Une victoire arrachée après 13 ans de combat : l’intérêt de l’appel sur intérêts civils pour les victimes.

Après 13 ans de lutte, Mme G a enfin obtenu la reconnaissance des violences sexuelles qu’elle a subies.

Des violences sexuelles dans un contexte de particulière vulnérabilité.

Mme G, en France depuis 1992, est embauchée le 22 novembre 2004 en qualité de secrétaire dans une association qui vient en aide aux personnes en difficulté. Elle travaille sur le site de Nanterre, sous la responsabilité de M. F.

Quelques jours après son embauche, elle apprend que son frère, résidant en Tunisie, vient de décéder d’un cancer. M. F se montre particulièrement compréhensif envers elle, lui permettant de se rendre aux obsèques. Fragilisée par ce décès, Mme G. se sent redevable envers son supérieur.

Elle doit faire face rapidement à une nouvelle épreuve : un cancer est diagnostiqué à son mari au début de l’année 2005.

Son supérieur hiérarchique l’apprend et c’est dans ce contexte de vulnérabilité qu’il commence à lui faire subir du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles. A la fin du mois de janvier 2005, il tente de l’embrasser. Elle le repousse, lui disant être amoureuse de son mari et ne pas souhaiter qu’il se passe quoique ce soit entre eux. Il lui dit respecter son choix.

La maladie de son époux progresse vite, contraignant Mme G à se confier à son supérieur pour pouvoir se rendre à son chevet à l’hôpital.

Entre 2005 et 2006, Mme G passe alors son temps à accompagner son époux malade, tout en continuant de travailler et de s’occuper de son fils. M. F cesse ses agissements. Elle lui en est de nouveau redevable et se sent obligée envers lui.

Son époux décède en août 2006. Les agressions et le harcèlement reprennent alors rapidement. Elle réussit à lui faire respecter une période de deuil, mais à partir de l’hiver les agressions reprennent.

Elles ont lieu lorsque Mme G., la secrétaire de M. F, se rend dans son bureau, ce qu’elle ne peut pas éviter. Les agressions sont de plus en plus violentes. M F colle son sexe en érection contre elle, la tire vers elle pour l’embrasser, lui met les mains autour du cou, lui touche la poitrine. Elle le repousse sans cesse.  

Au début du printemps 2007, elle apprend le décès de son beau-frère, frappé par la même maladie. Cette nouvelle aggrave son état dépressif, d’autant que son supérieur hiérarchique commence à lui faire des reproches sur son travail. Anéantie par ces épreuves successives et totalement épuisée par les agressions et le harcèlement réguliers, elle perd pied.

Dans un désespoir profond, et prête à tout pour faire cesser l’enfer qui est le sien, Mme G abdique sur le plan sexuel, à l’unique condition, qu’ensuite, il la laisse tranquille.

Le viol a lieu alors qu’elle est dans un état de sidération intense, Mme G se décrivant « comme un cadavre » lors de cette scène.

Malgré ses espoirs que cet acte fasse cesser la situation qu’elle vit, les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel continuent.

Comprenant que la situation ne s’arrêtera jamais, Mme G trouve le courage de se confier à l’une de ses collègues. Elles mettent en place des stratégies d’évitement afin que Mme G ne se retrouve plus seule avec son supérieur hiérarchique. M. F commence alors à exercer des pressions sur son poste et la menace de la licencier.  

Avec le soutien de sa collègue, elle parvient à demander un entretien au directeur général de l’association.

Mme G finit par être licenciée le 9 juillet 2007, au motif que les accusations portées à l’encontre de M. F seraient fausses, et qu’elle aurait provoqué « une crise au sein du service ».

Un renvoi devant le tribunal correctionnel obtenu au forceps…

C’est dans ce contexte qu’elle saisit l’AVFT. Nous l’accompagnons tout au long des procédures qu’elle lance et l’orientons vers une avocate, Me Cittadini. Elle saisit le conseil de prud’hommes et obtient la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme G dépose en parallèle une plainte pour harcèlement sexuel, agressions sexuelles et viol. Cette plainte est classée sans suite en septembre 2009. Elle dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile en décembre 2009 pour les mêmes agissements. L’AVFT se constitue partie civile à ses côtés en mai 2010.

