalable obligatoire », RAPO) en chiffrant vos demandes puis de saisir le tribunal administratif dans les deux mois du refus ou de la décision implicite de rejet.

L’assistance d’un.e avocat.e est obligatoire pour ce recours.

NB : Le formalisme et les délais

– Le formalisme :
La procédure administrative est écrite. Cela signifie que les échanges d’arguments entre les parties se font par le biais de mémoires échangés avant l’audience, permettant de respecter le principe du contradictoire.

Si vous décidez de saisir seule le tribunal (donc en cas de recours pour excès de pouvoir ou de référé), sachez que ces échanges de mémoires et de pièces peuvent être chronophages et difficiles. Il est parfois préférable de prendre attache avec un.e avocat.e

Oyez, oyez, avocat.es en droit public, baissez vos tarifs ! Ils sont presque toujours inaccessibles pour les agentes qui nous saisissent, obligeant l’AVFT à rédiger elle-même les mémoires. Mais notre temps et nos moyens ne sont pas extensibles et nous ne pouvons le faire pour toutes.

Les échanges de mémoires et de pièces se font via la plateforme internet « Télérecours citoyen ».

– Les délais :
Quelque soit le recours (gracieux, hiérarchique ou devant le juge administratif), il doit être exercé dans les deux mois suivant la notification de la décision contestée.

Si la décision de l’administration ne vous informe pas sur les voies et délais de recours, vous n’êtes tenue par aucun délai pour exercer un recours. Un refus implicite (silence gardé par l’administration) ne comporte par nature aucune indication des voies et délais de recours.

Le délai de deux mois pour agir peut être particulièrement court et nécessite d’y porter une grande attention afin que vos droits ne soient pas lésés.

La décision rendue par le tribunal administratif est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans un délai de 2 mois, mais dans des conditions limitatives (par exemple, si vous avez formulé une demande indemnitaire, celle-ci doit être supérieure à 10 000 euros pour que le droit d’appel vous soit ouvert).

Attention, le délai d’appel est de 15 jours si le juge administratif statue en référé.

En appel, l’assistante d’un.e avocat.e est obligatoire.

En cas d’impossibilité de faire appel ou d’arrêt défavorable de la Cour administrative d’appel, ces décisions peuvent, dans certaines conditions, faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

(Mise à jour de l’article : 4 août 2022)

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