Tribunal correctionnel de Paris, 18 décembre 2008

18 décembre 2008, Tribunal correctionnel de Paris, le ministère public / Y. L.

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Mme R. saisit l’AVFT en juin 2007. Elle dénonce des injures, une agression physique et une tentative de meurtre commises par son employeur, un avocat d’affaires parisien chez qui elle est «gouvernante». Elle nous informe en outre qu’elle est en situation irrégulière et que par conséquent, elle n’a pas été déclarée lors de son embauche en octobre 2005.
Ses fonctions chez Y. L. ont consisté à entretenir un appartement de 210 m2, répondre au téléphone, assurer la préparation et le service des repas, la gestion de la garde-robe et des courses.
En janvier 2006, Y. L. exige qu’elle travaille environ 60 heures par semaine sans changement de rémunération. Il devient injurieux et colérique. En septembre 2006, Mme R. annonce à son employeur son état de grossesse, ce qui entraîne une nouvelle dégradation de ses conditions de travail. Elle est alors soumise à de multiples pressions, notamment d’ordre professionnel qui se traduisent par des appels téléphoniques intempestifs tard le soir ou dès 4 heures du matin pour lui ordonner d’être à son poste à 6 heures.
Il exerce des pressions pour qu’elle avorte ou abandonne son enfant après avoir accouché.
Les deux mois de repos qu’elle prend en guise de congé maternité ne lui sont pas rémunérés.

Le 30 mai 2007, Mme R. est victime d’une agression physique et d’une tentative de meurtre de la part de Y. L. dans les circonstances suivantes :

La secrétaire de Y. L. transmet ce jour aux environs de 15/16 heures par téléphone à Mme R., l’ordre de celle-ci de lui préparer «un beau costume» en vue d’un rendez-vous à l’Elysée à 18 heures et de le lui faire porter à l’aéroport par son chauffeur. Mme R. s’exécute.

Sur le trajet de retour de son lieu de travail à son domicile, Mme R. reçoit sur son portable un appel injurieux de Y. L. :
«Espèce de conne, tu t’es trompée de costume, je suis en retard à cause de toi, je t’interdis de quitter l’appartement avant mon retour de l’Elysée».

A 20h30, Y. L. rappelle Mme R. à son domicile et la menace de la dénoncer à la police :
«Je te donne une demi-heure pour venir chez moi, sinon je t’envoie les flics pour te renvoyer aux frontières».

Prise de panique, Mme R. cède aux menaces et se rend en taxi chez lui. Mme R. est alors déterminée à mettre un terme définitif aux relations de travail en raison des agissements de Y. L. Son mari l’accompagne, mais il l’attend en bas près de l’ascenseur avec leur bébé.

Mme R. monte seule dans l’appartement où elle croise au bout du couloir Y. L. lequel la menace de mort en criant : «Je te tue, je te tue, je te massacre ce soir».

Dans un accès d’extrême violence, Y.L. la gifle en indiquant «j’ai tous les droits, je suis ton patron». Elle tente de s’enfuir, mais il la gifle de nouveau, lui tire les cheveux, tente de lui brûler l’?il avec sa cigarette qu’il tient allumée dans sa main, obligeant Mme R. à détourner la tête. Il la pousse, saisit un pied de chaise cassée et lui assène des coups sur la tête en criant : «Je te tue, je te tue».

Mme R. essaie à nouveau de s’enfuir, mais Y. L. l’attrape, la fait tomber par terre, la traîne par les cheveux, puis il s’assied sur elle, pose le pied de chaise sur son cou et essaie de l’étrangler sans cesser de crier : «Je te tue, je te tue, je te tue».

Mme R., se voyant sur le point d’être assassinée, a un sursaut de vie : «j’ai pensé à ma fille». Elle réussit alors à repousser Y. L. de toutes ses forces et à se dégager. Elle tente ensuite de s’échapper de l’appartement tout en criant «au secours».

Un voisin de palier, le mari de la gardienne et Y. R., alertés par ses cris, se portent à son secours. Les policiers arrivent également, constatent que les lieux de l’agression sont maculés de sang, mais s’agissant du domicile d’un avocat, ils n’ont pas le droit de le perquisitionner sans l’autorisation du procureur de la République.

