En 2006, Mme C. sort diplômée de sa formation de coiffeuse à Tours et comme elle ne trouve pas de travail sur place, elle décide de venir à Paris acquérir de l’expérience.
Elle est recrutée dans un salon Jean-Claude Biguine et dès le premier jour, son employeur M. B. la terrorise pour par la suite, le deuxième jour, la convoquer dans son bureau, fermer la porte et lui imposer le harcèlement sexuel suivant :
« vous avez de beaux yeux quand vous pleurez »
« vous êtes jolie »
« êtes-vous sensible à mes charmes ?»
« est-ce que votre fille est de votre mari ? »
« êtes-vous fidèle à votre mari ? »
« quelles positions prenez-vous avec votre mari, est-ce que vous baisez bien ? »
« avez-vous un autre homme, vous savez çà ne se voit pas quand on met un préservatif, on peut essayer »
« il faut saisir toutes les opportunités pour évoluer dans le métier ».
A partir de ce moment, il lui touche les fesses à chaque fois qu’il passe derrière elle et il la suit dans le métro lorsqu’elle rentre chez elle.
Le 3e jour, elle en parle à son mari, mais celui-ci lui demande de ne rien dire et de rester travailler dans ce salon car il est au chômage et il lui dit : « nous avons besoin d’argent »
Le 5e jour passé au salon de coiffure, M.B. double son comportement sexuel de reproches injustifiés et violents sur sa façon de travailler. Il l’humilie devant les clients en prétextant, notamment, qu’elle ne sait pas couper les cheveux alors qu’elle est en train de s’occuper d’une cliente. Ces critiques contribuent à la fragiliser car elles ne lui permettent pas de créer une relation de confiance avec les personnes qu’elle coiffe.
A bout, elle décide de ne pas continuer à travailler dans ce salon et dépose une plainte le jour même.
Sa plainte est classée sans suite peu de temps après.
Deux ans plus tard, en novembre 2008, Mme C. est contactée par un officier de police qui lui annonce que, suite à des dénonciations ultérieures d’autres salariées ayant travaillé dans le même salon, M. B. est poursuivi en justice et qu’elle peut également se constituer partie civile, ce qu’elle fait.
C’est à ce stade, qu’elle saisit l’AVFT qui organise un rendez-vous en urgence à Tours afin de la rencontrer et de pouvoir être partie civile à ses côtés le jour de l’audience.
Le jour de l’audience
La présidente procède à la lecture du rappel des faits tels qu’ils apparaissent dans le dossier pénal. Elle indique d’ors et déjà qu’il existe plusieurs salariées ayant relaté des faits de harcèlement sexuel perpétrés par M. B. : « même si seulement deux salariées ont porté plainte et une seule est présente aujourd’hui cela ne veut pas dire qu’elles soient les seules à se plaindre du comportement de M.B., loin de là… ».
Elle relève également l’important « turn-over » de coiffeuses au sein de ce salon (15 salariées en un an).
Par ailleurs, l’inspection du Travail est venue enquêter sur place et les auditions des autres salariés attestent de l’existence de harcèlement moral sur l’ensemble du personnel, infraction pour laquelle M. B. n’est pas poursuivi.
La présidente rappelle que lors de cette enquête, M.B. a agressé physiquement l’inspecteur du Travail et qu’il a été condamné pour cette infraction par le Tribunal correctionnel.
L’interrogatoire de M.B
La présidente lui dit : « je vais vous demander de vous expliquer sur ce que je viens de rapporter, M.B. ».
M.B. se positionne d’emblée sur le terrain de la séduction en affirmant : « je l’ai invitée à boire un verre, je lui ai déclaré ma flamme » « elle me plaisait » et il rajoute : « de toute façon, ça n’est pas du harcèlement, il n’y a pas eu de répétition, ni de violence » ignorant d’une part, que le délit de harcèlement sexuel est constitué même s’il n’y a pas eu répétition et d’autre part que la violence n’est pas un élément constitutif du délit.
Il appuie son propos en disant : « j’ai eu un flash, elle m’a dit non et ça s’est arrêté », « le reste c’est de la maladresse ».
La juge assesseuse, manifestement dubitative, intervient en ces termes : « il y a d’autres coiffeuses qui se sont plaintes de ce comportement… », « de plus il y avait une ambiance délétère dans ce salon, vous teniez des propos de petit chef, directs et méprisants ».
M.B. : « les autres victimes mentent » , « par contre c’est vrai que je suis quelqu’un d’autoritaire, je suis responsable c’est normal ».
M.B. nie avoir tenu des propos humiliants et vexants.
La présidente cite à nouveau le procès-verbal dressé par l’Inspection du travail à l’appui de sa remarque : « ce n’est pas moi qui le dit, M.B., c’est l’inspection du travail ».
L’audition de Mme C.
Mme C. se lève, elle est en pleurs.
