Journée d’étude sur le harcèlement sexuel à l’université

1. Historique de l’adoption des lois

Votées en 1992, modifiées en 1998 et 2002, les lois françaises relatives au harcèlement sexuel sont le fruit d’une double pression des institutions européennes et des organisations féministes.

Les lois résultent d’une double pression :

Bien que sur des fondements théoriques différents, les initiatives des institutions européennes et des organisations féministes convergent et s’accordent sur la nécessité de mettre en place des politiques de prévention et une législation permettant aux personnes victimes de harcèlement sexuel de le dénoncer et d’obtenir réparation de leur préjudice.

? Actions des associations féministes en vue de l’obtention d’une législation en matière de harcèlement sexuel puis en vue de sa mise en ?uvre.

Créée en 1985 avec pour objectifs d’intervenir aux côtés des personnes victimes de violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail et de sensibiliser l’opinion public à la réalité et à l’ampleur de ces violences, l’AVFT est à l’origine des lois sur le harcèlement sexuel en France .
En 1989, elle organise à Paris, le premier colloque international autour du thème « Violences, harcèlement sexuel, abus de pouvoir au travail  »
En 1990, elle rédige une proposition de loi qui sera adressée au Secrétariat d’Etat aux droits des femmes, à M. Belorgey (président de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale) qui acceptait de le soutenir et à une vingtaine de député-es dont Mme Roudy .

En1999, forte de cinq années d’application des lois qui avaient confirmé les critiques émises par l’AVFT lors du vote des lois en 1992 , l’AVFT organise au Palais du Luxembourg un colloque intitulé : « Harcèlement sexuel : améliorons les lois », au cours duquel nous présentons une nouvelle proposition de loi. Une partie de nos demandes seront prises en compte en 2002.

? Prise en compte du harcèlement sexuel par les institutions européennes, pour mémoire :

Octobre 1987 : rapport de M. Rubenstein : « La dignité des femmes dans le monde du travail : rapport sur le problème du harcèlement sexuel dans les Etats membres de la Communauté européenne ».
29 mai 1990 : résolution du Conseil concernant la protection de la dignité de la femme et de l’homme au travail.
27 novembre 1991 : recommandation de la Commission sur la protection de la dignité de la femme et de l’homme au travail.
1993 : Code de pratique : « Comment combattre le harcèlement sexuel ».
Aux termes de l’article 4 de la recommandation de 1991, les Etats membre devaient informer la Commission des mesures prises pour assurer sa mise en ?uvre. Le rapport d’évaluation « mettait clairement en lumière l’absence de progrès significatifs aux niveaux appropriés« .
La Commission, avant de proposer de nouvelles mesures législatives, a souhaité consulter les partenaires sociaux pensant que « (leur) action pourrait se présenter sous la forme d’une convention collective au niveau européen ».
L’échec de cette consultation a conduit la Commission à soumettre une proposition de directive modifiant la directive relative à l’égalité de traitement de 1976 afin d’y intégrer le harcèlement sexuel.

Adoption des lois françaises :

? En1992 deux lois sont adoptées. La première du 22 juillet porte sur les infractions aux droits des personnes parmi lesquelles est intégré à l’article 222-33 du Code pénal, le harcèlement sexuel. La seconde du 2 novembre, intitulée : « De l’abus de pouvoir sexuel dans les relations de travail » modifie le Code du travail et créé les articles L122-46 et s.

? En1998, la définition pénale est difficilement modifiée en raison de l’opposition notamment du Sénat.

? En 2002, la loi de modernisation sociale modifie en profondeur les dispositions applicables.

2. Où en sommes-nous ?

Les nouvelles dispositions légales relatives au harcèlement sexuel.
L’incidence de la création du délit de harcèlement moral

La loi dite de « modernisation sociale » (Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, Journal Officiel du 18 janvier 2002) a introduit des changements importants en matière de harcèlement sexuel et de harcèlement « moral » ou psychologique. Nous vous présentons ici les principales modifications.

Code pénal

La loi du 17 janvier 2002 modifie la définition pénale du harcèlement sexuel.

Auparavant l’article 222-33 était ainsi rédigé : « Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100.000 F d’amende« .

