« Main au panier »

Harcèlement sexuel ou « réflexions de beauf, un peu machistes »?

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L’AVFT était partie civile dans une audience en appel à Paris, après une décision de relaxe d’un employeur sur des faits de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle (voir compte-rendu de l’audience du 12 novembre 2008 et brève du 23 juin 2009).
L’appel ne portait que sur les intérêts civils, le parquet n’ayant pas fait appel, alors même qu’il avait déclaré « faire siennes » les analyses des parties civiles.(1)

Bref rappel des faits :

Dès son embauche,le propriétaire de la boutique fait à Mme F des remarques sur son physique :

  • « Vous êtes plus belle en vrai que sur la photo, et c’est un bon point pour être recrutée »
  • « Vous êtes ma plus jolie vendeuse »,
  • « Vous avez de beaux poumons »; « Quelle belle poitrine ! ».

Il s’immisce rapidement dans sa vie intime, lui fait des confidences sur la sienne :

  • « Combien de fois, vous faites l’amour avec votre copain ?», en indiquant qu’il voulait savoir si ce que l’on disait au sujet des noirs et de leur attribut était vrai.
  • « Je suis jaloux de E (le compagnon de Mme F), je le déteste parce que vous êtes sa femme et non la mienne, je ne l’aime pas ».
  • « Je ne fais pas l’amour avec ma femme, je ne l’aime pas, mais elle est gentille et j’ai de l’affection pour elle ».

Tous les jours, il lui fait des avances et des demandes sexuelles explicites :

  • «Je vous aime, j’aurais aimé faire ma vie avec vous ». « J’ai besoin d’affection ».
  • «Je peux vous toucher avec mes mains pleines de doigts ? », tout en la poussant avec son ventre jusqu’à la bloquer dans le coin de la caisse.
  • « Déshabillez-vous, on va faire l’amour dans la réserve ».
  • « Tu me suces ma petite ? ».

Il tient également régulièrement des propos déplacés et sexistes sur les femmes. Un jour, au sujet de trois jeunes adolescentes qui venaient de quitter la boutique, il fait le commentaire suivant :« Que c’est frais et mignon à cet âge, je trouve cela très appétissant ».

Il l’agresse sexuellement
lorsqu’elle entre dans la réserve pour se laver les mains : il la suit et lui met la main sur les fesses. Choquée, elle exprime son indignation. Comme à son habitude, il réagit en proférant des injures à son encontre : « Conne, vous ne comprenez rien, vous me décevez énormément ».

Elle a toujours opposé à ces agissements un refus ferme et réitéré.

Ses refus entraînent systématiquement des injures, des humiliations et des menaces:

  • « Conne », « allez vous faire foutre », « Fermez votre gueule »,
  • « Vous ne comprenez rien, vous me décevez énormément », « Vous êtes une incapable, vous n’arriverez à rien dans la vie ».
  • « Petite nature, chieuse, toujours prête à rouspéter et à chercher le conflit ».
  • « Si vous n’êtes pas contente, vous vous cassez », « Je suis le chef et vous ne devez pas vous plaindre ». « Vous ne ferez pas long feu dans mon entreprise ».

Par la suite, les injures et les menaces s’accompagnent de représailles d’ordre professionnel qui entraînent une dégradation des conditions de travail de Mme F :

  • Il ne lui accorde pas de pause dans la journée.
  • Il refuse de faire réparer la climatisation malgré une chaleur excessive voire étouffante, dans la boutique, sans air frais ni lumière naturelle.
  • Il lui donne des ordres et des contre-ordres.
  • Selon l’avocat général, le harcèlement sexuel ne serait pas constitué au motif qu’il n’y a pas de « but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle », élément constitutif de l’infraction.

Mais surtout les propos rapportés ne seraient pas du harcèlement. Voici, textuellement son analyse sur la constitution du délit de harcèlement sexuel :
« Il s’agit plutôt de réflexions de beauf, un peu machiste dont il n’a pas forcément souvenance. Il reste les commentaires sur sa plastique. Sur la fellation, les affirmations sont un peu vagues, pas très circonstanciées, c’est difficile de se baser là-dessus.
Il y a donc une vraisemblance de réflexions un petit peu lourdes et un petit peu machistes, avec des éléments se référant à la plastique de la victime
».

Résumé du débat juridique : « Main au panier ou pas main au panier, excusez-moi c’est un peu ça le débat »

Son avis sur l’affaire : « Il y a sûrement réaction disproportionnée de la personne (Mme F), mais le comportement de M. X n’est pas non plus exempt de toute critique. La souffrance n’est pas sans lien avec le comportement de l’employeur ».
Le harcèlement sexuel n’est donc pas constitué, selon lui. « Mais ce ne sont que de simples observations ».

Voilà comment la définition indigente de l’article 222-33 du Code Pénal (« le fait de harceler dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ») permet à un magistrat d’analyser les faits qui lui sont soumis à l’aune de son sexisme…

Délibéré le 19 janvier prochain.

Notes

1. Après une décision de relaxe en première instance, si le procureur ne fait pas appel de la décision en même temps que les parties civiles, en appel, le mis en cause ne peut plus être condamné à aucune peine. Seule l’indemnisation des parties civiles reste possible.

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