L’AVFT était partie civile et intervenante volontaire
En mars 2009, l’AVFT s’était mobilisée dans une procédure pour des violences sexuelles commises par le gérant de la société de nettoyage NG Pro Multiservices.
Nous avions déjà rendu compte du travail effectué par l’AVFT dans ce dossier, qui avait réuni de nombreux éléments de faisceau d’indices, là où la police s’était abstenue de mener une enquête sérieuse, ce qui avait permis la condamnation de l’employeur par le Conseil de prud’hommes, cinq ans plus tard, en septembre 2014, tandis que la plainte pénale était donc, sans surprise, classée sans suite.
Nous vous informions également que nous avions de nouveau entendu parler de cette entreprise, pour des violences commises par le gérant… trois mois après la condamnation de sa société aux prud’hommes.
Mme Bou… saisissait en effet l’AVFT en janvier 2015 et témoignait de violences commises par le gérant le mois précédent.
Celle-ci était engagée le 8 décembre 2014 en qualité de secrétaire comptable intérimaire dans la société NG Pro Multiservices. Dès les premiers jours, le gérant lui faisait subir des propos à connotation sexuelle, tels que « tu as de belles fesses » ou « tu es trop bonne », auxquels se sont ajoutés, à partir du 26 décembre, des agressions sexuelles. M. M… lui touche les seins, le sexe, les fesses, tente de l’embrasser de force. Il lui dit qu’elle le « fait bander », l’appelle « chérie », lui envoie un sms dans lequel il lui demande de le rejoindre à son bureau pour « sentir ma bite comme elle est dure ». Il lui parle « de belles petites culottes ». Mme Bou… appelle son employeur le 2 janvier 2015, pour l’informer qu’elle ne viendrait plus travailler. Il la suppliera de rester en promettant de cesser les violences, mais n’attendra pas longtemps avant de rompre son engagement, en commettant un viol à son encontre, le 6 janvier, par pénétration vaginale avec un doigt, frottant son sexe contre ses fesses, jusqu’à ce que Mme Bou… réussisse à se dégager et à alerter aussitôt son agence d’intérim.
Plusieurs victimes, une même stratégie
Ces deux victimes – l’AVFT en a identifié une troisième, qui n’a pas agi en justice mais a témoigné dans les procédures – ont eu recours aux mêmes stratagèmes pour tenter de se défaire du harcèlement sexuel et des agressions de M. M ; Elles ont toutes deux évité la proximité physique avec lui, tenté de ne pas se retrouver seules avec lui, et manifesté clairement leur refus, espérant que l’agresseur arrêterait, découragé.
A contrario, il est intéressant de remarquer les stratégies établies par M. M pour agir en toute impunité ; M. M s’en est pris à des femmes vulnérabilisées, que ce soit par une situation administrative difficile, par leur situation familiale, ou par la précarité qu’elles partageaient. Un salarié agissant pour Mme Be… témoigne que « seules les personnes qui avaient absolument besoin de travail restaient, tellement c’était physiquement difficile et ingrat ». Une autre salariée, qui témoignait de harcèlement sexuel également commis à son encontre par M.M, explique que « c’était de l’exploitation ». Quant à la situation familiale de Mme Be…, celle-ci avait un enfant à sa charge et aucune autre ressource que son salaire.
Le lien de subordination et la précarité économique et administrative ont donc été des facteurs favorisant pour M. M…
Une procédure pénale longue et une déqualification
Mme Bou… dénonce alors les violences à l’agence intérim qui l’emploie, et à la fille de l’employeur, qui travaille aussi à NG Pro Multiservices. Celle-ci tente de la convaincre de ne pas porter plainte et lui propose un arrangement à l’amiable, refusé par la victime. Une proposition qui semble habituelle à la société, ayant proposé 3 000 euros à Mme Be… pour qu’elle retire sa plainte, quelques années auparavant.
Mme Bou… tente plusieurs fois de porter plainte et est éconduite par la police. Elle réussit finalement à porter plainte le 21 janvier 2015. Elle contacte l’inspection du travail le 23 janvier, et saisit l’AVFT peu de temps après sur ses conseils. Nous l’orientons vers Me Marjolaine Vignola pour la procédure pénale.
La longueur de ces procédures est éprouvante pour Mme Bou… qui a recroisé plusieurs fois M.M… depuis le dépôt de plainte. Elle nous confie encore sa peur, sept ans après les faits : « quand je l’ai recroisé, j’en tremblais, heureusement qu’il ne m’a pas vu », « ça m’est arrivé de devoir passer pas loin de l’entreprise, ça me faisait peur ».
Le viol sera déqualifié en agression sexuelle(1). M.M est jugé devant le Tribunal Correctionnel de Pontoise – l’AVFT était partie civile dans la procédure – qui le condamnera le 26 juin 2020 à trois années d’emprisonnement dont deux de sursis, ainsi qu’à verser une provision de 3 000€ à Mme Bou….Le 15 décembre, M.M est condamné à verser 45 706 euros de dommages et intérêts à Mme Bou… , en reconnaissance des souffrances endurées, des frais de santé futurs, du préjudice sexuel et autres préjudices. C’est très sensiblement moins que le chiffrage des préjudices faits par Mme Bou…, qui n’exclut donc pas de faire appel.
Condamnation exemplaire de l’entreprise à indemniser l’AVFT
Parallèlement, Mme Bou…, assistée par Me Jasmine Malou, avait saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris en juillet 2016, qui rendra son jugement le 19 janvier 2021, soit après la décision du Tribunal correctionnel.
La société NG PRO MULTISERVICES est condamnée à verser :
- 15 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité (les demandes indemnitaires ne portaient pas sur les préjudices liés aux violences elles-mêmes, Mme Bou… ayant demandé au tribunal correctionnel la condamnation de M.M, personne physique, à les indemniser).
- 20 020 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul (Mme Bou… ayant par ailleurs demandé, et obtenu, la requalification de ses contrats de travail temporaire en CDI)
L’indemnisation pour nullité de licenciement est satisfaisante compte tenu de la durée du contrat de travail de Mme Bou… qui était d’un mois, et qui équivaut à environ onze mois de son salaire brut.
Il fait droit également à la totalité des demandes de l’AVFT, intervenante volontaire dans la procédure, représentée par Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’association, en condamnant l’entreprise à nous verser 6 000 euros au titre de réparation des préjudices subis, en plus des 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le Conseil de prud’hommes a manifestement été sensible à notre argumentaire sur la nécessité que cette entreprise « récidiviste » soit condamnée à des montants dissuasifs.
Obligation d’afficher la condamnation
Le Conseil de prud’hommes fait également droit à la demande de l’AVFT de condamner NG PRO Multiservices à afficher le jugement, pendant une durée d’un mois, dans les locaux de la société, en particulier les vestiaires des femmes et des hommes et le lieu de restauration des salarié.es.
Nous avions déjà obtenu ce type de condamnation ; en 2013, dans une procédure de harcèlement sexuel contre La Poste, ou encore en 2021, quand la société Evernex International avait dû afficher sur la page d’accueil de son site web et dans ses locaux la condamnation pour harcèlement sexuel dont elle avait fait l’objet.
L’entreprise a fait appel de sa condamnation.
Tiffany Coisnard et Marilyn Baldeck
Notes
↑1 | Il s’agit d’une correctionnalisation, cela consiste à requalifier un crime en délit et le faire juger comme tel. L’AVFT produit régulièrement des articles critiquant ce procédé. |
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