La Présidente semble tout à la fois choquée, étonnée et touchée par son attitude, elle lui demande gentiment : « avez-vous quelque chose à rajouter ? ».
Mme C. reprend son souffle et raconte son histoire avec des tressautements dans la voix : « ça a changé ma vie… ».
Elle relate, en pleurs, le harcèlement sexuel qu’elle a vécu et rajoute : « il me réprimandait pendant une demi-heure dans son bureau à la fermeture, j’avais trop peur qu’il me viole », « il changeait de ton, il devenait subitement attentionné quand je me mettais à pleurer ».
La présidente : « vous mentionnez des éléments non présents dans les déclarations initiales », « vous relatez des choses beaucoup plus grave, peut-être que ce sont des choses qui remontent à présent… ? ».
Mme C. : « ça s’est passé comme je l’ai dit, il m’a suivi dans le métro » , « il m’a touché les fesses…c’était trop dur de le dire », « j’ai tellement peur des hommes maintenant ».
Elle rajoute : « ça m’a détruite, je n’arrive pas à m’en remettre, je ne sais pas comment faire pour m’en remettre, reconstruire ma vie », « je ne veux pas que cela arrive aux autres ».
La présidente : « cela fait deux ans et demi maintenant, vous êtes repartie à St Pierre des Corps. Vous avez réussi à travailler dans un salon de coiffure ? ».
Mme C. : « non, je ne suis plus à St Pierre des Corps, avec mon mari, j’ai plus rien, on a divorcé ». Elle pleure et répond à la seconde question posée par la présidente en ces termes : « j’ai perdu confiance en moi, en mes capacités de coiffeuse », « de toute façon je n’arrive plus à entrer dans un salon de coiffure, je me coiffe toute seule ».
Mme C. reprend son souffle et dit : « depuis, je fais de l’intérim, en ce moment je fais les vendanges ».
Après un long silence, la présidente regarde Mme C., Me Nawel Gafsia, son avocate et E. Cornuault, qui représente l’AVFT. Elle revient, à nouveau, à Mme C. et lui dit : « je pense que vous n’avez pas tout dit sur ce qui vous est arrivée au cours de ces cinq jours », elle laisse donc entendre qu’elle croit que les violences sont allées beaucoup plus loin que ce que Mme C. a dévoilé à ce jour.
Puis elle demande d’un ton sec à M. B. : « Voulez-vous réagir à ce qui vient d’être dit ? »
M.B. : « j’hallucine, je n’ai jamais fait de réprimandes, je ne suis pas un coiffeur, donc je ne fais pas de remarques… », « on est sous pression mais je conteste la violence ».
Il poursuit ainsi : « je reconnais avoir fait une erreur en lui faisant une proposition entre adultes. J’ai eu un flash. Je ne l’ai pas suivie dans le métro ».
La juge assesseuse intervient à nouveau, énervée : « pour Mme J. (l’autre victime, partie civile), ce sont les mêmes faits, vous la convoquez plusieurs fois dans votre bureau pour lui faire des propositions sexuelles et vous vous montrez agressif avec elle ».
M.B. répond : « elle est extrêmement fatiguée ou bien malade ».
Me Gafsia lui pose plusieurs questions :
« qu’entendez-vous par déclarer votre flamme ? »
M.B : « je lui ai dis qu’elle me plaisait, de manière galante »
Me Gafsia : « un flash, qu’est-ce que c’est ? »
M.B : « une attirance physique pour la personne ».
Me Gafsia : « pourquoi a-t-elle déposé une plainte alors? Pourquoi a-t-elle démissionné ? »
M.B. : « je ne sais pas ».
L’intervention des parties civiles.
La présidente choisit d’entendre les observations de l’AVFT en premier lieu.
E. Cornuault intervient sur les éléments probants du harcèlement sexuel, constituant un faisceau d’indices concordants et met notamment en avant la pluralité de victimes et l’agression physique sur la personne de l’inspecteur du travail suite à la saisine de Mme C. et pour laquelle il a d’ailleurs déjà été condamné.
Elle conteste la théorie du « flash » prônée par M.B. et insiste, a contrario, sur la stratégie de l’auteur des violences qui se décompose en trois phases : une période de déstabilisation faite d’humiliations, de reproches puis une phase d’avances sexuelles au cours de laquelle M.B. adopte une attitude « bienveillante » pour finir par exercer des représailles sur son travail en dénigrant, notamment, ses capacités auprès des clients, car elle refuse ses avances.
Bien que ce mode opératoire soit classique, E. Cornuault met en avant la rapidité (les faits se sont déroulés sur 5 jours) et l’aisance avec laquelle M.B. a procédé au harcèlement sexuel, ce qui tend à démontrer qu’il en est coutumier.
A ce stade de l’audience, Mme C. s’effondre de douleur en pleurant et elle commence une crise de tétanie. La présidente décide de suspendre l’audience afin d’appeler les pompiers.
