Cour d’appel de Montpellier, 10 février 2009

Le 7 mars 2008, le Tribunal correctionnel de Narbonne condamnait LW, serveur dans un restaurant à Narbonne et fils de l’employeur, pour harcèlement sexuel à l’encontre de Mme D, affectée à la plonge et à la préparation des plats du restaurant. L’AVFT, vers qui la victime avait été orientée par le syndicat CFDT, était partie civile dans cette procédure.

LW avait fait appel de sa condamnation. Mme D. et l’AVFT avaient fait appel incident .

La requalification des faits en agressions sexuelles, là où ils avaient été qualifiés de harcèlement sexuel en première instance, était l’enjeu principal de ce procès en appel. Les violences dénoncées par Mme D. consistaient en effet en des attouchements quasi-quotidiens sur les fesses pendant près de deux ans (2005-2007) ainsi qu’à deux reprises, et le même jour, des attouchements sur les seins.

Deux arrêts récents de la chambre criminelle de la Cour de cassation (30 janvier et 18 février 2008) rendaient cette demande d’autant plus recevable qu’ils autorisent la requalification au stade du jugement, tout en y posant des conditions garantissant les droits de la défense.

Les premiers juges avaient refusé à tort d’opérer la requalification en agressions sexuelles, au motif que, pour requalifier « à la hausse », c’est-à-dire vers un délit plus sévèrement réprimé que celui initialement retenu, il aurait fallu recourir à la procédure de « comparution volontaire » (article 388 du Code de procédure pénale). Autrement dit…demander l’autorisation de l’agresseur.

On peut s’interroger, dans cette « affaire », sur l’abdication de la justice devant un agresseur sur lequel elle voudrait faire reposer la juste qualification de faits établis par une enquête de police et par les pièces produites par la victime et l’AVFT.

Avant l’audience

Un mois et demi avant notre passage devant la Cour d’appel, nous avions contacté Mme D. pour nous entretenir avec elle de cette audience… dont elle ignorait la date, n’ayant pas reçu de convocation à son adresse personnelle, et n’ayant pas non plus été informée par son avocat.

Sept semaines avant l’audience, l’AVFT avait adressé un projet de conclusions à l’avocat de Mme D. à qui nous demandions s’il était en accord avec notre stratégie et notre analyse. Nous n’avions reçu aucune réponse de sa part en dépit de plusieurs relances.
Moins d’une semaine avant l’audience, la secrétaire de l’avocat de Mme D. avait réalisé que cette dernière, qui retravaille depuis le mois d’août 2008, n’avait plus droit à l’aide juridictionnelle (bien qu’elle ait des revenus modestes). Mme D. a donc appris, à quelques jours du procès, qu’elle ne serait représentée au procès qu’à la condition qu’elle paye immédiatement une partie des honoraires.

10 février 2009, le procès

A l’audience, la victime n’est pas présente, son actuel employeur, un prothésiste dentaire en Savoie, lui a refusé ce jour de congés en raison d’une activité accrue du laboratoire. Nous le regrettons, car les explications d’une victime le jour de l’audience peuvent être décisives.

C’est un collaborateur de l’avocat de Mme D. qui vient plaider. Il remet à Marilyn Baldeck, qui représente la constitution de partie civile de l’AVFT, une copie de ses conclusions, un exact copier/coller de celles que nous lui avions adressées quelques semaines plus tôt.
Au moins, les plaidoiries seront cohérentes…
Il n’a pas l’air de croire véritablement dans nos chances de réussite, insiste sur le fait que l’enquête a été bâclée (ce qui est, au demeurant, vrai, Mme D. n’ayant été entendue par la police que 10 minutes en tout et pour tout), que les preuves ne sont pas très solides, qu’en plus, la partie adverse cite un témoin qui, Ô surprise, va dire que tout est faux…
Pourtant, les preuves sont bien présentes, et a priori le témoin en question n’apportera rien à LW, dans la mesure où il a déjà été entendu par la police à qui il a -entre autre – déclaré qu’il avait entendu Mme D. crier à LW « d’arrêter de l’embêter ».
Pendant que d’autres « affaires » sont entendues, Marilyn Baldeck passe en revue avec lui les points forts du dossier.

L’avocat de la partie adverse, qui n’est pas le même qu’en première instance, n’a pas remis de conclusions écrites. Nous ignorons donc quels sont ses moyens de défense.

La Cour, qui siège dans une salle en pierre de taille ornée d’allégories de la justice, est composée d’un président et de deux assesseuses (terme que le correcteur orthographique souligne en rouge, signalant un crime de lèse-langage-patriarcal). L’avocat général est une avocate générale et le greffier une greffière.
Une auditrice de justice est également présente.

