Tribunal correctionnel de Meaux, 18 janvier 2008

Mme J. nous saisit en octobre 2006, pour deux types de violences :

 Ce qu’elle nomme des «relations sexuelles avec son patron» gérant d’un restaurant appartenant à une chaîne en Seine-et-Marne. Il s’agit de notre point de vue de viols puisque commis sous la contrainte morale et économique.

 Des violences volontaires commises par un collègue, lui-même sur les ordres, explicites ou implicites, du gérant. Mme J. a eu un bras cassé (2 opérations sous anesthésie générale), 45 jours d’interruption totale de travail (ITT) et 60 jours d’arrêt de travail.

Mme J., quand elle nous saisit, a déjà déposé une plainte. Dans cette plainte, elle évoque le «harcèlement sexuel» du gérant (qui met en place des représailles quand elle refuse d’avoir des «relations sexuelles» avec lui) et les coups portés par le collègue lui ayant cassé un bras. Elle n’ose pas parler des viols à la policière.

Lors de l’enquête préliminaire, le collègue contre qui elle a porté plainte montre à la policière qu’il a une cicatrice de 1 cm sur le cuir chevelu et affirme que c’est Mme J. qui en est à l’origine.

Le procureur de la République de Meaux s’abstient de poursuivre le gérant du restaurant a minima pour harcèlement sexuel et décide de renvoyer l’affaire pour «violences volontaires réciproques» : Mme J. et son collègue-agresseur, M. M., sont donc, à l’audience, à la fois prévenus et parties civiles. Mis à égalité.

Le procès, initialement programmé le 30 août 2007, est renvoyé au 18 janvier 2008. Le président fait ainsi droit à la demande de la partie adverse qui, au vu des conclusions de l’avocate de Mme J. et celles de l’AVFT, souhaite faire citer des témoins. Le président ajoute : «En plus, il y a une grosse affaire financière qui est prioritaire».

Le 18 janvier 2008, le Tribunal est composé d’un très jeune juge unique. La procureure quant à elle nous confiera à la suspension d’audience avoir 27 ans et être tout juste sortie de l’école.

Avant que nous soyons appelées, deux autres «affaires» sont jugées : une jeune femme, enceinte, poursuit son compagnon pour des violences. Sa s?ur, manifestement très alcoolisée, l’accompagne et hurle dans le tribunal : «tu vas voir ta gueule si tu l’approches».
Plus inhabituel, un homme poursuit son épouse (vietnamienne et qui ne parle pas du tout le français ; une traductrice fait le lien) pour «violences conjugales». Mais à la barre, il dit que «tout est rentré dans l’ordre» et s’excuse d’avoir déposé une plainte contre son épouse, qu’il l’aime…

Nous sommes appelées.
Un ex-collègue de Mme J. témoigne en faveur de l’agresseur. Le président soulève : «c’est étrange, votre version est au mot près celle de M. M…. C’est formidable !». Le président lui demande de parler de l’ambiance qui régnait dans le restaurant et il répond : «on était comme une petite famille».
Après les plaidoiries, la procureure requiert : «Comme nous n’avons aucune certitude dans cette affaire, sur qui a commencé, si les violences étaient volontaires ou pas… je requiers la condamnation des deux parties à la même peine, un Travail d’Intérêt Général». Ainsi, le parquet de Meaux, dans le doute, requiert-il une condamnation …

Lorsque le président demande si nous souhaitons «rajouter quelque chose», Mme J. se tourne vers celui qui lui a cassé un bras : «quoi qu’il se passe, je sais qu’au fond de toi, tu sais ce qu’il s’est passé, tu sais que tu m’as cassé le bras».

Le juge délibère pendant la suspension d’audience. Les deux parties sont relaxées et les parties civiles sont déboutées de leurs demandes… «Le tribunal ne sait pas ce qu’il s’est passé le 3 août 2006 et dans le doute, nous devons relaxer».

Mme J. est abasourdie par cette décision : «Si on avait cassé une patte à un chien, ça aurait été pareil».

Marilyn Baldeck

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