Désormais, le délit de harcèlement sexuel est ainsi défini par l’article 222-33 :
« Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

COMMENTAIRE :

Deux changements importants sont à souligner. La nouvelle définition du harcèlement sexuel est élargie puisque désormais le harcèlement sexuel peut prendre des formes diverses et il peut être le fait de collègues de travail voire de subordonnés.

? Dans l’ancienne définition, les manifestations du harcèlement sexuel étaient précisées. Il devait prendre les formes suivantes : « ordres, menaces, contraintes ou pressions graves« . L’exigence de caractériser ces modalités de harcèlement sexuel disparaît avec la loi du 17 janvier 02.
Demeure donc la nécessité de prouver un harcèlement (« le fait de harceler« ) et son but (« dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle« ).

Les débats parlementaires (inexistants sur ce point) ne sont pas revenus sur ce qui avait été admis lors du vote des lois en 1992 : contrairement à ce que l’étymologie du terme « harceler » signifie, un seul acte peut constituer un harcèlement sexuel. Ainsi en est-il par exemple lorsque l’obtention ou la conservation d’un travail dépendra de l’acceptation d’une proposition sexuelle.

Il revient à la personne harcelée de prouver que le harceleur agit ainsi « dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle« . La jurisprudence qui s’est développée sur la « notion de faveurs de nature sexuelle » non modifiée, reste valable.
Ainsi selon la Cour d’appel de Bordeaux, (Arrêt du 1er octobre 1997) : « La jurisprudence ne limite pas la notion de faveurs sexuelles au coït proprement dit, mais l’étend aux simples contacts physiques imposés et aux propos à connotation sexuelle dont l’objet est de provoquer la victime afin d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ou de l’injurier en raison du refus ». L’expression : « agissements de harcèlement » peut, selon la Cour d’appel de Paris, « englober (…) outre les contacts physiques imposés, les propos dont l’objet est de provoquer sexuellement le salarié pour qu’il soit enclin à accorder des faveurs de nature sexuelle. Peuvent également recevoir cette qualification, les dénigrements professionnels, voire sexuels, ainsi que menaces, invectives, et injures de toutes sortes proférées en cas de refus d’accorder des faveurs de nature sexuelle, notamment lorsque ces menaces, invectives, et injures ont elles – mêmes dans ce contexte une connotation sexuelle directe et indirecte ». (Cour d’appel de Paris, 18éme ch., 18 janvier 1996).

Le législateur a persisté dans son approche du harcèlement sexuel en ce qu’il adopte le point de vue de l’agresseur. Il revient en effet à la victime de prouver l’intention de l’agresseur (son désir d’obtenir des faveurs sexuelles). Il aurait été préférable d’adopter la définition de l’Union européenne qui, partant des faits et de la perception de la victime, prévoit que constitue un harcèlement sexuel : « un comportement non désiré, verbal, non verbal ou physique a connotation sexuelle, qui tente de porter atteinte a la dignité d’une personne, en créant une situation intimidante, hostile, dégradante, humiliante ou offensante« .

? La loi du 17 janvier 02 a supprimé la condition relative à l’abus d’autorité.
Auparavant la victime devait prouver que le harceleur était également le détenteur d’une autorité fonctionnelle dont il abusait. Cette autorité n’était pas réduite à la seule autorité hiérarchique directe mais s’étendait plus largement aux fonctions. Ainsi un délégué syndical pouvait abuser de son pouvoir en tant que délégué en conditionnant son soutien à l’obtention « de faveurs de nature sexuelle ».
Depuis la loi du 17 janvier 02, le harceleur peut être un collègue de travail, un subordonné, ou un supérieur quelque soit l’activité à l’occasion de laquelle il est exercé (travail salarié, relation médicale, au cours des études scolaires ou universitaires…). Le harceleur peut en outre, puisque le Code pénal ne fait plus référence aux fonctions, être un voisin ou un membre de la famille.

Code du travail

La loi du 17 janvier 2002 modifie les dispositions relatives au harcèlement sexuel dans le Code du travail.

1. Modification de la définition de la discrimination liée au harcèlement sexuel.

La loi du 2 nov.1992 qui avait introduit le harcèlement sexuel dans le Code du travail (article L 122-46 C. trav), le définissait ainsi : « Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel d’un employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers.
Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés.
Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit
« .