Quatre affaires sont appelées avant nous (coups et blessures volontaires, infraction au Code la route, faux et usage de faux…). Les avocats venant d’autres barreaux passent en premier, puis les avocats les plus âgés suivis des plus jeunes.

Mme F., une autre victime auprès de qui l’AVFT intervient dans la région Languedoc-Roussillon, avait confirmé sa présence à l’audience dans le public. Nous essayons en effet de faire venir des victimes aux procès pour les préparer au leur. Mais Mme F. n’est pas là. Nous apprendrons plus tard que l’entrée du palais de justice lui a été interdite au motif qu’elle n’aurait pas de convocation, au mépris du principe de publicité des débats selon lequel tout-e citoyen-ne peut assister aux audiences publiques.

Les débats sont troublés à plusieurs reprises par des manifestants qui défilent bruyamment dans la rue qui longe le palais de justice.

Nous sommes appelés.

Le président fait un rapport succinct mais précis de la procédure.

LW est appelé à la barre pour qu’il donne les raisons pour lesquelles il a interjeté appel. Il répond : « C’est parce que j’ai rien fait ». Comme en première instance, il est plutôt taiseux et ne répond que par le strict minimum aux questions qui lui sont posées. Le président lui demande aussi pourquoi Mme D. a été licenciée. Réponse : « C’est parce qu’elle n’est plus venue ». Le président s’abstient de lui demander pourquoi « elle n’est plus venue ». LW précise que le restaurant a été vendu, qu’il travaille désormais comme saisonnier, toujours dans la restauration et qu’il est maintenant marié avec une femme sénégalaise.
L’avocat de Mme D. lui pose également des questions :

« Vous dites que Mme D. n’a pas supporté vos « taquineries » ». Qu’entendez-vous par « taquineries » ?

« … Heu, des plaisanteries, quoi ».

« Et à votre avis, si vous n’avez jamais agressé Mme D., pourquoi a-t-elle déposé une plainte contre vous ? »

« Heu… elle était jalouse ».

« Pourquoi est-ce que ça a dégénéré ? »

« … Heu.. je sais pas ».

La procureure : « Je n’ai pas compris cette histoire de jalousie, pouvez-vous m’expliquer ? ». LW bredouille quelque chose d’incompréhensible qui oblige son avocat à prendre la parole : « Pour mon client, Mme D. était jalouse qu’il se soit marié avec une Sénégalaise, alors que, Sénégalaise également, elle n’avait pas les moyens de retourner dans son pays ».

Une assesseuse lui demande quelles fonctions il occupait dans le restaurant. Il répond qu’il était serveur et qu’il remplaçait parfois son père à la direction quand celui-ci était absent. Il contredit ainsi ce qu’il essaie de nous faire croire depuis le début de la procédure, à savoir que, tout fils de l’employeur qu’il était, il n’avait aucun pouvoir particulier au sein du restaurant.

Le témoin cité par LW est appelé. Il prête serment (« je jure de dire toute la vérité, rien que la vérité »).
Le président l’invite à apporter son témoignage.
Silence.
L’avocat de LW lui dit : « Ca veut dire que vous devez expliquer ce que vous savez ».

« Heu… ils ont chahuté tous les deux ».
Le témoin n’étant pas non plus disert, le président lui pose des questions :

« A votre avis, pourquoi Mme D. a-t-elle déposé plainte ? »

« Je ne sais pas, je n’ai pas compris pourquoi »

« LW avait-il des gestes déplacés à l’encontre de Mme D. ? »

« Non. Il y avait toujours une bonne ambiance au restaurant. Mme D. faisait des histoires ».
Une assesseuse : « qu’entendez-vous par chahuter ? »

« Ben je ne sais pas… je ne m’en souviens plus. Ils sortaient des conneries, quoi. C’était que de la rigolade ».

Question de l’avocat de Mme D. : « Vous avez déclaré à la police que Mme D. criait à LW d’arrêter de l’embêter. Pourquoi criait-elle ? ».

« Je ne sais pas. Elle est devenue méchante gratuitement ».

C’est au tour de la plaidoirie de l’avocat de Mme D., conforme à nos conclusions, en particulier pour ce qui concerne la demande de requalification. A propos du rôle de l’AVFT, il souligne uniquement « l’aide psychologique apportée à Mme D. ». Les avocats -en tout cas ceux avec qui nous ne travaillons pas régulièrement- ont une lourde tendance à cantonner l’AVFT dans un rôle de « béquille psychologique » pour les victimes, bien loin de son action réelle. Mais venant d’un avocat qui sait pertinemment que le récit précis des faits, l’analyse et les recherches juridiques sur lesquelles il se fonde proviennent entièrement du travail de l’AVFT, c’est un peu culotté.

