Cour d’appel de Paris, 24 novembre 2009

24 novembre 2009, 13h30, Cour d’Appel de Paris, appel sur les intérêts civils – Mme FG c/ M. de R.

En première instance, le mis en cause avait été relaxé et le procureur n’avait pas fait appel de la décision, alors même qu’il avait dit « faire siennes » les analyses des parties civiles. En appel, le mis en cause ne pouvait plus être condamné à aucune peine. Seule l’indemnisation des parties civiles restait donc possible.

L’audience se tenait à la chambre 1 du Pôle 6, spécialisée dans le droit pénal du travail.

Après plusieurs renvois, la première « affaire » audiencée est entendue pendant deux heures.
Dans une atmosphère tropicale suffocante, nous assistons à une « affaire » de gestion de fait d’une société par une personne ayant une interdiction de gérer. Son avocat nous explique toutes les subtilités des achats/revente de palettes.

Nous passons à 16h15.

Le président est assisté de deux assesseuses et l’avocat général est un homme. L’une des juges a déjà fait une petite sieste pendant l’affaire précédente certes, soporifique, mais quand même…

Le président présente la synthèse du dossier.
Il explique que la décision de relaxe est acquise, et qu’il va falloir vérifier si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis pour faire droit aux demandes indemnitaires des parties civiles.
Il reprend peu les faits dénoncés, mais plutôt les éléments du dossiers : les témoignages produits, le faisceau d’indices, le rapport de l’inspection du travail…

Il cite également une décision de la Cour de Cassation du 10 novembre 2009, concernant le harcèlement moral, qui précise que la constitution de l’infraction est indépendante de la volonté de son auteur : il n’est pas nécessaire que la personne mise en cause ait voulu harceler. Il se demande si la décision est transposable au harcèlement sexuel. Nous connaissons la réponse : non, car les définitions pénales sont extrêmement différentes. (1)

Le président interroge ensuite le mis en cause sur ses «comportements» et le ressenti de celle qui s’estime victime. «On dit que vous êtes balourd, que vous avez des plaisanteries limites, quel est votre sentiment ? Est ce que vous concevez que cela ait pu perturber Mme FG ? notamment sur l’incident de la main aux fesses ?».
M. de R répond qu’il n’a jamais tenu de propos déplacés, qu’il fait simplement «des jeux de mots un peu idiots». Il donne des exemple : à un salarié ivoirien, il dit «méfiez-vous, vous savez bien que le travail au noir est interdit» ou « sortez de là, nictalope». «Tout le monde trouve mes plaisanteries pas drôles, mais j’aime faire des jeux de mots, je ne le contrôle pas. Mes plaisanteries, je ne conçois pas qu’elles puissent choquer. Jamais personne ne m’a reproché quelque chose».
Sur les faits décrits par Mme FG, il répond : «tout est faux, elle a une vie intérieure intense».

Le président demande ensuite à Mme FG si elle a des choses à dire. Elle confirme ses précédentes déclarations, d’une voix faible.
Le président précise ensuite qu’un des éléments essentiels du débat est la fragilité de Mme FG, compte tenu du dossier médical.

Ensuite est entendue comme témoin une ex-salariée de M. de R, Mme S. Elle présente d’abord le bon travail de Mme FG, puis précise que les éléments la concernant dans le récit de Mme FG sont partiellement faux. Elle explique qu’ensuite elle voyait que Mme FG ne travaillait plus très bien («elle allait discuter avec les pompiers(2) au lieu de nettoyer les boîtes»).
Finalement, elle tente d’expliquer les déclarations de Mme FG : «Je ne comprends pas, je travaille pour M. de R depuis si longtemps. Mme FG a dû vraiment vivre quelque chose de terrible, doit être vraiment traumatisée pour en vouloir à tous les hommes sur terre. Elle avait des réactions parfois démesurées».

Agnès Cittadini, l’avocate de Mme FG et Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, reprennent les éléments à l’appui de la parole de Mme FG, déconstruisent les stéréotypes selon lesquels ce serait la fragilité de Mme FG qui est en cause, et pas les violences commises par M. de R.
L’AVFT présente également les définitions civiles du harcèlement sexuel issues de la directive européenne du 23 septembre 2002, et demande leur application pour les intérêts civils.

Le réquisitoire de l’avocat général ne fait que traduire sa propre tolérance par rapport au harcèlement sexuel indépendamment de toute réflexion juridique.
Selon lui, les propos rapportés ne seraient pas du harcèlement. Voici, textuellement son « analyse » sur la constitution du délit de harcèlement sexuel :
«Il s’agit plutôt de réflexions de beauf, un peu machiste dont il n’a pas forcément souvenance. Il reste les commentaires sur sa plastique. Sur la fellation, les affirmations sont un peu vagues, pas très circonstanciées, c’est difficile de se baser là-dessus. Il y a donc une vraisemblance de réflexions un petit peu lourdes et un petit peu machistes, avec des éléments se référant à la plastique de la victime».
Résumé du débat juridique : «Main au panier ou pas main au panier, excusez-moi c’est un peu ça le débat».
Son avis sur l’affaire : « Il y a sûrement réaction disproportionnée de la personne (Mme FG), mais le comportement de M. de R n’est pas non plus exempt de toute critique. La souffrance n’est pas sans lien avec le comportement de l’employeur ».
Le harcèlement sexuel n’est donc pas constitué, selon lui… Alors qu’il vient de réduire les chances de succès des parties civiles, il ajoute : «Mais ce ne sont que de simples observations».

L’avocate de M. de R, particulièrement retorse et agressive, s’indigne :
«Trop c’est trop ! ; Pour la première fois de sa vie, à son âge il est devant un tribunal». «C’est un «roman», un dossier monté de toute pièce», «Bien que je ne remette pas en cause la souffrance des victimes, les vraies, et que je trouve le combat de l’AVFT tout à fait légitime»…
Selon elle, son client n’est qu’une «bonne poire» dont Mme FG souhaite profiter.

Délibéré le 19 janvier 2010.

Gwendoline Fizaine

Notes

1. La définition du harcèlement moral est la suivante: « Art 222-33-2 : Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.».
La définition du harcèlement sexuel de la directive européenne 2002/73/CE du 23 septembre 2002 est assez proche dans sa rédaction de la définition du harcèlement moral: « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient, avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Dans cette définition il est précisé que le comportement n’est pas nécessairement intentionnel ( » pour effet ») et qu’il peut avoir un certain nombre de conséquences (« porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant »), comme pour le harcèlement moral.
Cependant, la définition du harcèlement sexuel applicable en l’espèce, prévue et réprimée par l’article 222-33 du Code pénal, « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende » est très différente. Le « but », l’intentionnalité est essentiel dans cette définition : si les agissements de harcèlement sexuel ne sont pas intentionnels, il ne sont pas condamnables en droit pénal.
Il n’est donc pas envisageable d’utiliser la jurisprudence du harcèlement moral pour du harcèlement sexuel sur le plan pénal.

2. Précisément pour échapper à son employeur, NDLR.

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