Amendement sur les abandons de poste : 5 ans après #Metoo, des victimes de harcèlement sexuel au travail vont devoir démissionner ou rester en poste

Mercredi 12 octobre 2022, l’Assemblée Nationale a voté un amendement au projet de loi sur l’assurance-chômage (intitulé « Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi« ), déposé par le groupe LR, visant à instaurer une présomption de démission pour les salarié‧es abandonnant leur poste, les privant de l’indemnisation du chômage.

Actuellement, l’abandon de poste (qui consiste pour un‧e salarié‧e à ne plus se présenter à son travail de manière prolongée et sans le justifier) peut entraîner un licenciement pour faute qui ouvre droit à la prise en charge par l’assurance chômage.

Prétendant lutter contre un fléau dont il est impossible de connaître l’ampleur, puisque les promoteurs de cet amendement reconnaissent eux-mêmes l’absence de données, cette nouvelle entrave dans l’accès aux indemnités chômage fragiliserait, si elle était adoptée définitivement, les salarié.es les plus précaires, parmi lesquel.les les femmes victimes de violences sexuelles au travail.

L’abandon de poste par des victimes de violences sexuelles au travail n’est certes pas le mode d’éloignement du travail le plus fréquent, mais c’est parfois la seule solution « d’exfiltration » d’un contexte professionnel attentatoire à leur santé physique et/ou mentale, lorsque les conditions ne sont pas remplies pour « prendre acte » de la rupture du contrat de travail, (1) ou lorsque le-la médecin du travail refuse de les déclarer inaptes à tout poste dans l’entreprise (2).

Il est par ailleurs notable que l’instauration d’une présomption de démission en cas d’abandon de poste préjudicierait principalement aux salariées qui sont déjà les plus précaires, puisque les cadres qui souhaitent rompre leur contrat de travail trouvent à se faire conseiller, et ont davantage tendance à négocier leur départ (dans le cadre de licenciements transactionnels).

La précédente réforme de l’assurance chômage a déjà particulièrement pénalisé les femmes victimes de violences sexuelles. L’allongement de la durée de cotisations de quatre à six mois pour y avoir droit les met en effet dans une situation dangereuse : elles sont alors coincées sur leur lieu de travail pour deux mois de plus. Cette mesure touche encore une fois plus particulièrement des femmes vulnérables sur le marché du travail, en premier emploi – donc les plus jeunes qui sont statistiquement les plus exposées aux violences masculines – ou bien qui terminent une période de chômage.

Ce nouvel obstacle réduirait encore davantage les possibilités qui s’offrent aux victimes pour échapper aux violences qu’elles subissent. Les conséquences en seraient désastreuses pour elles : la présomption de démission les priverait non seulement d’indemnités chômage, mais en plus les obligerait à saisir le conseil de prud’hommes pour faire requalifier la démission en licenciement, ce qui entrainerait une procédure longue (entre 3 ans et 5 ans) et coûteuse. Durant cette période, pas d’indemnisation.

Le 13 octobre, M. Cyril Pellevat, sénateur LR, est même allé jusqu’à déposer un sur-amendement prévoyant une présomption de démission fautive pour tout abandon de poste, qui s’analyse comme une invitation, pour les employeurs, à saisir les conseils de prud’hommes pour qu’ils condamnent les salarié‧es ayant abandonné leur poste à leur verser des dommages-intérêts !

Cet amendement doit donc être retiré ou combattu.
Comme la réforme…

Vesna Nikolov

Juriste – chargée de mission.

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Notes

Notes
1Autrement appelée « rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur », la prise d’acte doit être effectuée de la manière la plus contemporaine à un ou des faits graves imputables à l’employeur. Pour qu’elle soit assimilée à une rupture involontaire du contrat de travail et ouvrir droit à l’assurance-chômage, la salariée doit avoir porté plainte
2La déclaration d’inaptitude déclenche une procédure de licenciement
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