Modifié une première fois par la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 (relative à l’égalité professionnelle), puis par la loi du 17 janvier 02, le nouvel article L122-46 C. Trav dispose :
« Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers.
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés.
Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit
. »

COMMENTAIRE :

? Le législateur a modifié la définition du harcèlement sexuel, harmonisant ainsi partiellement les dispositions du Code pénal et du Code du travail. La définition du Code du travail demeure plus large puisqu’elle vise explicitement le harcèlement sexuel exercé au profit d’un tiers. Ce cas de figure, manifestation d’une volonté d’appropriation du corps des femmes, n’est pas rare. Une salariée pouvant être harcelée par son employeur afin qu’elle accepte des relations sexuelles avec un client important. Le Code pénal est imprécis sur ce point.

? La loi de 1992 ne visait que les salariés de l’entreprise, les nouvelles dispositions élargissent l’interdiction de harceler aux candidats (à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise). Une incertitude demeure pour les personnes qui ne sont pas salariées de l’entreprise, ou qui ne sont plus candidates (les stagiaires par exemple) ; elles ne sont protégées ni en tant que victime ni en tant que témoin.

? Ce nouvel article L122-46 reprend les dispositions du dernier alinéa (en conséquence supprimé) de l’ancien article L123-1 C. trav. L’article L123-1 C.trav dernier alinéa portait sur la discrimination liée au harcèlement sexuel. Des sanctions pénales prévues à l’article L152-1-1 C.trav, étaient attachées à la violation de cet article. Sans l’intervention de l’AVFT au cours des débats parlementaires, elles auraient été supprimées.
L’article L152-1-1 dispose : « Toute infraction aux dispositions des articles L. 122-46, L. 122-49 et L. 123-1 sera punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 25 000 F (1) ou de l’une de ces deux peines seulement.
Le tribunal pourra ordonner, aux frais de la personne condamnée, l’affichage du jugement dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’il désigne, sans que ces frais puissent excéder le maximum de l’amende encourue. »
(1) Amende applicable depuis le 1er mars 1994.
La responsabilité pénale de l’auteur d’une discrimination liée au harcèlement sexuel peut donc être engagée devant une juridiction pénale (le tribunal correctionnel).
Ainsi, un employeur qui licencie une salariée après qu’elle a dénoncé un harcèlement sexuel peut être poursuivi devant le Conseil de Prud’hommes pour licenciement nul sur le fondement de l’article L122-46. Il peut également être poursuivi devant le tribunal correctionnel pour discrimination liée au harcèlement sexuel (sur le fondement de l’article L152-1-1).

2. Modification des règles de preuve applicables devant les juridictions sociales, en matière de harcèlement sexuel.

Inséré par la loi du 17 janvier 2002, l’article L122-52 modifie les règles de preuve en cas de harcèlement sexuel (ou moral). Ainsi :
« En cas de litige relatif à l’application des articles L. 122-46 et L. 122-49, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

COMMENTAIRE :

Ce texte prolonge la loi adoptée le 6 novembre 01 relative à la lutte contre les discriminations. Il transpose la Directive communautaire du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe.

L’article L122-52 C. trav. aménage la charge de la preuve devant les juridictions sociales. Auparavant, la charge de la preuve du harcèlement sexuel reposait entièrement sur la plaignante. Grâce aux nouvelles dispositions, elle présentera des « éléments de fait », des indices qui sont pour elle révélateurs du harcèlement sexuel. Il reviendra alors à l’employeur de prouver « que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

3. Création d’une procédure de médiation au sein de l’entreprise.

La loi du 17 janvier 02 introduit en outre un article L122-54 qui créé une procédure de médiation en cas de harcèlement sexuel (ou moral).

Article L 122-54 : « Une procédure de médiation peut être engagée par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou sexuel. Le médiateur est choisi en dehors de l’entreprise sur une liste de personnalités désignées en fonction de leur autorité morale et de leur compétence dans la prévention du harcèlement moral ou sexuel. Les fonctions de médiateur sont incompatibles avec celles de conseiller prud’homal en activité.
Les listes de médiateurs sont dressées par le représentant de l’Etat dans le département après consultation et examen des propositions de candidatures des associations dont l’objet est la défense des victimes de harcèlement moral ou sexuel et des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national.
Le médiateur convoque les parties qui doivent comparaître en personne dans un délai d’un mois. En cas de défaut de comparution, il en fait le constat écrit qu’il adresse aux parties.
Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties, il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement.
En cas d’échec de la conciliation, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.
Les dispositions des articles L. 122-14-14 à L. 122-14-18 sont applicables au médiateur. L’obligation de discrétion prévue par l’article L. 122-14-18 est étendue à toute donnée relative à la santé des personnes dont le médiateur a connaissance dans l’exécution de sa mission.
 »