La procédure pénale est un combat de plusieurs années. En 2013, au terme de quatre ans d’instruction, M F est mis en examen pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles et entendu en qualité de témoin assisté(1) pour le viol.

L’AVFT écrit au juge d’instruction en 2014 pour soutenir son dossier, notamment du point de vue de la caractérisation du viol.

En 2017 (soit 9 ans après le dépôt de plainte…) des réquisitions de non-lieu sont cependant rendues par le parquet pour le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles. Le viol – sans surprise mais pas sans honte – n’est pas retenu dans la prévention(2). Le juge d’instruction alors en charge du dossier fait une totale inapplication des règles de preuve et refuse de prendre en compte le faisceau d’indices graves et concordants apporté par Mme G (la cohérence de son récit et de ses démarches, le témoignage indirect de sa collègue, une dizaine d’autres collègues auditionnées lors de l’enquête qui évoquaient pratiquement toutes le comportement problématique de M F à l’égard des femmes et des attestations de médecins sur l’état de santé de Mme G).

Ses réquisitions scandaleuses entraînent de nouvelles observations de l’AVFT qui reprend – une nouvelle fois – les éléments de preuve apportés par la victime.

Et, enfin, après des années de combat acharné, M F est renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles.

La décision du tribunal correctionnel est décevante.

Malgré le faisceau d’indices , M F est relaxé.

De l’intérêt de l’appel sur intérêts civils : une victoire, enfin, pour Mme G.

Le droit pénal est celui de l’action publique. C’est donc le ministère public – le procureur –  qui « mène la barque » : il décide de l’opportunité des poursuites, fait des réquisitions lors de l’audience et décide de faire appel… ou pas. Si ce dernier ne fait pas appel lorsqu’un mis en cause est relaxé à l’issue d’un procès, la victime ne peut a priori pas faire appel.

Sauf que … la victime demande des dommages et intérêts, pas une peine de prison ou une amende. C’est donc sur ce fondement – et uniquement sur celui-ci – qu’elle a la possibilité de faire appel (3). C’est ce qu’on appelle l’appel sur intérêts civils.

La procèdure sur intérêts civils(1)

Cette « double casquette » du procès pénal est peu connue. Elle est pourtant une intéressante voie à mobiliser lorsqu’il s’agit de faire valoir ses droits.

C’est donc sur ce fondement que Mme G est allée devant la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Versailles.

Il s’agit alors de détacher la faute de l’infraction. L’infraction suppose la réunion de trois éléments : l’élément légal, l’élément intentionnel et l’élément matériel.

La faute est elle plus simple à démontrer : « quiconque cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Il faut donc : une action, un préjudice qui en découle et un lien de causalité.

Mme g1
Mmeg2

Il faut saluer ici le raisonnement de la cour d’appel qui mis beaucoup de soin à analyser la situation in concrecto (en prenant en compte la situation précise de Mme G et non en délibérant sur « le comportement attendu d’une bonne victime »). Les magistrates ont insisté sur la caractérisation de la contrainte pour démontrer la faute civile commise par M F.

Mmeg3
Mmeg4

Malheureusement les juridictions pénales sont très pingres lorsqu’il s’agit d’indemniser des victimes de violences sexuelles (sauf si le chiffrage des préjudices s’adossent à une expertise).

Mme G a obtenu 5 000 euros de dommages et intérêts pour son préjudice, l’AVFT 2 000 euros. La partie adverse ne s’est pas pourvue en cassation.

Au final, bien que relaxé au plan pénal, les violences dénoncées par Mme G sont établies par la justice, M.F est déclaré civilement coupable, et Mme G est reconnue comme victime.

Vesna Nikolov

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