Les sapeurs-pompiers appelés sur les lieux transportent Mme R. à l’hôpital Bichat. Elle porte ensuite plainte au commissariat de police de VIIIème arrondissement de Paris pour les faits décrits ci-dessus.

De nombreuses blessures sont constatées. Les agissements de Y. L. ont eu de graves conséquences sur la santé de Mme R. Une expertise médico-légale de Mme R. réalisée en cours d’instruction a conclu à une ITT (interruption totale de travail) de 21 jours, ce qui atteste de l’extrême violence de l’agression dont elle a été victime.

Le 31 octobre 2007, l’AVFT se constitue partie civile auprès de Mme R. et demande l’extension de l’information à l’infraction de tentative de meurtre, alors qu’elle n’est ouverte que pour des violences volontaires (ainsi que pour consommation de stupéfiants et travail illégal).

A l’approche de l’audience, alors que Mme R. avait clairement exprimé le souhait que Y. L. soit poursuivi, l’AVFT ne parvient plus à entrer en contact avec elle. Nous l’appelons à de nombreuses reprises, lui écrivons, dont une lettre en recommandé.

Elle finit par nous rappeler le 24 novembre 2008, à deux semaines de l’audience et s’étonne que nous cherchions tant à la contacter alors que selon elle, «le procès est annulé».
Nous finissons par apprendre que son avocate l’a convaincue de se désister de sa constitution de partie civile en échange d’une indemnité de 30 000 euros versée par Y. L. Laquelle avocate lui aurait aussi dit que par conséquent, le procès n’aurait pas lieu, que sa plainte était «classée sans suite».
Lorsque nous l’informons qu’une fois les poursuites engagées par le parquet, elles sont maintenues même si la victime se désiste, Mme R. semble bouleversée et désireuse d’être présente. Elle paraît ravie que l’AVFT, elle, maintienne sa constitution de partie civile et qu’à travers elle, sa voix soit entendue. Nous lui indiquons qu’a minima, elle pourrait être entendue en tant que témoin. Elle s’engage à nous rappeler pour nous donner sa décision… ce qu’elle ne fera pas.

Le jour de l’audience, nous apprenons que l’avocate de Mme R. a adressé une lettre au Tribunal annonçant son désistement de la procédure, et le souhait de sa cliente que l’AVFT n’intervienne pas non plus.
La constitution de partie civile des associations nécessitant l’autorisation de la victime, la constitution de partie civile de l’AVFT est par conséquent déclarée irrecevable.

A l’heure où nous rédigeons ce texte, nous n’avons pas pu éclaircir ce point et questionner le consentement de Mme R. à refuser l’intervention de l’AVFT. Nous pouvons en effet sérieusement douter que Mme R. (qui ne sait ni lire ni écrire et n’a donc pas pu « valider » la lettre de son avocate) ait compris que cette lettre entraînerait l’irrecevabilité de l’AVFT à l’audience.

Au cours de l’instruction à l’audience, Y. L. est questionné par le président qui à aucun moment ne lâche la pression et cherche à mettre en lumière ses contradictions, notamment entre ses déclarations à l’audience et les réponses fournies au juge d’instruction. Il ne laisse aucun point en suspens et ne se satisfait d’aucune explication floue ou ambiguë. Il ponctue ses interventions de «pfff, M. L., je me vois encore obligé de vous contredire».

Le président reprend point par point les résultats de l’enquête et les éléments contenus dans les rapports de police, notamment le fait que Y. L. a tenté de dissuader la police d’enquêter en affirmant que Nicolas Sarkozy allait bientôt «le nommer secrétaire d’Etat».

Y. L. se défend d’avoir pu agresser Mme R. en raison de leur différence de morphologie, qui serait à son désavantage : «elle faisait 80 kilos, elle était beaucoup plus costaud que moi !». Encore une fois, le président ne le laisse pas mentir : «Ce ne sont pourtant pas les constatations du médecin légiste qui mentionne qu’elle pesait 64 kilos».

Sur sa consommation de cocaïne, Y. L. tente de se justifier en disant qu’il «souffrait le martyr» à cause d’une sciatique aigüe depuis 3 ans. La procureure, qui ne se départira pas au cours de l’audience d’une ironie mordante, ne le laisse pas non plus persévérer dans cette explication : «Vu votre état de souffrance, quasi-défaillant, vous n’aviez pas envisagé d’annuler votre sortie à l’Elysée ? … dans une réception, on est débout. Pour de tels enjeux, vous êtes vaillant… Par contre, vous vous décrivez comme quasi-défaillant devant Mme R.». «Et puis que je sache, la cocaine n’a jamais calmé la douleur, c’est plutôt un excitant».