C’est au tour de l’AVFT :

Présentation du rôle, le vrai, de l’AVFT, description de l’intervention auprès des victimes, de ses autres missions. Quelques chiffres provenant de nos propres statistiques et de l’enquête INSEE de février 2008 sur les violences faites aux femmes.

Mise en exergue, à défaut de témoignages directs quasiment inexistants en matière de violences sexuelles, d’un faisceau d’indices concordants : la cohérence de la parole de la victime, les certificats médicaux, la constance des démarches entreprises par Mme D. (saisir un syndicat, une association, déposer une plainte), les déclarations du prévenu qui ne nie pas les attouchements sexuels mais les qualifie d’ « amusements » et les a expliqués en 1ère instance par « la pression en cuisine et le besoin d’évacuer », le témoignage d’une serveuse qui indique avoir vu Mme D. se battre avec LW, « alors qu’elle disait qu’il lui avait touché les seins », dans une spontanéité qui exclut l’invention des faits a posteriori invoquée par LW.

La preuve réside aussi dans l’absence d’intérêt à affabuler de Mme D., car dénoncer LW entraînait automatiquement la perte de son travail. Travail qu’elle a effectivement perdu, ainsi que, par conséquent, la possibilité de payer l’inscription de son école de perfectionnement en prothèses dentaires.
L’intervention de l’AVFT a également consisté à déconstruire les « arguments » avancés par LW (en réalité, son avocat), en première instance :

Mme D. aurait été instrumentalisée par l’AVFT qui l’a incitée à déposer une plainte ? Stéréotypes sur les victimes et les associations qui les défendent. En outre, l’AVFT a été saisie par Mme D. après qu’elle a déposé une plainte. Et quand bien même Mme D. aurait porté plainte sur les conseils de l’AVFT, l’association aurait joué son rôle d’accès aux droits des victimes.

Mme D. aurait déposé une plainte pour harcèlement sexuel parce que « c’est la mode » ? Encore un discours anti-victimes. Et avec 50 condamnations par an, c’est une mode très confidentielle.

Mme D. aurait déposé une plainte mue par l’esprit de vengeance, parce qu’elle était jalouse de ne pas avoir été choisie par LW ? Mme D. a, au contraire, été dans une certaine mesure soulagée d’apprendre que LW avait « trouvé une autre Sénégalaise ». Elle pensait qu’il allait la « laisser tranquille ».

La porte-parole de l’AVFT dénonce une tendance lourde des parquets qui consiste à renvoyer devant le Tribunal correctionnel pour harcèlement sexuel des faits d’agressions sexuelles, dès lors que ces agressions sont commises dans des relations de travail, ceci ayant notamment pour conséquence de banaliser les faits de harcèlement sexuel stricto sensu, quasi-systématiquement classés sans suite. Des agressions sexuelles (5 ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende) sont ainsi réduits au rang d’éléments constitutifs de l’infraction du harcèlement sexuel (un an d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende), au mépris de toute logique juridique.
L’AVFT se fait l’écho de la demande de requalification en agressions sexuelles formulée par l’avocat de Mme D., la partie adverse ayant largement eu le temps de se défendre sur cette nouvelle qualification (transmission à l’avance des conclusions de l’AVFT) et les faits d’agressions sexuelles étant à la fois mentionnés dans la prévention et dans le dossier pénal.

L’AVFT demande enfin l’indemnisation de son préjudice moral, son objet social ayant été atteint par les violences commises par LW à l’encontre de Mme D., ceci nous imposant d’agir pour qu’elle soit rétablie dans ses droits.

La procureure se lève : « Les faits sont établis. Mme D. n’avait aucun intérêt à dénoncer des faits faux. Je requiers la confirmation ». Elle ne commente donc pas du tout notre demande de requalification et ne répond pas aux critiques de l’AVFT sur « l’erreur » de qualification opérée par le parquet. Elle aura été plus que laconique dans ses réquisitions de l’après-midi.

L’avocat de LW plaide à peine quelques minutes : « J’ai entendu beaucoup de statistiques, beaucoup de chiffres, c’est beau tout ça, mais aucune preuve ». « J’ai vraiment lu n’importe quoi dans les conclusions adverses ». « Je demande la relaxe parce que Madame ( !)… heu…Monsieur, n’a rien fait ».

Délibéré le 10 mars.

A la sortie de la salle d’audience, après le départ de son client, l’avocat de LW se dirige vers l’avocat de Mme D. et Marilyn Baldeck et lance ironiquement : « Oui c’était bien des mains aux fesses, mais c’était juste pour rire ! ». Puis à l’attention de Marilyn Baldeck : « de toute façon vous le savez, un avocat ne défend pas un client parce qu’il le croit ». En repartant il demande à l’avocat de Mme D. ; « Tu me retrouves en bas ? On rentre ensemble à Narbonne ? ».

Marilyn Baldeck

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