Dans l’attente des pompiers, Mme C. est allongée, les membres totalement raidis, incapable de bouger, la tête sur les genoux de Marilyn Baldeck (AVFT), sur un banc près de la salle d’audience.
Une salle d’archives est ouverte où Mme C. est installée sous la surveillance des pompiers. La crise ne passant pas, elle est transportée à l’hôpital et ne sera pas en mesure de revenir et d’assister à la fin des plaidoiries.
Après cette interruption, Me Gafsia reprend la parole en disant : « vous avez l’illustration en direct de ce que vit Mme C. ». Puis, rebondissant sur les interrogations exprimées par la présidente, elle ajoute : « Mme C. n’a certainement pas tout dit mais elle le fera un jour ».
Me Gafsia insiste sur la cohérence de la parole de Mme C. ainsi que sur la difficulté qu’elle a éprouvé à dévoiler les faits à la police en raison du « choc et du traumatisme » qu’elle vivait. Elle entend ainsi couper court à tout argument de la défense qui tendrait à la faire passer pour une menteuse au motif qu’elle ne dit pas tout ou qu’elle ne raconte pas la même chose.
Les victimes sont très souvent aux prises avec cet écueil lorsqu’elles portent plainte du fait de leur nervosité, émotion, peur, honte… Cela ne remet pas du tout en cause la crédibilité de leur parole.
Me Gafsia s’attache également à critiquer la version des faits de M.B. : « il veut nous faire croire qu’il est tombé amoureux en 3 heures ! On n’y croit pas ». Puis elle assène à M.B. : « les femmes ne sont pas des bouts de viande, elles sont des individus à part entière ». Elle met en avant l’importance du préjudice professionnel et financier pour Mme C. : la coiffure était sa passion et, dû fait des violences vécues lors de son premier poste, elle ne peut plus envisager de travailler dans ce secteur d’activité. Me Gafsia termine sa plaidoirie en rappelant que « malgré les dénégations de M.B. concernant les violences dont on l’accuse, il y a plusieurs victimes qui ne se connaissent pas et qui racontent les mêmes faits ».
Le réquisitoire de la procureure.
Elle s’insurge contre les « conditions de travail inhumaines qui règnent dans ce salon ». Elle cite à l’appui de sa démonstration, le procès-verbal dressé par l’Inspection du Travail : « 15 sorties pour 13 entrées, il y a manifestement un fonctionnement défectueux du management ».
Concernant l’existence des violences sexuelles plus particulièrement, la procureure met en avant :
le climat de travail qui a changé, corroboré par d’autres salariés, après le refus « des faveurs intimes » de Mme C.
la présence de plusieurs victimes, attestant du même comportement délictueux de la part de M.B.
les conséquences psychologiques : « on mesure le traumatisme trois ans après. Elle conserve des séquelles ». Elle remercie Mme C. pour sa présence aujourd’hui, pour s’être déplacée à Paris afin que justice soit faite.
Elle requiert une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 5000 ? d’amende.
La plaidoirie de l’avocate de la défense.
Me B. commence ses observations par « le manque de constance dans les déclarations de Mme C. qui laisse planer un doute sur la vérité des faits » .
Reprenant les déclarations de son client, qu’elle avait manifestement préparé avant l’audience, elle indique que certes les salariés attestent que « c’était l’enfer » dans ce salon mais « qu’ils ne disent rien de plus » et elle ajoute : « M.B. a eu l’imprudence de faire des avances dans un salon où il y a déjà des problèmes avec le patron ».
Cet axe de défense est régulièrement utilisé par les avocats des prévenus, s’appuyant sur une définition pénale du harcèlement sexuel exclusivement fondée sur l’intention de l’auteur, leur démarche est de tendre à prouver que leur client est amoureux et non dans une attitude harcelante.
Elle poursuit dans cette stratégie en déclarant : « Mme C. a pu être gênée par cette déclaration, mais ce n’est pas du harcèlement sexuel, en plus tout le monde était sur les nerfs.. » et « il n’est aucunement prouvé qu’il y ait eu menaces ou pressions ». Elle insiste sur le « flash » que M.B. a ressenti : « oui, il était attiré par elle, dès qu’elle a dit qu’elle n’était pas intéressée, il l’a laissée ».
Elle finit sa plaidoirie en affirmant : « Mme C. a démissionné 5 jours après son arrivée, rien ne dit que ce soit lié aux avances de M.B. » et « elle a préféré partir, pensant que ce n’était pas drôle et sûrement gênant d’avoir eu cette proposition, mais le seul fait que mon client ait dit qu’elle lui plaisait ne constitue pas du harcèlement sexuel ».
Son argumentaire, quelque peu confus, démontre avant tout son inconfort à trouver une défense adaptée.
Le 26 mai 2009, M.B. est condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 3000? d’amende. Il doit également verser 3000 de dommages et intérêts à Mme C. au titre du préjudice subi.
M.B n’a pas relevé appel de la décision.