Lorsqu’il est questionné sur l’identité de son dealer, Y. L. répond que c’est un diplomate. Le président : «Ca tombe bien, hein ? On ne peut pas le poursuivre» (en raison de l’immunité diplomatique).

Y. L. répond, dans un éclair de lucidité : «On me fait passer pour l’avocat drogué qui s’en prend à sa gouvernante non déclarée».

A propos de l’agression proprement dite, Y. L. conteste avoir utilisé un barreau de chaise au motif que «champion de fleuret», il se serait plutôt servi de sa canne. Le président lui rétorque : «Il se trouve que je fais aussi de l’escrime, si on voulait vraiment comparer, avec Mme R., ce n’est pas du fleuret que vous avez fait, mais plutôt du sabre».
Y. L. décrète qu’il avait «des hématomes énormes», qu’il était «perclus de bleus», et assène : «dussé-je encourir ce que je dois encourir, c’est la stricte vérité !».

Dans ses réquisitions, la procureure récapitule les faits de manière sévère à l’égard de Y. L. A son tour, elle conteste toutes ses «explications» et se moque de sa défense : «Vous dites que c’est Mme R. qui vous a agressé… Elle a été particulièrement respectueuse de votre esthétique en épargnant votre visage, n’est-ce pas ?».
A propos du travail dissimulé : «Soit, c’est courant. Néanmoins, monsieur est avocat. Quand on exerce une profession judiciaire, on peut éventuellement avoir comme principe de respecter la loi, non ? Et puis quand on est un professionnel du droit, on sait que la cocaïne, c’est pas ?légal légal’. C’est même fondamentalement illégal, quelque part… Et quand on a l’habitude d’être servi, on est plus «contrariable», n’est-ce pas ? Mme R. qui n’est peut-être pas une championne de l’habillement a confondu smoking et costume de ville, ce qui a beaucoup contrarié monsieur».

Ses réquisitions sur la peine sont en revanche extrêmement décevantes : elle requiert 200 jours/amende (qui exclut l’inscription au casier judiciaire) au motif qu’ «une inscription au casier aurait des conséquences fâcheuses pour monsieur».
Dans sa plaidoirie, l’avocat de Y. L. joue d’une proximité extrêmement choquante avec la procureure à qui il se permet de lancer au cours d’un échange «mais je vous adore, vous le savez bien». Il insiste sur le fait que «la carrière de (s)on client est en jeu» et demande la dispense d’inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire.

Les réquisitions du parquet ne sont pas suivies mais Y. L. est condamné à une peine sans commune mesure avec la gravité des violences dont il est l’auteur : cinq mois d’emprisonnement assortis du sursis mise à l’épreuve pendant deux ans et d’une obligation de soins ainsi que 10 000 euros d’amende. Lors du prononcé du délibéré, Y. L. et son avocat semblent d’ailleurs très satisfaits, ils sourient et sortent de la salle d’audience avec l’air victorieux. Y. L. ne fera pas appel.

Dans le jugement, les juges ne se privent pas de rappeler le contexte de l’agression : Y. L. «avait ajouté qu’elle (Mme R.) lui avait gâché le moment le plus important de sa vie et qu’il avait été invité chez Monsieur Sarkozy». Aux policiers et aux pompiers, «il avait déclaré qu’il sortait d’un cocktail de l’Elysée et qu’il allait être secrétaire d’Etat ce qui avait motivé la venue de l’officier de permanence des pompiers». «Il (Y. L.) indiquait qu’il était arrivé à 17 heures 35 à Orly le 30 mai 2007 et qu’il était invité à 18 heures à la cérémonie de remerciements aux personnes ayant contribué à l’élection de Y. Sarkozy. Bien qu’il avait demandé à la gouvernante de lui faire parvenir son plus beau costume, celle-ci avait fait porter par le chauffeur un costume de ville avec une chemise de smoking. Il lui avait téléphoné pour lui faire part de son mécontentement car pour lui, cette réception était très importante pour son avenir».

Marilyn Baldeck

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