COMMENTAIRE :

Lors des débats parlementaires, l’AVFT s’était opposée à la mise en place d’une procédure de médiation en cas de harcèlement sexuel.
Introduite en 3ème lecture par un amendement de Mme Génisson, sans aucune concertation avec les associations, cette procédure de médiation en cas de harcèlement sexuel marque en effet une régression sur le plan des principes et un déni des violences imposées aux victimes de ce délit.

Le harcèlement sexuel est une violence, une agression qui crée un traumatisme, qui a des conséquences graves pour les victimes notamment sur un plan professionnel puisqu’elles sont souvent contraintes à la démission du fait de l’inaction de l’employeur ou purement et simplement licenciées.

Le harcèlement sexuel est un délit. Il appartient donc à l’employeur et à l’Etat, garant des droits des personnes, d’en sanctionner les violations et de mettre en place une politique de prévention de ces violences.

? La médiation présuppose une égalité entre les participant-es. Or, le harcèlement sexuel n’est pas un « conflit », un « litige » dans lequel chaque protagoniste aurait un pouvoir égal, porterait une part de responsabilité et qui pourrait se résoudre par une « solution amiable ». La médiation opposera un agresseur à une victime. L’agresseur a délibérément choisi de mépriser le refus exprimé par la victime de consentir à des « avances » sexuelles. Cette violation de la liberté de la victime doit être sanctionnée, afin de mettre fin à l’impunité et de permettre à la victime de retrouver sa qualité de sujet de droit bafouée par l’agression.

? La médiation repose sur une fiction, celle de la liberté des parties (ici de la victime) qui pourraient choisir d’y recourir. La réalité est autre : la personne victime est diminuée par le traumatisme de l’agression, elle est en outre dans une situation de contrainte notamment économique et de subordination du fait de son contrat de travail. Le risque est donc grand que ce « choix » ne soit imposé à la victime dans l’intérêt bien compris de l’agresseur et de l’entreprise qui n’ont pas intérêt à ce qu’une plainte formelle soit déposée.

? La médiation, telle qu’elle est organisée par la loi du 17 janvier 02, prévoit que le médiateur  » s’informe de l’état des relations entre les parties, il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement ». La responsabilité de l’employeur en matière de garantie des conditions de travail et de traitement des plaintes est occultée. Aucune garantie n’est prévue quant au déroulement des entretiens ou à leur suite: que se passe-t-il en cas de récidive ?, est-il possible de conserver des archives des comptes-rendus d’entretiens ?, selon quelles modalités ? existe-t-il une exigence de réparation ?.

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, l’AVFT refusera donc son inscription sur « les listes de personnalités désignées en fonction de leur autorité morale et de leur compétence dans la prévention du harcèlement moral ou sexuel« . En revanche, nous serons aux côtés des personnes victimes lors des médiations afin de les conseiller et de les aider à préserver leurs droits.

4. La responsabilité de l’employeur en matière de prévention des violences et de traitement des plaintes aurait pu être renforcée.

La loi du 2 novembre 1992 avait introduit dans le code du travail un article L122-48 selon lequel : « Il appartient au chef d’entreprise de prendre toute disposition nécessaire en vue de prévenir les actes (de harcèlement sexuel) ».

D’autres dispositions peuvent être utilisée ; il s’agit de l’article L230-2 C.trav. :
 » I. – Le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement, y compris les travailleurs temporaires. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
(…)
II. – Le chef d’établissement met en oeuvre les mesures prévues au I ci-dessus sur la base des principes généraux de prévention suivants :
a) Eviter les risques ;
b) Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
c) Combattre les risques à la source ;(…)
g) Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment en ce qui concerne les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 122-49 ;
h) Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
i) Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
III. – Sans préjudice des autres dispositions du présent code, le chef d’établissement doit, compte tenu de la nature des activités de l’établissement :
a) Evaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail ; à la suite de cette évaluation et en tant que de besoin, les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production mises en oeuvre par l’employeur doivent garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être intégrées dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement ;(…)
. »

COMMENTAIRE

95 % des femmes qui nous saisissent ont été licenciées ou contraintes à la démission.

