Déclaration d’incompétence du Tribunal correctionnel : en route pour la Cour d’Assises ?

Nous intervenons depuis 5 ans auprès d’une jeune femme victime de viols commis par son maître de stage alors qu’elle était en formation qualifiante dans le centre de formation d’une grande entreprise de nettoyage industriel. Une enfant est née de ces viols. Elle avait 19 ans.

Suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la victime, auprès de qui l’AVFT s’est constituée partie civile, le juge d’instruction, conformément aux réquisitions du procureur de la République de Pontoise, a ordonné le renvoi du mis en cause pour… harcèlement sexuel.

Comment des viols peuvent-ils, pour un juge d’instruction, se transformer en harcèlement sexuel ?

L’ordonnance de renvoi est d’une remarquable confusion.

Nous pouvons y lire, dans l’ordre :

 « Les variations et approximations dans les déclarations de M. Y. ne rendent pas crédibles sa version selon laquelle les relations sexuelles qu’il avait eues avec Mme X. étaient librement consenties par cette dernière (…) ».

Selon le juge d’instruction, Mme X. a donc bien été victime de viols.

 D’autres éléments (dont la tardivité du dépôt de plainte de Mme X. ou le fait qu’elle ait indiqué à la maternité que le père de l’enfant était M. Y.) «excluent l’idée (comme si le viol pouvait être une idée…) de viol».

 «En revanche, la date de la fin des relations sexuelles, fixée avec certitude au jour de l’obtention par Mme X. de son diplôme (…), les difficultés psychologiques et la détresse de Mme X., relevées à plusieurs reprises par les experts, établissent qu’elle n’avait pu subir ces relations que sous la pression et l’autorité de M. Y.».

Le juge d’instruction qualifie donc exactement la contrainte, exclusive de tout consentement, exercée par M.Y. pour obtenir un «acte sexuel». L’élément matériel du crime, la pénétration, n’étant pas contestable, ni contesté par le mis en cause, tous les éléments nécessaires à sa mise en accusation devant la Cour d’Assises étaient donc bien réunis.

Pourtant, le juge conclut ainsi : «En conséquence, les faits de viols s’analysent en réalité (sans plus d’explications) en faits de harcèlement sexuel. Requalifions en ce sens».

Mme X. et l’AVFT ont fait appel de cette ordonnance de renvoi, appel qui, pour des raisons de pure forme dont nous vous épargnons le détail, a été déclaré irrecevable.

Une audience s’est donc bien tenue devant le Tribunal correctionnel de Pontoise, dont nous avons soulevé l’incompétence : le Tribunal correctionnel n’est en effet pas habilité à juger de crimes (donc de viols), seule la Cour d’Assises le peut, sauf à ce que la victime ne se soit pas opposée à une correctionnalisation opérée au moment du règlement de l’instruction. Si elle ne s’y est pas opposée, elle ne peut légalement plus soulever l’incompétence du Tribunal correctionnel dans sa phase de jugement(1).
Or cette condition (non-contestation de la correctionnalisation) n’était selon nous pas remplie.

C’est également ce qu’à, après nous avoir demandé une note en délibéré, estimé le Tribunal, qui, la semaine dernière, s’est déclaré incompétent et a «renvoyé le parquet à mieux se pourvoir». Autrement dit, il demande au parquet de revoir sa copie.

Le procureur de la République et le mise en cause ont encore la possibilité de faire appel, mais nous avons monté une marche supplémentaire vers la Cour d’Assises.

Notes

1. Ce point précis fera prochainement l’objet d’une explication dans le Fil de l’AVFT.

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