Infraction insuffisamment caractérisée

Après le classement sans suite d’une plainte pour agressions sexuelles, pour « infraction insuffisamment caractérisée(1) » par le procureur de la République d’une ville d’un territoire d’outre-mer qui se targue d’une politique pénale exemplaire en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, nous avons pris connaissance de l’enquête réalisée par la police.

Infraction insuffisamment caractérisée ?

Dans le procès-verbal de synthèse(2), sur la première page, il est écrit : « M. Y reconnaît avoir posé ses mains sur la poitrine de Mme X, mais dans un esprit de rigolade ». L’élément matériel(3) de l’infraction ne fait donc aucun doute.

Le mis en cause, dans son audition, explique lui-même comment la victime a exprimé son absence de consentement : « Je me souviens que lorsque j’ai mis mes mains sur la poitrine de Mme X, elle a été surprise et elle a fait un pas en arrière en me disant « arrête ça » je crois ». (…) Elle s’est plaqué les mains contre la poitrine et a reculé. L’élément intentionnel de l’infraction est donc également présent(4).

La victime reprochait également au mis en cause de s’être frotté, le sexe en érection, contre elle, ce qu’un témoignage vient corroborer : « Il peut se jeter sur quelqu’un et le serrer, et certaines fois mimer un acte sexuel » (Ce faisant, ce témoin indique aussi que M.Y est coutumier de ces agressions).

L’enquête a également révélé qu’après une enquête de l’administration dans laquelle les agressions ont été commises, des sanctions ont été prises contre l’agresseur.

Le PV de synthèse traduit d’ailleurs le dépit de l’officier de police judiciaire responsable de l’enquête qui écrit : « De l’enquête effectuée, il ressort qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de présumer que l’infraction suivante a été commise et peut être retenue : (…) Agression sexuelle.
Toutefois, un classement sans suite pour motif 21, d’infraction insuffisamment caractérisée est rendu par Mme B., substitut du procureur de la république (…)
 » (Et il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre des policier-ères se plaindre qu’ils sont découragés de faire de bonnes enquêtes qui débouchent sur des classement sans suite).

Qu’on ne vienne plus nous dire que les plaintes pour des violences sexuelles sont classées sans suite « parce qu’on n’a pas de preuve », « parce que c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre »… Très souvent, les plaintes sont classées sans suite parce que, même prouvées, même largement étayées par un faisceau d’indices, elle ne sont pas considérées comme graves par le parquet et comme troublant suffisamment un « ordre public » encore beaucoup trop défini en fonction de privilèges sexuels masculins.

Notes

1. Ce qui signifie que des éléments de preuve existent dans le dossier, mais en nombre insuffisant. Un classement sans suite peut aussi être motivé pour « absence d’infraction ».

2. C’est le procès verbal, qui est adressé par la police ou la gendarmerie au procureur de la République, qui, comme son nom l’indique, synthétise les principaux éléments de l’enquête.

3. Une infraction est la conjugaison d’un acte accompli, ici, un attouchement de nature sexuelle, dit « l’élément matériel » et sauf exceptions, d’une volonté de commettre cet acte, dit « l’élément intentionnel ».

4. Cf. supra. L’élément intentionnel résulte ici de l’utilisation de la surprise par l’agresseur.

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