Dans les procès que nous suivons les entreprises sont le plus souvent solidaires des agresseurs. Informées des violences sexuelles, elles préfèrent soit ignorer la plainte (« c’est un problème privé ») soit considérer leur intérêt économique à court terme, sans prendre en compte l’impact global de ces violences à moyen terme.

A notre connaissance, très peu d’entreprises ont mis en place des politiques de prévention et de traitement des plaintes. C’est la raison pour laquelle nous avions demandé (sans succès) lors du vote de la loi du 9 mai 2001 sur l’égalité professionnelle, que la prévention du harcèlement sexuel fasse partie des thèmes de négociation collective obligatoire.

La possibilité de mettre en cause la responsabilité civile ou pénale des employeurs passifs ou complices est un des moyens nécessaires pour les contraindre à agir. Les textes sont à cet égard insuffisamment contraignants.

Incidences des nouvelles dispositions relatives au harcèlement moral

La loi du 17 janvier 02 a créé le nouveau délit de harcèlement moral ainsi défini par l’article 222-33-2 du Code pénal:
« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

Cet article permet aux personnes victimes de harcèlement moral de le nommer et de le dénoncer, ce qui est un progrès. Néanmoins, à aucun moment la question de l’articulation entre harcèlement moral et harcèlement sexuel n’a été posée.
Or, on peut redouter que le délit de harcèlement moral conduise à la disparition de celui de harcèlement sexuel.

En effet, le harcèlement moral est plus largement défini que le harcèlement sexuel. Ainsi, l’intentionnalité du harceleur n’a pas à être prouvée contrairement au délit de harcèlement sexuel où il faut prouver que le harceleur a pour but « l’obtention de faveurs de nature sexuelle« . En outre, les délits sont réprimés des mêmes peines.

Le harcèlement moral permet d’occulter la nature sexuelle et sexiste des violences exercées contre les femmes. Or, le harcèlement sexuel était utilisé par les professionnels du droit (magistrat-es et avocat-es) pour déqualifier le crime de viol ou le délit d’agression sexuelle en délit de harcèlement sexuel moins sévèrement puni ; avec la nouvelle incrimination, c’est un viol qui pourra demain être qualifié de harcèlement moral.

Au-delà d’acquis ponctuels, la loi du 17 janvier 02, marque donc une régression.

La proposition de loi rédigée par l’AVFT en 1999 reste à bien des égards d’actualité…

AVFT, 18 juin 02
C. Le Magueresse

Bibliographie sélective

Ouvrages et revues :
AVFT, « De l’abus de pouvoir sexuel », La découverte – Boréal, 1990.
AVFT, « Cette violence dont nous ne voulons plus », 12 numéros
AVFT, « Projets féministes », 5 numéros
AVFT, « La lettre de l’AVFT », 11 numéros
AVFT, Vademecum (à paraître en 2001)
Cromer, Sylvie,  » Le harcèlement sexuel en France, la levée d’un tabou, 1985 – 1990″, La Documentation Française, 1995
Louis, Marie – Victoire, « Le droit de cuissage, 1860-1930 », Editions de l’Atelier, 1994
Mac Kinnon, Catharine, « Sexual harassment of working women. A case of sex discrimination », Yale University Press, 1979

Articles :
AVFT, Beneytout Mireille, Cromer Sylvie, Jacob Thérèse, Louis Marie-Victoire, « Harcèlement sexuel : une réforme restrictive qui n’est pas sans danger », Semaine Sociale Lamy, 1992, n°599
Louis, Marie-Victoire, « Harcèlement sexuel et domination masculine », in Christine Bard, « Un siècle d’antiféminisme », Editions Fayard, p.401.
Miné Michel et Saramito Francis, « Le harcèlement sexuel », Droit Ouvrier, février 1997
Pralus-Dupuy Joëlle, « Le harcèlement sexuel. Commentaire de l’article 222-33 du nouveau Code pénal et de la loi du 2 novembre 1992 », Actualité législative Dalloz n°6, 1993
Roy-Loustaunau Claude, « Le droit du harcèlement sexuel : un puzzle législatif et des choix novateurs », Droit social, juin 1995, p. 545

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