En quête d’enquête : un employeur condamné pour du harcèlement sexuel et moral après une enquête interne calamiteuse

Mme I. a été embauchée en 2011 en qualité d’agente d’exploitation dans un parking parisien. Elle y a subi des faits de harcèlement sexuel et moral de la part de plusieurs salariés. Certain de ses collègues faisaient des remarques sur son physique, d’autres lui racontaient leur vie sexuelle, ou lui répétaient à plusieurs reprises qu’elle souhaitait avoir une relation sexuelle avec eux ou qu’elle finirait par « accepter » des rapports.

Ses collègues faisaient courir des bruits sur elle, et dans cet environnement clos et très masculin, elle s’est trouvée isolée et en difficulté. Petit à petit, elle est tombée en dépression et a été placée en mi-temps thérapeutique en 2015.

C’est lors de cette période qu’elle a saisi l’AVFT. L’ association l’a guidée dans ses démarches et lui a permis de mettre des mots sur la situation qu’elle vivait depuis plusieurs années. Avec notre appui et après l’avoir orientée vers une avocate spécialisée, Me Maude Beckers, Mme I. a contesté son licenciement pour inaptitude.

L’association est intervenue volontairement devant le Conseil de prud’hommes. Comme cela arrive (trop) régulièrement dans les procédures de harcèlement sexuel, les quatre conseillers prud’hommes n’ont pas réussi à se mettre d’accord et ont renvoyé le dossier devant le juge départiteur (qui est un.e magistrat.e professionnel.le).

Ce dernier a fait une juste application de la règle de preuve spécifique en matière de harcèlement sexuel au travail dit “aménagement de la charge de la preuve”. Il a analysé les éléments apportés par Mme. I dans leur totalité (deux témoignages directs, la dégradation de son état de santé, la cohérence de ses démarches et la constance de ses déclarations) et en a déduit une présomption de harcèlement sexuel. Il a ensuite examiné les éléments avancés par l’employeur.

L’employeur se prévalait d’avoir mené une enquête interne, versée à la procédure pour tenter de contrer la présomption de harcèlement sexuel.

Mais il ne suffit pas que les employeurs aient enquêté, encore faut-il que l’enquête ait été diligentée de manière sérieuse et impartiale.

Nous avons l’habitude de voir et de pointer les carences et la partialité des enquêtes menées par les employeurs, surtout quand, comme c’était le cas en l’espèce, le CHSCT (ou le CSE) n’y a pas été associé : questions orientées qui accusent la victime d’être quand même un peu responsable, minimisation des violences dénoncées, dédouanement voire parti-pris en faveur des mis en cause, absence de questions permettant de creuser les faits …

Cette enquête reprenait avec un certain brio tous ces manquements : Mme I. a  sans cesse été mise en cause dans les conclusions. L’employeur conclut ne pas comprendre – ou faire mine de ne pas comprendre « pourquoi elle se prétend victime de harcèlement sexuel », avance qu’elle aurait été « vexée » lors d’une altercation avec un collègue (qui lui avait tenu des propos à connotation sexuelle lui parlant de la vie sexuelle de sa propre mère, lui demandant si elle aimait les « reubeus », que lui en avait « baisé » plein, alors que Mme I a des origines maghrébines) et que depuis elle chercherait à se « venger ». Et tranche :

« Plusieurs témoignages laissent penser que les accusations de Mme. I lui permettraient de « monnayer » son départ de l’entreprise ».

L’AVFT, représentée par Vesna Nikolov, et Me Beckers ont argué de la partialité et du manque de sérieux de cette enquête, en ont fait apparaître tous ses travers, de sorte qu’elle était insusceptible de renverser la présomption de harcèlement sexuel (et moral).

Par jugement du 15 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné l’entreprise pour harcèlement sexuel et dit le licenciement de Mme I. nul.

L’employeur a été condamné à verser 3000€ à Mme I. au titre du préjudice découlant du harcèlement sexuel et moral, l’équivalent de moins de deux mois de salaire pour indemniser la rupture de son contrat de travail, et 1 000 € à l’AVFT au titre de son préjudice moral.

Considérant que ces sommes ne réparaient pas l’étendue de ses préjudices, Mme I. a interjeté appel du jugement. 

Vesna Nikolov

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